Cette nuit, le feu a été mis au palais des Tuileries,

ce sinistre Palais d’où était tant de fois parti l’ordre de massacrer le peuple, et ou tant de crimes anti-sociaux avaient été prémédités et glorifiés

comme l’a écrit Gustave Lefrançais. Et puis,

Le soleil vient éteindre la clarté des incendies. Le jour radieux se lève sans rayon d’espoir pour la Commune. Paris n’a plus d’aile droite. Son centre est rompu. L’offensive est impossible. Il ne lutte plus, il se débat.

Cette fois, c’est Lissagaray. En effet, à sept heures, la Commune (quelques membres de l’assemblée communale) abandonne l’Hôtel de Ville — auquel, vers dix heures, Pindy fait mettre le feu — pour se retrancher à la mairie du onzième.   Comme dit, toujours, Lissagaray,

L’abandon de l’Hôtel-de-Ville coupe la défense en deux, accroît la difficulté des communications.

Albert Theisz nous a raconté ce qu’il a vu de cette journée dans un article ancien. J’ajoute quelques informations. Le dernier numéro de « notre » Journal officiel a été imprimé à l’Imprimerie nationale, non loin de là, elle aussi est évacuée dans la journée. Le capitaine Beaufort, jugé responsable de la mort de soixante gardes du 66e à la Madeleine, est pratiquement lynché, ceci, Theisz nous l’a dit. À proximité immédiate, il y a aussi l’enterrement de Dombrowski (dont nous avons lu la mort hier). Auguste Vermorel y est. Je pense que Lissagaray aussi, qui raconte:

« Le voilà! s’écrie Vermorel, celui qu’on accusait de trahir! Il a donné un des premiers sa vie pour la Commune. Et nous, que faisons-nous au lieu de l’imiter? » Il continue, flétrissant les lâchetés et les paniques. Sa parole, embrouillée d’ordinaire, court, échauffée par la passion, comme une coulée de métal fondu: « Jurons de ne sortir d’ici que pour mourir! » Ce fut sa dernière parole; il devait la tenir. Les canons à deux pas couvraient sa voix par intervalles. Il y eut bien peu de ces hommes qui ne pleurèrent pas.
Heureux ceux-là qui auront de telles funérailles. Heureux ceux qui seront ensevelis dans la bataille, salués par leurs canons, pleurés par leurs amis.

Rive gauche, les barricades de la rue de Rennes, de la Croix-Rouge et du boulevard Saint-Michel (que commandait Eugène Varlin, voir l’article d’hier) ont été abandonnées. L’armée versaillaise prend les barricades de la rue Soufflot. Non sans mal, nous raconte Germain Dathie, soldat versaillais:

Tant bien que mal nous sommes arrivés au Luxembourg sans trop de difficultés, mais ce n’était pas tout: notre besogne allait commencer, c’était d’enlever le Panthéon et ce ne fut pas une petite affaire.
Il fallut enlever six barricades bien défendues par des mitrailleuses et des canons-revolvers crachant la mitraille. Malgré cela, nous avancions toujours, faisant des brèches dans les maisons pour les fouiller de la cave au grenier.
En arrivant à la dernière barricade, ce fut un massacre épouvantable, nous arrivions de tous côtés à la fois, c’était horrible à voir. Une heure après, tout était terminé, le sol était couvert de morts et le sang ruisselait partout.
Je ne puis comprendre qu’après une telle fusillade, nous n’avons que huit morts et une quinzaine de blessés, notre bataillon ayant toujours marché en tête.

On n’exécute plus les prisonniers: on n’en fait pas. Rue Gay-Lussac, Raoul Rigault est tué (ceci a fait l’objet d’un article ancien). Rive gauche, il reste la Butte-aux-Cailles, que défend Wroblewski.

À la Roquette, on exécute six otages, parmi lesquels l’archevêque de Paris (voir aussi cet article).

Ceci, c’est ce que les communards « rescapés » ont vu, ont su, ont pu raconter. Ce qu’ils ignorent encore, c’est la terreur versaillaise, qui continue. Comme à l’ambulance Saint-Sulpice.

