Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

77. Lundi 7 mars 1870

Après les annonces rituelles, voici une lettre de la Bastille, et cette fois c’est elle que je vais garder ;

dans les « Nouvelles politiques », une chose dont je n’ai pas parlé, une possible amnistie le 16 mars, anniversaire du prince impérial (mais Ollivier est contre) ;

Arnould parle, dans son « Courrier politique », du suffrage universel, mais

n’est-il pas à Pélagie, sous les verrous ?;

je passe un billet d’Habeneck ; ah ! les citoyens de Lyon, ceux de la couronne à Rochefort dans le journal d’hier, c’étaient des citoyennes, la gratitude est la même, cependant, A. de Fonvielle est heureux de constater l’adhésion que les femmes donnent à la cause (masculine) révolutionnaire,

c’est par la femme que le prêtre a si longtemps maintenu sa domination exécrable sur la société ; c’est par la femme que la révolution triomphera

(j’ai envie d’appeler ça du sexisme bienveillant, mais c’est anachronique, alors je ne le fais pas) ;

Raspail va mieux ;

une lettre signée Langlois est arrivée (les lecteurs assidus peuvent trouver ça drôle, pour les autres : ça n’a pas grand intérêt) ; Fonvielle parle du budget ;

Jacques Maillet poursuit les tribunaux civils ;

les ouvriers charpentiers de Paris, les ouvriers mécaniciens du Havre et les sociétés corporatives de Normandie se retrouvent dans le « Bulletin du mouvement social » et sous la plume de Verdure ;

encore une anagramme dans les « Échos », M.P.N (pour Pierre Napoléon) Bonaparte fait « Bap. Tropmann » (outre le fait que Troppmann prend deux « p », je me demande où est passé le « e ») ;

Morot s’étonne qu’aucun (autre) journal n’ait parlé de la chasse à l’homme (voir le journal d’hier) ;

Victor Lefebvre, vous vous souvenez (on en a parlé dans les journaux datés 7, 13 et 28 février), écrit au ministre de l’intérieur, Chevalier de Vandrôme, non Chevandier de Valdrôme, qui ne lui a pas répondu et persiste à l’interdire de conférence, il ouvre une souscription pour sa brochure « Le bourgeois » (l’idée est de pouvoir inviter les souscripteurs à une réunion… privée) ;

c’est encore de la compagnie PLM, de la façon dont elle traite ses ouvriers et leurs familles, et de ses patrons, qu’il est question dans la « Tribune des employés », sous la plume d’une victime du travail dans cette compagnie ;

Humbert et Rigault, toujours à la Santé, protestent que le journaliste du Moniteur cité dans le journal daté du 5 mars les ait décrits comme abattus, alors qu’ils sont pleins d’ardeur et d’espoir ;

un autre détenu, Fontaine, dont il était d’ailleurs question dans le même article, écrit lui aussi pour raconter comment son fils et lui ont été arrêtés ;

c’est au commissaire des Enfants-Rouges que Habeneck s’adresse, on a bien perquisitionné chez lui, mais on ne lui a pas rendu sa clef ;

se réunissent les feuillagistes, fleuristes et plumassiers, d’une part, les ouvriers tailleurs de l’autre ;

des réunions publiques sont annoncées, dont une conférence de Crémieux sur La Boétie, dont nous reparlerons ;

aux « Tribunaux » passent les cris séditieux et offenses à l’empereur de Bazire (il nous a raconté lui-même ce qui s’était passé dans la journal daté du 15 février), l’avocat impérial Aulois semble s’en être donné à cœur joie (s’il a lu l’article que Rigault lui a consacré dans le journal daté du 22 janvier, ça ne m’étonne pas !) ;

la rubrique « Variétés » publie un extrait du Précis de l’histoire de la Révolution française de Ernest Hamel, qui vient de paraître.

La parole est au citoyen Paschal Grousset.

LETTRES DE LA BASTILLE

Sur deux cents détenus politiques de la Santé ou de Pélagie auxquels on poserait cette question insidieuse :

— Quelle différence y a-t-il entre un gouvernement personnel et un gouvernement parlementaire ?

Je gage qu’on n’en trouverait pas un qui ne répondît cordialement :

— Aucune !

Et il faudrait être étrangement infecté du virus bonapartiste pour ne pas reconnaître que ces citoyens ont leurs raisons pour faire cette réponse.

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Cependant, les auteurs spéciaux sur ces matières monarchiques s’accordent à reconnaître qu’il y a entre l’une de ces formes de despotisme et l’autre une différence qu’ils considèrent comme essentielle.

Dans la première, disent-ils, c’est la nation qui pousse la stupidité jusqu’à prêter serment de fidélité au maître qu’elle a été assez bête pour se donner.

