Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

47. Jeudi 3 février 1870

Dans son « Journal d’un homme libre », Paschal Grousset brocarde l’empire, qui vient de procéder à un quadrille de préfets ;

dans les « Nouvelles politiques », je retiens l’élection au parlement britannique, dans le comté de Tipperary, d’O’Donovan Rossa, prisonnier fenian (nationaliste irlandais), dont on aura à reparler ;

Arnould encore sur les hésitations de la politique politicienne, « comme si un médecin voulait nous sauver de la fièvre chaude — en nous la laissant » ;

Germain Casse a trouvé la séance à « La Chambre » très ennuyeuse, il s’étend tout de même sur Kératry et les Jésuites ;

après la liberté, c’est l’égalité dans l’enseignement, qui fait l’objet de la « Question sociale » de Millière ;

les « Échos » parlent du mouvement préfectoral ;

la revue de presse aussi (sous prétexte que les nouveaux préfets sont parus au Journal Officiel) ;

je garde la réunion publique de la rue de Flandre pour plus tard ;

ainsi que la description de Pascal Duprat par Humbert dans une autre réunion (qui a dû beaucoup plaire, la description, pas Pascal Duprat, à notre ami Lefrançais) ;

à la suite de son appel pour les ouvrières sans ouvrage (voir le journal daté du 31 janvier), Puissant ouvre une rubrique avec des propositions d’emploi ;

des nouvelles de Belgique et de la chambre syndicale des ouvriers tapissiers de Marseille dans le « Bulletin du travail » ;

la compagnie des tourneurs-repousseurs va se réunir passage Raoul ;

en 1789 à cette date le ciel fut couvert toute la journée et le vent souffla fortement du sud-ouest ;

les « Nouvelles diverses » cèdent la place aux « Faits divers », mais ce n’est qu’un changement de titre, il y a toujours des incendies et des accidents en mer ;

il reste une page et demie de ce grand journal pour le compte rendu analytique du Corps législatif ;

les souscriptions pour le Creuzot et Victor Noir.

J’ai gardé les réunions publiques, surtout à cause de l’inauguration de la salle de la Marseillaise, seulement hier 1er février. Note : les ouvriers canevassiers, ou tisseurs sur canevas, étaient en grève, voir les journaux datés des 25 décembre et 5 février.

Réunions publiques

SALLE DE LA MARSEILLAISE

rue de Flandre, n°51 et 53

Conférence au profit des ouvriers canevassiers

SUR L’ÉGALITÉ DES CONDITIONS SOCIALES

Le citoyen H. Rochefort a inauguré hier la vaste salle qu’il a fait disposer pour réunir ses électeurs, afin d’entretenir avec eux les rapports qui doivent toujours exister entre des mandants et un mandataire dont les pouvoirs, par la force des choses ne peuvent être déterminés d’avance que d’une manière générale.

Dès sept heures plus de trois mille auditeurs encombrent la salle et un nombre à peu près égal de personnes moins heureuses stationnent dans les cours et dans la rue.

La séance est ouverte à huit heures par le citoyen Flourens.

À huit heures et demie, une immense clameur partie du dehors annonce l’arrivée d’Henri Rochefort et se reproduit à son entrée dans la salle.

Après un discours du citoyen Brissac, qui a précédé l’arrivée de Rochefort, les citoyens Millière, Flourens, Terrail et Oudet traitent successivement la question à l’ordre du jour, sous différents points de vue.

Puis à dix heures trois quarts la réunion est levée aux acclamations enthousiastes des auditeurs, qui accompagnent Rochefort à sa voiture et pendant une partie du trajet.

À part un instant de tumulte causé par l’encombrement des personnes qui se pressaient à la porte pour s’introduire de force, la séance a été aussi digne qu’ardente dans ses applaudissements.

Un seul incident est venu y faire diversion.

Comme président, Henri Rochefort a réclamé le silence, afin que le commissaire de police ne fût plus exposé à donner des avertissements non justifiés, ainsi qu’il venait de le faire sur un passage du discours du citoyen Millière.

Le représentant de l’autorité répondit au président : « Je sais ce que je dis : je ne suis pas plus bête que vous. »

— Non, répliqua Rochefort, mais vous êtes plus commissaire de police.

Le commissaire se le tint pour dit, et, grâce à son abstention, la séance ne fut plus troublée.

