Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
78. Mardi 8 mars 1870
Dans ses « Fantaisies politiques », Dangerville revient sur la chasse à l’homme (voir le numéro daté du 5 mars) sous le titre « Au voleur ! » ;
Francis Enne ironise, dans les « Nouvelles politiques », sur tous les allées er venues des centres et de toutes les gauches et nous apprend que l’honorable M. Schneider est au Creuzot où les affaires ne vont pas à sa guise ;
demain recommencent les travaux du Corps législatif, ajoute Habeneck ;
dans le « Courrier de l’extérieur », une nouvelle rubrique, A. de Fonvielle nous informe sur les États-Unis et leur non-intervention pour soutenir les insurgés cubains, sur l’Allemagne en cours d’unification, il s’interroge sur l’attitude française, jette un œil du côté de l’Espagne et conclut que la France n’a jamais autant fait étalage de sa puissance militaire et pourtant qu’elle n’a jamais compté pour si peu de chose ;
de la Santé, Gromier et Brunereau continuent à informer le journal, le premier (contrairement à ce que dit le Journal officiel) qu’il n’a toujours pas été interrogé et son ami qu’il vient d’apprendre qu’il est accusé d’hospitalité (voir le journal daté du 5 mars) ;
c’est les tribunaux d’exception qu’envisage aujourd’hui Jacques Maillet dans la « Question sociale », qui n’a pas parlé des
tribunaux militaires parce que, sous la République, il n’y aura plus d’armées permanentes ;
Malon parle de l’idée sociale dans le passé ;
Louis Noir revient sur la lettre qui a fait condamner Fonvielle, et s’indigne que le jugement ait « prouvé » que cette lettre avait été écrite par un journaliste et pas par un soldat à cause de son style, c’est la « Tribune militaire » ;
je passe les « Échos » ;
un article du Temps sur la haute cour recueille l’assentiment de Morot et de la rédaction ;
Cluseret écrit, de New-York, à son ami Ulric de Fonvielle, à propos de l’assassinat de Victor Noir et de la presse américaine plus ou moins achetée par Bonaparte ;
et Ulric de Fonvielle fait « Les Journaux » ;
Antoine Arnaud écrit son deuxième article sur « La question des chemins de fer » (et est révoqué de la compagnie PLM) ;
un habile photographe a reproduit la scène relative à l’enlèvement de Rochefort mais la vente de cette photographie est interdite à Paris ;
suite, dans « Les Tribunaux », d’une condamnation de Vermorel, des jugements des arrêtés en février, du (long) jugement contre la Réforme ;
mais il reste un peu de place pour les rubriques habituelles.
Je choisis Malon. J’ai corrigé l’orthographe de certains noms propres, mais j’ai gardé les titres d’œuvres tels qu’ils sont apparus dans le journal.
De l’idée sociale dans le passé
Par ce temps où tant de consolants symptômes annoncent le prochain triomphe du socialisme, il ne saurait être inutile de jeter un coup d’œil rétrospectif sur la formation et le développement des idées sociales. Jusqu’au commencement du siècle, elles sont généralement restées communistes. Les auteurs anciens voyaient le mal dans l’abandon de l’égalité primitive, poétisée sous le nom d’âge d’or, et le remède dans la réalisation d’un état social ayant l’unité pour base, la communauté pour principe, l’égalité pour but. On cite plusieurs essais de communisme.
Selon Justin, l’égalité régnait chez les premiers habitants de l’Italie ; selon César, chez les premiers Germains. Les Scythes vivaient en communauté, au rapport de Strabon ; il en était de même des Crétois, d’après Aristote, et d’une secte d’anciens Indiens, d’après Diodore de Sicile. Les Spartiates sont restés célèbres. Platon, qui regrette l’égalité dans laquelle auraient vécu les anciens peuples, ne voyait pas la possibilité de fonder une législation juste et durable sans établir en même temps le régime de l’égalité et de la communauté des biens.
Tacite affirme que la perte de l’Égalité a été le signal des dominations et des crimes. La communauté fut également pratiquée par les Pythagoriciens et les disciples d’Épicure. La tradition ne s’interrompt pas. Josèphe donne des détails sur les communautés des Thérapeutes et des Esséniens. Tout le monde sait que les premiers chrétiens, et plus tard les Gnostiques, vécurent en fraternité communautaire. (Voyez Villegardelle, histoire des idées sociales avant la Révolution française). On peut mentionner les tentatives faites ultérieurement par les Albigeois, les Vaudois, les Lollards, les Anabaptistes, les Jésuites au Paraguay, les Moraves, les communiers d’Auvergne, les Mormons, les colonies de Pierre Leroux, les Icariens.
