Pour écrire un des articles précédents, j’ai relu les comptes rendus des sessions du Conseil de guerre qui a jugé « les membres de la Commune », au cours desquels il a notamment été question de la participation de tel ou tel accusé (et particulièrement celle de Courbet) aux séances de la Commune. J’ai donc relu aussi les procès verbaux de ces séances. On y retrouvre un Courbet authentiquement communard, occupé aux problèmes de la cité, de ses arts et de sa guerre.

Voici la liste exhaustive des interventions de Gustave Courbet. Je ne les cite pas toujours de façon complète, mais il y a, pour les curieux, un lien (dans la date) vers le procès verbal correspondant.

Avant cette liste, je rappelle que, lors des élections du 26 mars, Gustave Courbet, avec 3242 voix, était le premier non-élu dans le sixième arrondissement. Juste devant lui se trouvait Eugène Varlin, qui était élu dans plusieurs arrondissements et choisit, en effet, le sixième. S’il en avait choisi un autre…

12 avril, Courbet n’est donc pas membre de la Commune, mais il apparaît dans le procès-verbal: il demandait que soient rétablis — c’est-à-dire rouverts — les musées et les expositions de peinture (fermés pendant le siège). Il intervenait en tant que président de la « Commission des arts » — une commission formée après la proclamation de la République en septembre (voir l’article sur la Fédération des artistes).

19 avril, le procès verbal donne le résultat des élections complémentaires, Courbet a obtenu 2418 voix, il n’y avait que 3469 votants. Il y avait 24807 inscrits, le huitième des inscrits est facile à calculer, 3101, Courbet ne l’avait pas obtenu. D’ailleurs Rogeard, qui n’avait que 2292 voix, refusa d’être considéré comme élu.

21 avril, Courbet est élu à la commission de l’enseignement, avec Verdure, Miot, Vallès et J.-B. Clément.

22 avril, il montre qu’il ne se contente pas d’être le « président des artistes »:

J’ai été avec le citoyen Cluseret visiter les forts du sud. Tout le long de notre visite, Cluseret n’était occupé à dire que ceci: « Mais que faites-vous là? J’avais demandé tant d’hommes et je ne vois presque personne. » On lui répondait invariablement: « Nous ne savons qui donne les ordres, nous avions demandé des pièces de vingt-quatre; on ne nous en a pas envoyé. » Et Cluseret disait: « Comment voulez-vous que je donne des ordres, lorsqu’il y a derrière moi des hommes qui donnent des ordres contraires? » (Bruit.)

23 avril, il s’attaque à Pilotell:

Contrairement à l’esprit de la Commune, Pilotell a été nommé, je ne sais par qui, directeur des Beaux-Arts. Pilotell faisait des exactions partout […] Il faut établir la loyauté partout et le fait Chaudey est scandaleux.

Beaucoup de choses à la fois… Gustave Chaudey, ami de Proudhon et de Courbet, avocat de Courbet, était adjoint au maire de Paris et portait une part de responsabilité dans la fusillade contre les gardes nationaux place de l’Hôtel de Ville le 22 janvier 1871, il avait été arrêté le 13 avril, et Pilotell, qui avait procédé à cette arrestation, avait saisi (?) l’argent de Chaudey. C’est ce fait que Courbet trouvait scandaleux le 23 avril. Chaudey sera exécuté, comme otage, par Raoul Rigault, pendant la Semaine sanglante.

27 avril, le président, qui est ce jour-là Jules Allix, donne lecture d’une « interpellation » déposée par Courbet (qui est publiée le lendemain dans Le Cri du peuple) :

Dans une communication du Gouvernement de Versailles adressée aux préfets le 10 ou le 12 courant, M. Thiers annonce que la lutte contre Paris sera poursuivie avec autant d’énergie et sans s’arrêter aux sacrifices, comme l’a déjà fait l’Amérique du Nord contre le Sud.

Mettant de côté l’inexactitude de la comparaison (car ici, c’est Paris qui combat pour la liberté et le droit de l’homme), je constate que M. Thiers, en nous comparant aux fédérés du Sud, n’a pas songé à nos droits de Belligérants.

