Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

2. Lundi 20 décembre 1869

Amouroux est condamné pour avoir déclaré, au cours d’une réunion publique, que le commissaire de police n’était pas intelligent ;

on attend toujours le nouveau gouvernement ;

la « Chambre » qui n’est pas une assemblée « nationale » n’a pas fini de valider ses membres, ce qui n’empêche pas que l’on puisse en parler ;

Flourens publie une lettre qu’un paysan a envoyée à Gambon et qui sera à la source de la renommée de « la vache à Gambon » (j’ai déjà publié la lettre du paysan annonçant la vente de ses biens à Ferdinand Gambon) ;

il y a une actualité « internationale », avec ses appendices nationaux : l’empire expulse les républicains espagnols de Paris, voyez l’article d’Arnould ;

Millière parle des grèves — en général… voyez le sommaire.

Le journaliste dont le nom va rester attaché à la Marseillaise, c’est Victor Noir. Je renvoie, non seulement à deux articles précédents de ce site, ici et là, mais aussi à ce qui suivra. Mais n’anticipons pas. Pour ce numéro, j’ai donc choisi quelques-unes des nouvelles de « Boulevards et Faubourgs », dans les numéros d’hier et d’aujourd’hui. J’ai choisi des « informations » encore facilement compréhensibles aujourd’hui et un peu variées — et aussi à mon goût, mais vous pouvez aller lire le journal complet ! Victor Noir avait déjà fait des « brèves », sous le titre « La semaine », dans un hebdomadaire de 1868, la Fronde, sur Gallica, là

BOULEVARDS ET FAUBOURGS

L’empereur chasse presque tous les jours à tir dans les tirés de la forêt de Versailles, hier il a tué cinquante-deux lapins. En 1830, on disait : c’est par un lapin qu’on commence, c’est par le peuple qu’on finit ; aujourd’hui on peut dire le contraire.

L’inventaire de la succession de M. Sainte-Beuve a été terminé vendredi dernier.

On a trouvé dans les cartons, entre autres papiers, plusieurs lettres signées Rouher, Victor Hugo, Girardin, Lamartine, de Girault, Viollet-le-Duc, ces cartons renfermaient également un autographe de Mme Récamier, trois billets de George Sand et cent trente-quatre lettres de la princesse Mathilde.

Cent trente-quatre lettres de la princesse Mathilde et l’on s’étonna que M. Sainte-Beuve soit mort si tôt.

Nous avons eu la curiosité de chercher combien, d’après les tables de la mortalité humaine de Deparcieux, il restait en moyenne à vivre à chaque sénateur. Le résultat de notre calcul a été effrayant. Tout compte fait, le Sénat, tout entier, devrait être enterré depuis huit ans.

Autre statistique.

La population [qui] augmente en France, en moyenne tous les ans, depuis 1848, de cent cinquante mille âmes, en 1854 pendant la guerre de Crimée, au lieu d’augmenter a diminué.

Les fantaisies de Bonaparte nous coûtent cher.

Il existe encore, malgré la hâte qu’on a mise à les détruire, un arbre de la liberté, planté en 1848, dans la cité Trévise.

Narguant la pioche des démolisseurs, il balance haute et fière sa cime au-dessus des toits.

Allons, M. Haussmann, vite un boulevard pour exproprier cet arbre. Ne vous gênez pas, c’est nous qui payons.

Finissons gaiement.

Un curé rencontre un de ses fidèles.

— Eh bien, mon cher frère, que devenez-vous, il y a des mois que je ne vous ai vu vous approcher de la sainte table, pourquoi ne venez-vous plus communier ?

— Impossible, mon père, reprend l’ouaille, mon médecin m’interdit les farineux.

Depuis les affaires de La Ricamarie et d’Aubin, comme le prince impérial est encore mineur, on craint pour ses jours.

À Rouen, deux fois par semaine, on fait faire des exercices à la troupe pour apprendre la manœuvre des wagons ; cette manœuvre consiste à mettre un régiment entier dans un train en dix minutes. À l’aide de ce procédé toute la garnison de Rouen pourrait être jetée sur Paris en quatre heures… Comme la garde nationale en Juin 1848.

Mardi la nouvelle commission municipale dînera à l’Hôtel de Ville.

Bon appétit Messieurs ! (On sait que M. Haussmann n’en manque pas.)

L’impératrice a ramené de Constantinople un singe superbe. Ça lui en fait deux.

On sait que le singe est né imitateur.

Pourvu qu’il ne fasse pas un coup d’état.

Il existe à Florence, à deux pas du palais Strozzi, un café où le prince Louis Bonaparte a laissé une note de 17 francs 95 centimes. Comme on montre cette facture non acquittée à tous les étrangers, nous ouvrons une souscription destinée à payer cette dette dans les plus brefs délais.

Nous faisons appel à tous les Français sans distinction d’âge, de sexe ou d’opinion, et nous espérons que le patriotisme de la nation ne restera pas au-dessous de sa tâche dans cette circonstance.

La Marseillaise s’inscrit pour 25 centimes.

Un mot d’enfant, puisque c’est la mode.

C’était un soir de décembre, la pluie tombait, fine et glacée.

Derrière des pavés amoncelés en hâte, des hommes mornes, désespérés, attendaient la mort.

À cinquante pas, l’acier des fusils jetait des éclairs fauves.

Un mot sinistre courut dans les rangs des insurgés : nous n’avons plus de munitions.

Seul, au sommet de la barricade, un gamin de quinze ans faisait le coup de feu avec le plus beau sang-froid du monde.

— Hé ! gamin, passe-nous des balles, dit un insurgé.

— Je n’en ai plus, fit l’enfant.

— Pourquoi tirer alors ?

— Pour faire croire que nous ne nous rendons pas.

Et comme il faisait cette défense héroïque, une décharge le renversa à terre.

On s’empressait autour de lui, il ouvrit sa chemise, et, montrant sa poitrine où béaient trois blessures, il dit avec de grosses larmes dans les yeux :

— Tenez, vous demandiez des balles, en v’là.

VICTOR NOIR

Le journal en entier et son sommaire détaillé, avec l’article de Millière ressaisi, sont ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).

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L’image, un arbre de la liberté, vient de Gallica, là. Je n’ai pas trouvé celui de la cité Trévise, j’ai choisi cette image parce qu’elle ne comportait pas que des curés et des hommes.