Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

33. Jeudi 20 janvier 1870

La une du journal est consacrée à l’actualité politicienne, étalant en particulier, en un extrait du compte rendu analytique, une dispute entre un « républicain officiel » (Gambetta) et le ministre Ollivier au corps législatif ;

ce qui est suivi par une polémique entre Vermorel et Rochefort, le second ayant accusé le premier d’être employé par la police, c’est une histoire qui va faire long feu et empoisonner la vie de Vermorel ;

on notera quand même l’anniversaire de la mort de Proudhon (il y a cinq ans) et, plus loin, la lettre d’un journaliste du Rappel qui s’est battu un jour avec Victor Noir ;

je ne m’attarderai pas sur la critique d’une pièce en vers appelée « Les Ouvriers », mais noterai qu’elle fait entrer Arthur Ranc parmi les collaborateurs du journal.

Et je cite l’article de Varlin, consacré à la « vraie » vie et à un sujet qui va avoir des suites…

LA PRÉSIDENCE

DES SOCIÉTÉS DE SECOURS MUTUELS

Décidément le pouvoir personnel s’en va par débris.

Du haut jusques en bas, le système édifié par l’homme de Décembre s’écroule de toutes parts.

Voici un député de la majorité qui vient aussi arracher une pierre à l’édifice. M. Boutelier, dans la séance de samedi a déposé un projet de loi ayant pour objet l’abrogation de l’article du décret-loi de 52, qui fait partir du chef de l’État la nomination des présidents de sociétés de secours mutuels.

Quoique nous ne soyons pas disposés à suivre les libéraux de l’empire dans la voie des petites réformes et que nous n’attachions que peu d’importance à toutes ces petites mesures, à toutes ces libertés spéciales que l’on nous accorde avec tant de réticence, nous qui prétendons arriver au plus vite à la possession de tous nos droits, à la vraie liberté, celle qui les contient toutes, nous ne devons cependant pas laisser passer une occasion d’amoindrir l’obstacle qui nous gêne, en attendant que nous puissions l’anéantir complètement. Plus il sera ébranlé, plus il sera affaibli et moins nous aurons de peine lorsqu’il faudra donner la dernière secousse.

D’ailleurs les institutions d’un peuple ne peuvent se changer qu’autant que ses mœurs se modifient. Pour préparer la République, il faut nous habituer à en pratiquer les usages autant que nous le pouvons, dans toutes les occasions.

Lorsque nous serons habitués à faire nos affaires nous-mêmes dans les circonstances ordinaires de la vie, il nous sera facile d’instituer le gouvernement direct, car les questions d’intérêt général ne sont pas plus difficiles que les questions d’intérêt particulier.

C’est ce que les socialistes pratiques ont compris depuis longtemps, et c’est pourquoi ils s’emploient à grouper les hommes pour qu’ils s’occupent de leurs intérêts et s’efforcent d’organiser ces groupements sur les bases les plus démocratiques, les plus conformes aux vrais principes républicains.

Quoique nous ayons souvent été attaqués par certains révolutionnaires, qui nous reprochaient de nous occuper de questions de détail lorsque l’ensemble était à changer, nous avons la prétention d’avoir largement contribué à l’avènement de la révolution en habituant le peuple à la pratique des institutions républicaines.

Voyez nos sociétés ouvrières de toutes sortes : Crédit mutuel, résistance, solidarité, chambre syndicale, etc., partout la présidence autoritaire, dernier vestige de l’idée monarchique, est bannie de nos organisations, partout nos statuts et règlements, nos lois à nous, sont discutés et votés directement par ceux qui doivent les respecter.

Les sociétés de secours mutuels, fort nombreuses en France, se trouvaient malheureusement en dehors de notre action. L’empire avait posé sa griffe sur elles pour en faire un puissant moyen de domination. C’est du reste la seule application que l’auteur de l’Extinction du paupérisme ait faite de son système social.

Organiser les pauvres, les discipliner, leur donner des chefs, afin de s’assurer qu’ils ne pourront agir que conformément à la volonté du maître ; les garantir contre l’excès de la misère, qui est toujours un danger pour l’État, en se servant de leurs propres ressources auxquelles on ajoute, pour les attacher par la reconnaissance, quelques subventions prises sur le compte des contribuables ; voilà le moyen employé par l’empire pour s’attacher la masse pauvre et ignorante.

Heureusement, le pouvoir personnel presqu’illimité, accordé aux présidents de sociétés de secours mutuels, devrait produire le même résultat dans chacune de ces petites associations, que le pouvoir du chef de l’État dans la grande association nationale.

Presque partout, l’arbitraire des présidents a soulevé les sociétaires les plus indépendants et la discorde, les dissensions ont troublé les sociétés.

Aujourd’hui l’expérience est faite : on reconnaît qu’il faut laisser les intéressés régler leurs affaires eux-mêmes, choisir librement leurs fonctionnaires et les révoquer, s’ils outrepassent leurs pouvoirs ou n’agissent pas selon la volonté générale.

Nous devons appuyer cette réforme.

Mais comme je n’ai pas une grande confiance dans le libéralisme du Corps législatif, pas plus que dans le Conseil d’État ni dans le ministère d’aujourd’hui ou de demain, ce que je propose à tous les citoyens qui font partie de sociétés de secours mutuels et qui veulent la suppression des présidents officiels, ce n’est pas de faire des pétitions ni des adresses, mais de demander immédiatement à leurs co-sociétaires de supprimer la présidence dans leurs sociétés respectives.

C’est un procédé révolutionnaire, et je suis convaincu que c’est le seul qui nous permette d’obtenir promptement la réforme que nous trouvons tous si nécessaire.

Si nous demandons, si nous pétitionnons, les législateurs se passeront nos demandes et pétitions de bureau en bureau, ils renverront l’affaire, ils ajourneront à l’année prochaine, à l’année suivante, et nous userons notre temps et notre existence à attendre le résultat.

Nous devons savoir par expérience que les lois ne sont ordinairement abrogées par les législateurs que quand les mœurs publiques les ont annulées de fait en en rendant l’application impossible. Agissons donc !

Quant à moi, j’adresse aujourd’hui même au conseil de la Société de secours mutuels des relieurs, dont je fais partie, ma proposition de supprimer la présidence pour qu’elle soit mise à l’ordre du jour de la plus prochaine assemblée générale.

Quant aux sociétaires timorés qui pourraient craindre que l’autorité ne dissolve leur société s’ils se mettent en dehors de la loi, qu’ils se rassurent. Il n’est pas possible que le gouvernement dans l’état de discipline auquel il est réduit actuellement puisse affronter un scandale, comme celui que produirait la dissolution violente pour tel ou tel motif de sociétés qui ont pour but de soutenir leurs malades ou leurs vieillards.

E. VARLIN

Dans le numéro daté du 24 janvier, on verra des exemples très concrets de ce que fait une de ces sociétés, précisément celle des ouvriers du Creuzot. Dans celui du 27 janvier, un abus présidentiel dans une société d’ouvriers boulangers.

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La photographie vilainement retouchée du bel Eugène Varlin est ici sur une carte postale datant de la première exposition sur la Commune, au Musée de Saint-Denis, en 1935.

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Le journal en entier et son sommaire détaillé sont ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).