Il n’y a pas songé, évidemment, car ce n’est pas après avoir pris ses ordres que Vinoy a fusillé Duval; selon le droit de tous les peuples, selon le droit international, selon les antécédents de la guerre civile, on n’est insurgé que les premiers jours, et l’on reconnaît toujours le droit de combattre les armes à la main à un parti qui s’est organisé militairement et qui combat de bonne foi, en lieu et place de l’État, pour un principe de droit public; le parti qui est assez fort pour s’organiser militairement et qui donne des garanties d’ordre, est belligérant de fait. Et remarquez, citoyens, que nous ne sommes pas en lutte depuis un mois seulement. Nous luttons depuis le 4 septembre.

Il est donc temps que l’Europe reconnaisse nos droits, et le citoyen P. Grousset aurait dû commencer par réclamer de tous les peuples la reconnaissance formelle de nos droits de belligérants. Avant tout, c’est une question importante, que je recommande spécialement à la Commission des relations extérieures.

G. Courbet

P.S. — Il y a plus de cent et un jours, en un mot, que nous luttons contre le gouvernement de Versailles, tant moralement que les armes à la main.

Et le même jour…

Courbet demande que l’on exécute le décret de la Commune sur la démolition de la colonne Vendôme. On pourrait peut-être laisser subsister le soubassement de ce monument, dont les bas-reliefs ont trait à l’histoire de la République; on remplacerait la colonne par un génie représentant la Révolution du 18 mars.

Le décret en question avait été voté le 12 avril, avant l’élection de Courbet. Le 23 avril, Gambon proposa qu’on adjoigne Courbet aux citoyens chargés des travaux de démolition, mais Grousset objecta que l’on avait deux ingénieurs du plus grand mérite, qui prenaient toutes les responsabilités.

30 avril, nous arrivons à l’épineux débat sur le comité de salut public. Courbet vote pour que le nom du comité directeur soit « comité exécutif ». La question du fort d’Issy n’est pas sans lien avec ce débat, nous le  savons. Elle apparaît dans l’intervention suivante de l’élu du sixième arrondissement Gustave Courbet:

Deux bataillons, le 105e et le 116e, m’ont envoyé une délégation. Ils refusent obéissance au citoyen Rossel, attendu qu’il a condamné aux travaux forcés des officiers de leurs bataillons qui ne voulaient pas marcher, quand leurs hommes n’avaient sur eux ni plomb ni poudre. Je suis menacé de recevoir ces bataillons ce soir à la mairie […]

Il vote contre l’adoption d’un comité de salut public. Il s’explique, puisque chacun a motivé son vote:

Proposition. je désire que tous les titres et mots appartenant à la révolution de 89 et 93 ne soient appliqués qu’à cette époque. Aujourd’hui ils n’ont plus la même signification et ne peuvent plus être employés avec la même justesse et dans les mêmes acceptions.

Les titres Salut public, Montagnards, Girondins, Jacobins, ne peuvent être employés dans ce mouvement socialiste républicain.
Cela me semble d’autant plus évident que nous ressemblons à des plagiaires, et nous rétablissons à notre détriment une terreur qui n’est pas de notre temps. Employons les termes que nous suggère notre révolution.

2 mai, la guerre, toujours:

Courbet: Je reçois des plaintes de toutes parts. L’on me parle surtout de la Garde nationale, de ses officiers, de leurs galons et de leurs appointements. L’on me fait remarquer qu’il n’y a que 6000 hommes sur les remparts, sur toute la ligne des fortifications, et que Dombrowski n’a que 1200 hommes pour répondre aux 40000 hommes de Versailles. Il me semble que quand on est sur le point de gagner, on doit prendre des précautions énergiques, faire son possible pour prévenir toutes surprises. L’on ne peut comprendre que l’on n’emploie qu’un pareil nombre d’hommes; c’est déplorable, cela fait frémir, cela fait pitié. Je ferai encore remarquer que ce sont toujours les mêmes qui luttent. Je les vois passer chez moi. Ils viennent de la Roquette et ils vont lutter à Montrouge! Pourquoi les gardes de Montrouge ne défendent-ils pas Montrouge?

Un Membre: Mais c’est parce qu’ils n’ont rien à défendre à la Roquette.

Courbet: Je voudrais voir si la batterie du Trocadéro existe toujours.

Plusieurs Membres: Non! non!

Courbet: Tant mieux! Jamais un boulet de cette batterie n’a atteint le bas du Mont-Valérien.

Le même jour, au cours d’une discussion un peu confuse, Courbet intervient encore pour dire qu’il y a trop de clubs.

3 mai, Courbet et Billioray sont chargés de trouver un lieu où les réunions de la Commune puissent se tenir en public.

