Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
50. Dimanche 6 février 1870
C’est (encore) l’amendement Grévy (droit pour le président du Corps législatif de requérir la force armée) qui inspire Rochefort dans son éditorial ;
passons les « Nouvelles politiques » ;
Arnould revient sur la discussion d’avant-hier Leneveux et Jezierski, sous le titre « Le terrain pratique » ;
tiens, c’est Dereure qui fait « La Chambre » aujourd’hui, du coup c’est bref, les députés ne sont pas à l’heure, les ministres pas plus, et c’est presque tout ;
L’Ingénu, dans ses « Échos », mentionne Lucrèce Borgia (mais j’ai anticipé son commentaire avant-hier), il annonce que Coppée, que décidément il n’aime pas (pas si ingénu que ça !), va écrire sur le tournoi d’Eglinton (un tournoi moyen-âgeux, en Angleterre et en 1839, auquel avait participé le futur Napoléon III); il annonce aussi que six prélats sont morts depuis l’ouverture du concile ;
des étudiants en droit de Grenoble envoient leur souscription pour Victor Noir ;
toujours des témoignages dans la « Tribune militaire » ;
cinq inconnus qui n’ont pas été nommés par le journal protestent contre le compte rendu de la conférence de Duprat dans le journal daté du 3 février, leur rectification n’a pas à être accueillie par le journal et Humbert en profite pour redire tout le mal qu’il pense de Duprat ;
Dubuc va mieux et pourra reprendre bientôt la vie militante ;
une section de l’Association internationale des travailleurs se constitue à Batignolles, Verdure donne des nouvelles des grèves ;
Francis Enne signale encore des abus ;
le substitut auquel Rigault s’attaque aujourd’hui s’appelle Charles Mahler ;
parmi les réunions publiques je note qu’une conférence sur Voltaire par Flourens et Rochefort est annoncée pour lundi 7 à huit heures à la salle de la Marseillaise ;
incendie et accidents de voitures dans les « Faits divers » ;
très court compte rendu du Corps législatif ;
beaucoup de souscripteurs pour les deux souscriptions en cours ;
une longue critique de Lucrèce Borgia par Ranc, qui précise que la génération actuelle n’avait jamais vu cette pièce ;
Dereure fait un compte rendu des « Tribunaux » dont le titre m’oblige à le garder.
Les grèves, donc.
Nouvelles des grèves
L’Impartial du Centre annonçait hier qu’au moment où il mettait sous presse, les troupes de la garnison de Nevers partaient, les lanciers pour La Machine et le 12e de ligne pour Torteron (Cher), et différents journaux ajoutaient qu’une grève générale venait d’éclater parmi les ouvriers mineurs de ces localités.
Les feuilles départementales à la dévotion du pouvoir confirment le fait de grève, mais non celui du départ des troupes qui, d’après le Journal de la Nièvre, organe de la préfecture, auraient seulement été consignées. Les feuilles officielles d’aujourd’hui s’accordent du reste à dire qu’aucun acte délictueux n’a été commis par les grévistes et que les travaux ont été repris après vingt-quatre heures d’interruption.
Nous remarquerons toutefois que, d’après le Journal de la Nièvre, un petit nombre d’ouvriers seulement auraient pris part à la grève, tandis que, d’après le Journal du Cher, elle aurait été générale et motivée par une demande d’augmentation du salaire.
Au Creuzot, les représailles et les mesures de rigueur continuent d’être à l’ordre du jour. Avant de partir, l’empereur Schneider a fait appeler devant lui une trentaine de ses contre-maîtres et il les a prévenus qu’il tenait absolument à ce que le contrôle et la discipline les plus sévères fussent exercés dans ses ateliers.
Les ouvriers, aurait-il dit, fréquentent les cercles et lisent trop les journaux. Mon administration est bonne. Ceux qui n’en sont pas satisfaits n’ont qu’à s’en aller. Je ne veux plus de grâce : tout individu qui manquera trois fois de se rendre exactement à l’heure sera renvoyé.
Comme tout cela est paternel ! Et nous lisions, il y a peu de jours, dans quelques organes officieux « que le feu couvait encore sous la cendre. » Ne voilà-t-il pas des mesures qui pourraient bien mettre le feu aux poudres, et donner raison à ces prophètes de malheur ?
Continuez, seigneur Schneider, vous aurez bien mérité de la révolution sociale.
A. VERDURE
TRIBUNAUX
La grève de la guillotine
Que les partisans du couperet se rassurent! Ce n’est pas à Paris que la machine du meurtre a failli faire grève : c’est dans une chétive ville de province, à Saint-Omer, chez les sauvages.
Trois simples charpentiers ont un instant enrayé la justice. Au mois d’avril 1869, ils avaient, malgré la réquisition de M. le commissaire de police, refusé de fournir des ouvriers pour dresser l’échafaud.
Le commissaire traduisit, à deux reprises différentes, les trois entrepreneurs devant le tribunal de simple police qui renvoya les prévenus.
Le procureur impérial de Saint-Omer s’étant pourvu contre ces deux arrêts devant la Cour de cassation, cette Cour vient de rejeter le pourvoi par un jugement dont nous extrayons les considérants suivants :
En admettant que la loi du 22 germinal an IV, qui autorise les procureurs impériaux à requérir certaines personnes à l’effet de faire les travaux nécessaires pour l’exécution des arrêts criminels (dans l’espèce, la construction de l’échafaud), puisse s’appliquer aux patrons comme aux ouvriers, toujours est-il que, pour que le refus de se soumettre aux prescriptions de cette loi soit passible des peines qu’elle édicte, il faut que la personne de qui émane ce refus ait été l’objet d’une réquisition formelle ; une simple invitation ou demande est insuffisante.
Il faut, en outre, que la réquisition ait pour objet la prestation d’un travail personnel à la personne requise, et non pas la fourniture d’ouvriers pour l’exécution de ce travail ; il faut enfin que l’auteur de la réquisition, lorsqu’il n’agit qu’en vertu d’une délégation du magistrat à qui le droit de réquisition appartient, justifie régulièrement de la délégation dont il excipe.
Quand ces circonstances font défaut, le refus échappe à tout répression pénale, aussi bien à celle édictée par la loi du 22 germinal an IV, qu’à celle édictée par l’art. 475, paragraphe 12 du Code pénal.
D’ici à une époque très rapprochée, nous en avons l’espérance, les charpentiers ne seront plus soumis à cette réquisition infâme. On aura fait un beau feu de joie avec les poteaux de l’échafaud et les codes qui ordonnent de tuer au nom de l’équité, et la longue race des bourreaux sera définitivement morte. Bien plus, si quelque nouveau brigand de brumaire venait traîtreusement étrangler notre future République on peut dès à présent affirmer hardiment qu’il ne se rencontrera point, sous la voûte du ciel, je ne dis pas un homme, mais un être à face humaine qui consentirait, même au risque de la vie, à clouer une des planches de l’instrument de l’assassinat juridique, pas un seul qui oserait ressusciter l’exécrable lignée des Samson [Sanson] et des Heindrech [Heidenreich].
S. DEREURE
Il y aura, citoyen Dereure, le feu de joie que vous attendez, dans quatorze mois exactement. Symbolique. Quant à la moins symbolique abolition de la peine de mort, il vous (nous) faudra encore attendre cent onze ans.
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Le portrait de Simon Dereure en couverture date de l’année suivante et vient du musée Carnavalet via cette page, là.
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