Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

51. Lundi 7 février 1870

Retour du « Premier venu » qui signe des propos sur « l’éternelle question des deux pouvoirs » ;

je passe les « Nouvelles politiques », pas très passionnantes ;

le gérant de la Marseillaise, Simon Dereure, est assigné à comparaître mardi 8 (après-demain) ;

nous en apprenons un peu plus sur ce qu’a dit Flourens sur Shakespeare (voir le journal daté du 31 janvier), en tout cas il est inculpé ;

dans « La Chambre », Germain Casse rend compte de ce qui sera la dernière intervention de Rochefort, à propos des deux soldats transportés en Afrique pour avoir assisté à une réunion publique ;

un bon vieux mauvais jeu de mot de L’Ingénu, dans ses « Échos », depuis son retour à Paris, Schneider serait doué d’un appétit dévorant,

des événements comme ceux qui se sont produits, ça creuzotte  ;

c’est au profit de Gaillard, tombé malade à Pélagie, que Rochefort et Flourens parleront de Voltaire demain lundi (voir les journaux datés des 22 et 23 décembre pour son arrestation) ;

encore une couronne pour Victor Noir, celle-là arrive du Mans ;

encore des abus de la police ;

Alphonse Humbert a entendu parler du bourgeois salle des Conférences ;

un vicaire a tué l’enfant qu’il avait fabriqué avec la sœur de son curé, cela se passe en Moravie et dans les « Faits divers » ;

dans le compte rendu analytique, il apparaît que c’est Gambetta qui a posé la question sur les deux soldats, il y a quelques jours, et que Rochefort a voulu lire quelques extraits de leurs réponses, dans de grands bruits et interruptions divers ;

on continue à souscrire ;

Dereure rend compte des tribunaux ;

il me reste à noter encore deux annonces, pour le journal la Libre pensée et pour la salle d’armes de la rue d’Argout.

Je garde la suite de la conférence Shakespeare et la conférence sur le bourgeois.

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Les dénonciations de certains journaux commencent à porter fruit.

Notre ami Gustave Flourens vient d’être cité devant M. de Lurcy, juge d’instruction, à l’occasion de la conférence sur Shakespeare, présidée par Rochefort. [voir le journal daté du 31 janvier]

Dans cette conférence, il avait dit qu’à côté des défroques du premier empire et du bric-à-brac de Sainte-Hélène devraient figurer au Musée des souverains

le couteau de Ravaillac et certaine balle que l’on ne tardera pas à y mettre.

Le citoyen Flourens voulait parler de la balle avec laquelle M. Bonaparte vient d’assassiner notre ami Victor Noir.

On a cru voir là une allusion à une autre balle… qui n’est pas encore fondue.

L’inculpé a refusé de répondre au juge d’instruction.

COLLOT

Salle des Conférences

(Boulevard des Capucines)

LE BOURGEOIS

par M. Victor Lefebvre

On avait tant parlé de la première conférence faite par M. Lefebvre, sur le Bourgeois, que nous n’avons eu garde d’oublier hier de nous rendre à la salle du boulevard des Capucines.

Malgré la sympathie que nous inspirait par avance le talent si pittoresque du conférencier-laboureur, nous ne nous attendions certes pas à tout ce que nous avons vu et entendu, et nous sommes encore à nous demander comment M. Victor Lefebvre a osé entreprendre de réhabiliter le peuple et de prononcer la condamnation de la bourgeoisie devant un public payant trois francs sa place, et comment il a pu mener à bonne fin, sans trébucher une fois en route, cette œuvre difficile et courageuse.