4 mai, il intervient encore pour dire qu’il y a beaucoup d’armes à tir rapide disponibles dans les arrondissements et qu’il est inutile d’en acheter.

6 mai, il demande la parole pour rapporter sur le lieu de réunion, mais la discussion est repoussée au lendemain.

Courbet: […] La salle des Maréchaux, aux Tuileries, nous paraît remplir les conditions voulues. Puisque j’ai la parole, j’en profite pour réclamer contre l’arrestation du citoyen Dardelle et de plusieurs officiers. J’avais donné l’ordre au citoyen Dardelle de laisser sortir des Tuileries sept tableaux; il a exécuté cet ordre et le Comité militaire l’a fait conduire à Mazas. Je proteste contre cette arrestation.

L’arrestation du colonel Dardelle, gouverneur des Tuileries, n’est pas discutée, le choix d’une salle l’est, et même assez longuement. Courbet intervient ensuite à propos de l’arrestation de Rossel, il y a un vote pour décider si Rossel doit être entendu par la Commune, Courbet vote pour, mais le vote de l’assemblée est négatif, on vote ensuite sur son renvoi devant la cour martiale, ce qui est adopté, Courbet s’abstient ainsi que beaucoup d’autres. Voici l’explication qu’il donne de son vote:

C’est pour la trois ou la quatrième fois que nous nous trouvons annulés par un pouvoir occulte, le Comité central, duquel nous sommes les éditeurs responsables, sans qu’il nous soit permis de connaître même les personnes qui nous dirigent. Le pouvoir du Comité central ayant déjà paralysé deux généraux nommés par la Commune, je demande que le citoyen Rossel soit entendu par la Commune.

12 mai, il est question de la collection de Thiers. On est en train de détruire sa maison.

Courbet: Le sieur Thiers a une collection de bronzes antiques, je demande ce que je dois en faire. […] Les objets de la collection Thiers sont dignes d’un musée. Voulez-vous qu’on les transporte au Louvre, ou à l’Hôtel de Ville, ou voulez-vous les faire vendre publiquement?

Protot, délégué à la Justice: J’ai chargé le commissaire de police du quartier de faire conduire les objets d’art au garde-meubles et d’envoyer les papiers à la Sûreté générale. J’ai fait commencer de suite la démolition. Les papiers sont entre nos mains. Quant aux petits bronzes, dont je me soucie peu du reste, je pense qu’ils arriveront en bon état.

Courbet: Je vous fais remarquer que ces petits bronzes, que vous paraissez mépriser, citoyen Protot, représentent peut-être une valeur de cinq cent mille francs.

Le citoyen Demay fait remarquer que ces petits bronzes sont l’histoire de l’humanité, la discussion mène à la constitution d’une commission chargée de surveiller la destination de ces objets, formée de Courbet, Demay, Grousset, Clémence et Félix Pyat.

15 mai, Courbet est présent à l’Hôtel de Ville. L’absence de presque tous les membres de la « majorité » fait annuler la séance et le « manifeste de la minorité » est rendu public.

17 mai, Courbet est l’un des soixante-six membres présents à la séance. La discussion porte évidemment, malgré la situation militaire catastrophique, sur le « retour de la minorité ». Miot propose d’ « oublier la conduite des membres de la minorité qui déclareront retirer leur signature du manifeste », de blâmer ce manifeste et de passer à l’ordre du jour. Ce qu’essaie de faire Courbet.

Courbet: Il m’est impossible de rester à la tête de mon arrondissement. Je ne puis obtenir de renseignements de la délégation de la Guerre, si bien que mon conseil municipal a donné sa démission. […] Je viens d’être prévenu que trois bataillons vont venir attaquer le séminaire de Saint-Sulpice cette nuit. […] Étant responsable de mon administration, je ne puis rester davantage en butte aux tracasseries du Comité central.

21 mai, la dernière réunion de la Commune, présidée par Vallès, Courbet en est assesseur. Il intervient pour l’élargissement de Cluseret.

*

L’image de couverture est un portrait de Gustave Courbet par Marcellin Desboutin (1823-1902), daté de 1878 sur Gallica où je l’ai copié. Aux lecteurs qui penseraient ne pas connaître cet artiste: vous l’avez peut-être déjà rencontré comme le personnage masculin dans le célèbre tableau L’Absinthe, d’Edgar Degas.

*

Livre utilisé

Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel)Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).