Dans la seconde, c’est au contraire le maître susdit qui jure à la Nation d’être bon prince, et de ne pas sortir des termes d’un certain contrat, auquel on donne le nom de Charte.

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Il serait certainement oiseux de démontrer que cette fameuse différence est tout ce qu’il y a de plus imaginaire ; que la parole d’un roi est la plus détestable des signatures ; que, dans tous les temps et dans tous les pays, les chartes ont toujours été violées ; qu’elles n’ont même jamais été faites que pour cela, et que, dans l’un des systèmes comme dans l’autre, c’est toujours, en définitive, le peuple qui est tondu et pas content.

Mais enfin, nous pouvons accepter pour un instant cette distinction subtile, ne fût-ce que pour être désagréable à nos adversaires, et ce faisant nous rafraîchir un peu l’âme.

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Et nous leur disons :

— Vous assurez que l’empire s’est transformé ; qu’une « révolution pacifique » s’est opérée, et que nous nageons en plein régime parlementaire.

Ce serait vrai que nous n’en pleurerions pas de joie, puisque ce n’est pas le gouvernement d’une minorité privilégiée, mais le gouvernement direct de tous que nous voulons.

Mais encore faudrait-il prouver que vous ne mentez pas, selon votre antique habitude.

Voyons vos preuves. Montrez patte blanche.

Exhibez votre charte.

Absence totale de charte ?

Jusqu’à ce que vous en ayez accepté une, jusqu’à ce que le chef de l’exécutif soit venu faire amende honorable et prêter serment à la nation, nous serons donc plus en droit que jamais de déclarer que vous êtes de simples farceurs, et qu’il n’y a rien de changé dans le plus personnel des régimes.

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Prêter serment ! vous en prendriez aisément votre parti ; nous n’en doutons point.

Que ne feriez-vous pas pour trente-cinq millions de liste civile !

La Charte prescrirait que le chef de l’exécutif sera astreint à quinze jours de corvée par mois, — de la corvée si bien décrite ici-même par Louis Noir — que le marché semblerait encore acceptable.

Mais voilà !… Ne prête pas serment qui veut. Il y a des gens à qui c’est défendu.

On sait le conte du berger, qui criait toujours : Au loup ! pour faire pièce à ses voisins. Le jour où le loup vint, personne n’y crut plus. Cette histoire est aussi celle des « pasteurs des peuples. »

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Supposons que Charles-Louis-Napoléon Bonaparte s’avise un de ces jours de présenter au peuple français une charte, la plus supérieurement orchestrée ; qu’il convoque ce que l’on appelle, sans doute par antithèse, les grands corps de l’État, et qu’après avoir écouté d’un air contrit la lecture de ladite charte, il place sa main au niveau de sa cinquième côte gauche, et dise :

— Je le jure !

Je le demande, quel effet produirait cette cérémonie renouvelée de l’ancien répertoire ?

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Le peuple français, qui n’est pas encore tout à fait idiot, en dépit des dix-neuf ans d’empire, ne manquerait pas de dire :

— Tiens, tiens ! mais est-ce que Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, ici présent, n’est pas le même qui vint, voilà tantôt vingt-deux ans, prêter à la Constitution républicaine un serment tout analogue ?

N’est-ce pas lui qui avait la même main sur la même cinquième côte ?

N’est-ce pas lui qui dit de la même voix émue, avec le même accent hollandais, le même, — Je le jure ?

N’est-ce pas lui qui ajouta à ce serment un petit bout de discours dans lequel il déclarait qu’il serait le dernier des misérables s’il manquait à sa parole ?

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Eh bien ! il a reçu quelques légers coups de canifs ce serment-là !

Dissolution de l’assemblée nationale, arrestation des représentants du peuple, état de siège, mitraillades, déportations, exils, renversement de la République, proclamation de l’empire. — Voilà comment Charles-Louis-Napoléon Bonaparte a tenu sa parole du 20 décembre [1848, où il promit: En présence de Dieu et devant le peuple français représenté par l’Assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la République démocratique une et indivisible et de remplir tous les devoirs que m’impose la Constitution.].

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S’il vient nous en donner une autre, ce serait peut-être le cas de se méfier.

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Telles seraient les réflexions du peuple français. J’en fais juge le lecteur impartial, est-ce qu’elles seraient si sottes ?

L’empire le sait bien. Il n’ignore pas que son origine même le prive du droit civique de serment, et que le régal d’une charte lui est interdit.

On dit d’un récidiviste qu’il est condamné aux travaux forcés à perpétuité : il est, lui, condamné au pouvoir personnel à vie.

Qu’il ne s’impatiente pas au demeurant : il ne saurait en avoir pour bien longtemps encore.

LE NUMÉRO 444

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Encore un portrait de l’élégant Paschal Grousset, celui-ci dû à Vernier et venant des bibliothèques spécialisées de Paris, là.

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).