Ce n’était plus la banale conférence d’autrefois, la conférence du Monsieur en habit noir, parlant des Grecs et des Romains, la conférence à la Sarcey. Dans une salle élégante, au milieu du quartier le plus aristocratique de Paris, en présence d’un public brossé, ciré, ganté, verni, devant des femmes en plumes et falbalas, — une réunion publique ! Une réunion comme à Belleville ou à Clichy, une vraie réunion avec son président, son orateur et son commissaire de police, une séance de club enfin, avec discours, incidents, avertissements, discussions, interruptions et finalement… dissolution !… En voilà plus qu’il n’en fallait pour nous étonner. — Mais ce qui nous a semblé plus curieux et plus significatif encore, c’est que ce public si choisi, si bourgeois, a fait absolument comme celui des clubs socialistes si redoutés et si calomniés : il a religieusement écouté la lecture du livre de M. V. Lefebvre, applaudi tous les mots heureux, salué de ses acclamations toutes les grands idées, hué le commissaire de police et protesté énergiquement contre les abus de pouvoir que s’est plusieurs fois permis cet inintelligent représentant de l’autorité.

Il a fait plus encore, il s’est associé par ses bravos à l’indignation qui faisait trembler la voix de l’orateur quand il a parlé des parasites et des ventrus insolents qui vivent sans remords, dans le luxe et la paresse, aux dépens du peuple travailleur ; il s’est ému aux récits des courageux et stériles efforts que fait depuis tant d’années ce peuple pour sortir de sa misère et conquérir sa place au soleil de la liberté et du bien être ; il a éclaté en applaudissements au souvenir des paroles par lesquelles le général Foy, en 1821, flétrissait l’aristocratie en la définissant : « la coalition de tous les repus, de tous les fainéants, qui veulent consommer sans produire et vivre sans travailler ; » il a écouté en frémissant, triste et comme honteux, la longue histoire des révolutions égoïstes et des trahisons effrontées de la bourgeoisie libérale, c’est-à-dire de la bourgeoisie bavarde, hypocrite, capitaliste, exploiteuse, ergoteuse et menteuse ; il a applaudi l’apologie du socialisme ; il a ri enfin de la petite révolution prudhommesque de 1848 et songé un instant à celle que le peuple prépare pour demain.

C’est bon signe. Si la bourgeoisie n’a plus peur du socialisme et de la République, plus peur du spectre rouge et de la liquidation sociale, si elle comprend enfin que ses intérêts sont ceux du peuple, si elle se décide à profiter des enseignements des socialistes qui depuis vingt ans lui démontrent par les chiffres que les prélèvements du capital sur le travail se font au profit exclusif d’un petit nombre de capitalistes, et, qu’après tout, elle est encore plus exploitée qu’exploiteuse, si la bourgeoisie ose, si elle veut se réconcilier franchement avec le peuple, marcher dans sa voie, confondre sa cause avec celle du prolétariat, alors il faut que ceux qui attendent l’avènement de la justice soient non-seulement pleins de courage, mais encore pleins d’espoir, car la Révolution est prochaine.

À ne rien dissimuler, cependant, la plus grande partie du public n’en a pas vu si long et, sans doute, il faut faire la part du talent de l’orateur. On applaudissait cet esprit fin, délicat, ce langage pur, élevé, ému, cette science du pittoresque, ce fini et cette précision du détail qui ont fait placer par quelques-uns M. Victor Lefebvre à côté de Paul-Louis Courrier [Courier], — plus encore peut-être que l’idée profondément révolutionnaire qui éclate à chaque instant dans l’étude spirituelle dont M. Lefebvre a continué hier la lecture. Quoi qu’il en soit, il est certain que cette expérience a été profitable à la cause démocratique puisque le commissaire donnait des signes de fureur et qu’il en a perdu la tête au point de donner un avertissement à la lecture d’un passage déjà lu à la séance précédente et qu’il avait laissé passer une première fois sans observation.

Au troisième avertissement, l’agent de M. Pietri a levé la séance. On venait de rire un peu aux dépens de M. É. Ollivier.

ALPHONSE HUMBERT

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Le portrait de Napoléon Gaillard utilisé en couverture vient de Gallica, là.

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Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).