Les apologistes de la doctrine ne sont pas les plus obscurs des écrivains. Citons simplement : Platon (la république), Luc l’évangéliste (Actes des apôtres), Jean Chrysostôme, Grégoire de Nysse, Ambroise de Milan (Homélies), Campanella (cité du soleil), Bacon (Atlantide), Thomas Morus (Utopie), Fénelon (Télémaque), Morelly (Basiliade, code de la nature), Harrington (Océana), Mably (la législation ou principe des lois), Mercier (mon bonnet de nuit), Faiguet (Associations d’Auvergne), les Babouvistes (tribun du peuple), Cabet (voyage en Icarie), de Tourreil (fusionisme), Robert Owen, Ferdinand Lassalle (ouvrages divers), Tchernychewsky (Que faire?) — Nous passons les moins connus.
Au XIXe siècle, l’idée sociale perdit son unité première. Les nouveaux réformateurs, qui ne tardèrent pas à recevoir le nom collectif de socialistes, s’occupèrent plus exclusivement de l’idée de liberté. La distribution communiste fit place à la répartition proportionnelle. Voici du reste un aperçu rapide sur les quatre écoles socialistes qui ont le plus attiré l’attention ; le Saint-Simonisme, le Fouriérisme, le Mutuellisme et le Positivisme.
Le Saint-Simonisme prend pour devise : À chacun suivant ses capacités, à chaque capacité suivant ses œuvres. C’est loin de la formule communiste : De chacun selon ses facultés, à chacun selon ses besoins. L’état industriel du Saint-Simonisme est tout ; il fait tout : c’est lui qui classe les capacités, qui distribue les fonctions, qui préside au travail de tous et qui pourvoit à la distribution des richesses. Le père de la grande famille n’est autre qu’un pape social. Le Saint-Simonisme reste recommandable pour avoir, le premier, en pleine orgie impériale, prédit la chute du gouvernement militaire et son remplacement par l’état industriel.
La découverte de Fourier, dit M. Renaud, un de ses disciples, n’est autre chose que l’étude des deux grandes lois de la nature qui assurent, dès qu’elles sont appliquées, la première, l’ordre universel, la seconde, la liberté de tous les êtres.
1° La série distribue les harmonies. Ordre.
2° Les attractions sont proportionnelles aux destinées. Liberté.
La grande loi sériaire, appliquée à l’organisation sociale, se traduira encore sur la terre par l’ordre le plus parfait, et cet ordre se conciliera avec la liberté la plus absolue, car pour s’organiser et fonctionner dans la phalange, les hommes n’auront à suivre qu’un seul guide, l’attraction, à obéir qu’à leurs tendances, à écouter que leur volonté.
Hommes, femmes, enfants, indépendants les uns des autres, quant à l’emploi de leurs facultés, suivront donc leurs aptitudes et iront au bien, sans qu’il soit nécessaire de les y pousser par la prédication, de les y maintenir par la loi ; et c’est seulement du travail attrayant que peut naître la liberté. Le côté économique de la doctrine se conforme à la formule : Association du travail, du capital et du talent.
L’école mutuelliste ou proudhonnienne veut pour chaque travailleur la possibilité de se procurer son outillage et la libre disposition du produit intégral de son travail. La prélibation capitaliste est ainsi abolie. Organisation sur les bases de la gratuité et de la réciprocité du crédit et de l’échange. Dissolution de l’État politique dans l’organisme économique. Fédération des communes, assurances mutuelles libres, services publics à prix de revient. La famille est la molécule sociale, elle doit être maintenue avec la prédominance de l’homme sur la femme et sur l’enfant. En résumé, le crédit à l’ouvrier, la terre aux paysans, et après égal échange, service pour service, produit pour produit, liberté, réciprocité.
Le côté social du positivisme établit :
1° La richesse sociale, dans sa source et dans sa destination, doit néanmoins recevoir une appropriation personnelle pour être employée avec indépendance au service de l’humanité ;
2° Le revenu du capital doit être affecté au développement des agents qui le produisent et à celui des instruments ; la part prélevée par son possesseur, pour son entretien particulier, étant réglée (moralement) avec la plus sage économie.
3° La possession de la richesse étant une fonction sociale, elle doit être transmise d’après le principe de l’hérédité sociocratique. Chaque possesseur du capital peut et doit instituer lui-même pour son successeur celui qu’il aura reconnu comme le plus digne. Au point de vue statique, le grand être (l’humanité) peut être considéré comme poussé par le sentiment, éclairé par l’intelligence, soutenu par l’activité, d’où trois éléments constitutifs de l’ordre social, — le sexe affectif ou les femmes, s’exerçant dans la sphère familiale, la classe contemplative ou le sacerdoce et la force pratique ou les hommes actifs, se divisant en patriciat (entrepreneurs) et en prolétariat.
Dans un prochain article nous parlerons de la nouvelle physionomie que l’explosion de 48, les persécutions de la réaction et les découvertes scientifiques ont imprimée au socialisme. Nous donnerons également quelques détails sur l’idée collectiviste qui semble prédominer dans les classes ouvrières, et notamment parmi les membres de l’Internationale.
B. MALON
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La « photographie » de Flamant vient du musée d’Orsay, ici. Elle porte le titre M. Rochefort arrêté rue de Flandre, le 7 février 1870. Ce n’est (évidemment!) pas un instantané… et elle est interdite à la vente!
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Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).