Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
36. Dimanche 23 janvier 1870
Mille et mille fois pardon d’être encore obligé de parler de moi, commence Rochefort, mais on n’est pas obligé de le croire sincère, et il imagine la suite de la condamnation dont il va être victime au moment où le lecteur lit ces lignes, le pouvoir sera ridicule ;
Dubuc écrit et télégraphie du Creuzot ;
Raspail va un peu mieux ;
Habeneck s’inquiète des archives qui resteront aux historiens, maintenant qu’on utilise tant le télégraphe (ça me rappelle quelque chose…) ;
Morot annonce
la mort du célèbre républicain socialiste russe Alexandre Hertzen, mort ce matin, à Paris, à la suite d’une courte maladie,
on en reparlera ;
il est question d’une pétition pour que l’empereur en finisse avec les Républicains à coups de canon ;
Arthur Arnould consacre son « Courrier politique » (comme nous notre ouverture) aux chassepots arrivés au Creuzot ;
naissance d’une nouvelle rubrique, « Échos », qui prend la place de « Boulevards et Faubourgs », tenue par le premier pseudonyme (je crois) du journal, « L’Ingénu » ;
la « Tribune militaire » continue, avec son lot de lettres reçues ;
Dereure continue à reproduire des extraits de presse sur « l’Assassin Bonaparte » ;
Raoul Rigault s’en prend avec à propos, à un nouveau magistrat, Brunet, qui est sans doute celui qui va juger Rochefort aujourd’hui même ;
Verdure donne des nouvelles des ouvriers en Angleterre et en Belgique ;
les auditeurs des réunions publiques vont avoir du mal à choisir où aller ce soir, entre Paule Minck, Camille Flammarion et les autres, celle d’hier salle Molière, avec Floquet, Mathorel et Briosne, a été remarquable, la recette a été versée pour les condamnés politiques, par contre, la réunion sur l’extinction du paupérisme a été dissoute ;
le Corps législatif discute longuement d’une question urgente, autoriser ou non des journalistes ou autres à assister de près à une exécution publique ;
encore des journalistes condamnés, et des vendeurs de journaux, toujours pour le portrait de Victor Noir ;
je passe encore une fois sur la Bourse et les théâtres.
Je garde les nouvelles du Creuzot. Il y a une dépêche, et une lettre, bien sûr envoyée avant la dépêche.
NOUVELLES DU CREUZOT
Nous recevons du Creuzot la dépêche suivante :
Creuzot, 21 janvier
M. Schneider a tenu sa parole. Les chassepots sont arrivés.
Le 17e et le 68e de ligne sont ici, ainsi qu’un escadron du 6e lanciers.
La foule est calme. Il n’y a aucun danger d’agression de sa part. Les officiers paraissent favorablement disposés.
S’il y a une provocation, elle ne viendra que de M. Schneider.
ACHILLE DUBUC
Le Creuzot, 21 janvier 1870.
Me voilà au Creuzot. — Le calme le plus grand, un calme EFFRAYANT, règne partout ; les cheminées ne fument plus, les marteaux chôment; on n’entend plus que le silence aux lieux où retentissaient les bruits multiples du travail.
Faire grève est chose terrible ; pour un mot, pour rien, on fusille et l’on assomme ; les ouvriers du Creuzot, 12,000 hommes, organisent le refus du travail, assument la responsabilité de la faim et de la misère, et cela, en silence, sans tumulte, sans bruit, sans émeute.
Aucune provocation n’a manqué. Déjà les ouvriers demandent ceci : ils veulent gérer eux-mêmes leur caisse de secours. [Voir l’article de Varlin dans le numéro du 20 janvier.] (M. Schneider après leur avoir proposé ce moyen est revenu sur sa décision.) Quelques ouvriers ont été renvoyés ; leurs camarades demandent la rentrée de ceux-ci aux travaux ; ils veulent aussi que les ouvriers renvoyés participent aux bénéfices de la caisse de secours. Il n’y a là dedans rien de politique ; toutes ces réclamations sont sociales.
Mais M. Schneider est président du Corps législatif, il est habitué à marcher entre plusieurs chassepots et il menace ses ouvriers du chassepot.
D’abord, il ne veut pas parlementer avec les VOYOUS (ce nom qui est le nôtre m’a intéressé tout d’abord) ; il aura bientôt LA FORCE, du moins il l’a dit, et alors il saura ce qu’il veut faire et il ouvrira les travaux QUAND IL VOUDRA.
On attend!
Hier, des pauvres diables, tentés par la misère et le froid, ont cherché du charbon dans une mine à découvert, laissée dans un grand état d’incurie. C’est gens ont procédé comme ils ont pu, et un éboulement s’est produit : 9 victimes, M. SCHNEIDER A DIT 9 VOLEURS, ont été englouties sous les décombres ; 6 sont morts et 3 sont blessés. On vient à l’instant d’en enterrer 3, et les criailleries des prêtres retentissent encore dans mes oreilles.
L’homme qui a laissé mettre en accusation notre rédacteur en chef, a demandé ce matin aux grévistes (qu’il met à la porte), s’ils n’avaient pas assez de cadavres comme cela et s’ils en désiraient d’autres.
Le fait est que tout Autun a les yeux fixés sur M. Schneider et qu’on n’attend qu’un signal pour assaillir le Creuzot.
Ah ! le brave homme que le président du Corps législatif !
Pendant que je suis ici, je vais me donner le plaisir d’instruire son dossier.
Ce matin, en descendant de chemin de fer, je suis assailli par un mouchard de Dijon qui m’accuse de venir ici prêcher l’émeute.
L’insensé ! C’est la France toute entière qui la fera, et elle s’appellera Révolution ! J’ai été incontinent dénoncer ce mouchard au commissaire de police à qui j’ai décliné mes noms et qualités.
Ce commissaire est intelligent. J’ose à peine le dire, de peur d’attirer sur lui les foudres de Schneider.
À demain le commencement du dossier de ce bon homme.
J’ouvre ici une souscription en faveur des grévistes et des victimes, DES VOLEURS DE CHARBON (selon M. Schneider). J’engage tous les démocrates à joindre leur obole à la nôtre.
ACHILLE DUBUC
Nous recommandons à tous les ouvriers du Creuzot de ne répondre que par le calme et le dédain aux provocations de M. Schneider. — A.D.
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L’image de couverture, l’armée venue faire la police au Creuzot pendant la grève, a fait aussi la couverture du Monde illustré le 29 janvier 1870. Ce journal est sur Gallica et cette image vient donc de là.
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Le journal en entier et son sommaire détaillé, avec la Question sociale et la Tribune militaire ressaisies, sont ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).