S.DEREURE

Salle des Conférences

(Boulevard des Capucines)

L’ŒUVRE SOCIALE DE LA CONVENTION

par M. Pascal Duprat

Hier encore, au boulevard des Capucines, programme séduisant. Il est difficile en effet de trouver un sujet plus intéressant, plus vaste et plus fertile en enseignements que celui qui attirait hier les auditeurs à la salle des Conférences. Ce n’est pas un discours, c’est un livre sérieux, étudié, complet, qu’il faudrait faire sur l’œuvre sociale de la Convention.

Malheureusement le nom de l’orateur inscrit ne pouvait nous laisser aucune illusion et ne nous permettait guère d’espérer autre chose que le dénigrement perfide et systématique de l’œuvre révolutionnaire. M. Pascal Duprat a dépassé nos espérances. De tout son long discours, nous n’avons retenu que quelques phrases banales sur les institutions créées par la Convention, une anecdote sur l’origine de l’expression fruits secs employée dans l’argot des écoles, deux ou trois allusions, comme on en fait aux Débats, à la politique du jour, — et puis l’apologie de toutes les idées conservatrices et la réhabilitation des hommes de la Réaction.

M. Pascal Duprat parle debout. Il porte la tête comme un apôtre, et il laisse tomber les paroles avec une onction doucereuse, affectée, rendue plus agaçante encore par un accent méridional qui fatigue rapidement et mêle quelque chose de comique à la gravité de son attitude. Cet homme ne semble pas avoir conscience de la terrible responsabilité qui pèse sur lui. La tache du sang de Juin ne paraît pas sur son front ; il sourit en débitant des malices contre le pouvoir personnel, comme s’il ignorait ou feignait d’oublier qu’il a porté le premier la main sur la République de 1848, et préparé Bonaparte en armant Cavaignac. [C’est aussi ce que lui reproche Lefrançais.]

Dès les premiers mots nous avons pu reconnaître que M. Pascal Duprat n’a pas changé. Sous prétexte de venger la Convention et de disculper sa mémoire, il passe l’éponge sur tout ce qu’elle a fait de grand et met soigneusement en lumière ses faiblesses et ses fautes. Son unique souci, dans l’étude qu’il fait de l’œuvre sociale de la Convention, semble être de démontrer que la grande Assemblée révolutionnaire n’a jamais eu une idée sociale.

« Ce point de vue, dit-il, ne dominait pas encore les esprits. » Aussi, avec quelle complaisance il raconte les colères de la Montagne contre Chabot qui ne parlait de rien moins que de supprimer la propriété ; avec quel dédain il rappelle l’insuccès et la fin terrible de la tentative héroïque et désespérée de Babeuf.

Et comme il glisse habilement sur les décrets « qui violaient la liberté du commerce et de l’industrie » le maximum, l’interdiction de l’exportation des numéraires et des produits nationaux, des biens nationaux, etc. — Il ne faut point s’y arrêter. — Ce n’est rien, nécessités de la guerre, rien de plus. Passons vite, le nom de Marat pourrait venir écorcher la bouche du conférencier, et s’il allait, par hasard, évoquer le souvenir de la commune de Paris, M. Duprat se brouillerait du coup avec M. J. Favre.

M. Duprat n’est point un démagogue. Ce qu’il admire le plus dans « l’œuvre sociale de la Convention » c’est le projet de Code civil, rédigé par Cambacérès et volé par le consulat à la Convention. Malgré quelques dispositions plus équitables et plus généreuses qui différencient le projet de Cambacérès du code Napoléon, nous pensons que les auteurs de la Constitution de 1793 ont à l’admiration de la postérité d’autres titres que celui-là.

M. Victor Considerant, l’ancien représentant du peuple, condamné par la république bourgeoise, assistait au commencement de la séance. Il s’est retiré presque aussitôt, sans doute quand il s’est trouvé en présence du proscripteur de 48, le proscrit de 49 [affaire du 13 juin 1849] a senti se réveiller en lui tous les tristes souvenirs d’autrefois.

L’homme de l’état de siège et de la dictature militaire peut bien, sous l’empire, qui a profité de son crime, essayer de ne plus se souvenir. Mais la génération qu’il a condamnée à la mort et à l’exil, et celle qu’il a condamnée à l’empire, ne peuvent point oublier.

HUMBERT

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Le dessin de Gill, qui représente Alphonse Humbert en novembre 1879, après… la Commune, la déportation en Nouvelle-Calédonie, la grâce, le retour et l’élection au Conseil de Paris, vient du musée Carnavalet, via cette page, là.

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Le journal en entier et son sommaire détaillé et la Question sociale ressaisie, sont ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).