À cause de la proximité avec la poudrière du Luxembourg, qui a effectivement explosé… l’ambulance « du Luxembourg » (celle où aidaient la mère et la sœur d’Alix Payen, voir cet article et, moins brièvement, le livre d’Alix — voir aussi l’image dans notre article du 7 mai) s’était réfugiée dans les locaux du séminaire, 9 place Saint-Sulpice. Le quartier aux mains des versaillais, la troupe a pénétré dans le séminaire. Affirmant qu’on avait tiré depuis une fenêtre, un capitaine et un de ses soldats ont tué le médecin responsable, Valère Faneau, un jeune médecin pas vraiment favorable à la Commune et qui s’était assuré qu’il n’y avait pas d’armes dans l’ambulance. Valère Faneau a déjà été nommé dans un article de ce site (et de Maxime Vuillaume). Voir aussi sa notice sur le site d’études fouriéristes.
Après le médecin, des blessés sont fusillés, percés de baïonnettes, tués à coup de revolver…
Il y avait dans cette ambulance environ deux cents malades et blessés de toutes sortes, y compris des blessés du siège prussien. Camille Pelletan a rencontré des témoins qui lui ont parlé de 75 à 80 morts. Un autre témoin, George Guillaume, volontaire suisse pendant la guerre franco-prussienne (dont nous avons lu les souvenirs plusieurs fois pendant le siège) puis garde national au 85e (un bataillon du sixième arrondissement, justement) pendant la Commune. Il cite dans son deuxième livre les noms de trois de ses camarades, le père Anselme, Seurot et Guérin, blessés à Levallois et victimes de la tuerie de Saint-Sulpice — plus de soixante-dix victimes, compte-t-il (son estimation est indépendante des 75 à 80 des témoins de Camille Pelletan: son livre date de 1871). [Voir aussi la vidéo tournée le 10 mai (2021) sur les lieux.]

Ce massacre fait le titre de cet article. Mais j’ai écrit ambulances au pluriel. En effet. Il n’est pas vrai que cette tuerie-là fut une bavure (une bavure! voilà qui rappelle certain « détail »…), on a fusillé dans d’autres ambulances, nous en verrons un autre exemple demain.

Ce 24 mai ont commencé les exécutions caserne Lobau (de « condamnés » envoyés par la cour martiale du Châtelet).

Il reste (malgré le passage par le Père Lachaise) à faire le tour des (registres des) cimetières. Ce 24 mai on a enregistré les inhumations de 46 inconnus à Vaugirard (les Pompes funèbres en ont apporté 32), 7 aux Batignolles, 148 à Montmartre, 199 à Montparnasse (seulement 4 ont été apportés par les Pompes funèbres)… Le cimetière de Clichy a, lui, enregistré des « Garde nasiaunos de paris », un incontestable pluriel, sans indiquer leur nombre.

*

Il y a beaucoup de choses place Saint-Sulpice, par exemple: une mairie, un hôtel des finances […]

J’arrête là cette citation de Georges Perec. L’hôtel des finances avait d’abord été un séminaire — beaucoup des « choses » de la place Saint-Sulpice sont liées à la religion catholique — ce n’est pas fini. Ce séminaire a brièvement abrité, si l’on peut dire, l’ambulance dont il est question dans cet article. Lorsqu’il a été photographié par Eugène Atget, après la séparation de l’Église et de l’État (pas celle de la Commune, celle de 1905), il était déjà « ancien séminaire » — et cette image est toujours au musée Carnavalet.

Livres cités ou utilisés

Lefrançais (Gustave)Étude sur le mouvement communaliste, suivi de La Commune et la Révolution, avec une préface de Jacques Rougerie, Klincksieck (2018).

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

Lettres d’un chasseur à pied pendant le siège de Paris et la Commune 1870-1871 (recueillies par son petit-fils M. F . Bouchez), Comptes rendus et mémoires de la Société archéologique et historique de Clermont-en-Beauvaisis, tome 31 (1962-1964).

Payen (Alix)C’est la nuit surtout que le combat devient furieux Une ambulancière de la Commune, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2020).

Pelletan (Camille)La Semaine de mai, Maurice Dreyfous (1880).

Guillaume (George), Souvenirs d’un garde national pendant le siège de Paris et pendant la Commune, Librairie générale de Jules Sandoz, Neuchâtel (1871).

Audin (Michèle), La Semaine sanglante. Mai 1871, Légendes et comptes, Libertalia (2021).

Perec (Georges), Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Union générale d’éditions (1975).

Cet article a été préparé en décembre 2020.