Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

102. Vendredi 1er avril 1870

Barberet répète l’information sur la séquestration du citoyen Rochefort ;

les « Fantaisies politiques » signées Dangerville réapparaissent avec leurs lanternes sous le titre « Les deux verdicts » — dans le roman de cette histoire, c’est le fils de huit ans de Rochefort qui faisait sortir ses articles, et même quand il ne pouvait entrer dans la prison, ils lui arrivaient jetés par une fenêtre; le deuxième des verdicts en question est celui des électeurs de la troisième circonscription de Lyon qui enverront Fonvielle au Corps législatif ;

des électeurs de cette circonscription ont d’ailleurs envoyé leur soutien à ce candidat au journal ;

un nommé Crestin s’est prononcé dans le même sens et avec humour dans le Progrès de Lyon ;

« Mon interrogatoire » date du 18 mars et c’est celui de Millière (je vous le garde) ;

il y a de nouvelles arrestations ;

Arthur Arnould commence son « Courrier politique », sous le titre « Le double courant », en affirmant

La vraie politique, suivant nous, n’est pas cette politique surannée qui agonise piteusement sur les bancs du Palais-Bourbon.

ce qui justifie toutes les fois où j’ai négligé cette politique surannée dans les semaines qui précèdent,

jamais la Révolution ne sortira du Parlement ;

dommage que je n’aie pas assez de place pour les « Nouvelles politiques » de Francis Enne ;

Collot continue à s’acharner contre le Professeur Tardieu, qui ne manque pas complètement de courage, puisqu’il est revenu se faire huer par un amphithéâtre archiplein, qu’il a fini par abandonner (mais Collot n’abandonnera pas, il nous promet une suite) ;

sous le titre « Un dilemme », Barberet discute quelques questions posées par le Times à propos toujours du verdict de Tours ;

je passe les « Échos » ;

c’est en tant que secrétaire de la Commission consultative des Sociétés ouvrières qu’Augustin Verdure signe « Les Chambres syndicales et la légalité »,

Le fait de s’associer, dans le but de soutenir des grèves et de maintenir les salaires à un certain taux, pouvait être considéré comme illicite avant la loi qui assure la liberté des coalitions [grèves]. Il n’en est plus de même aujourd’hui.

il s’agit d’engager les citoyens à en profiter ;

encore des commerçants contre l’impôt ;

c’est aussi Verdure qui signe l’article sur la gréve du Creuzot, que je garde, comme d’habitude ;

les « Communications ouvrières » concernent l’union des ouvriers charpentiers, la chambre syndicale des ouvriers marbriers, je vous garde l’ « Appel aux ouvriers boulangers » ;

je passe les réunions publiques ;

aux « Tribunaux », Briosne et Lefrançais, en prison actuellement, ont formé une opposition contre un jugement ;

Ranc a vu Dalila au théâtre ;

et les sténographes ont vu une séance au Corps législatif dont ils nous produisent un compte rendu (voir l’article d’Arthur Arnould ci-dessus) ;

le théâtre à nouveau pour finir.

Je ne résiste pas à l’article touchant de Millière, même s’il est un peu long.

MON INTERROGATOIRE

Mazas, 18 mars

Je viens enfin de subir mon premier interrogatoire.

Il est instructif.

Sans prévoir quand et comment je pourrai vous en envoyer le récit, je l’écris, dès ce soir, pour l’édification publique.

Je dis premier interrogatoire, car je ne compte pas la judaïque [?] formalité du lendemain de notre arrestation, ni les exhibitions dégoûtantes qui ont suivi.

On sait comment les choses se passent.

— Vous êtes accusé d’avoir volé les tours de Notre-Dame. Qu’avez-vous à répondre ?

— Je ne réponds pas.

— Voulez-vous signer ?

— Je ne signe pas.

— Emmenez l’accusé !

Est-ce là l’interrogatoire prescrit par la loi ?

Non. Du 8 février il m’a fallu arriver au 18 mars pour savoir ce qu’on m’impute.

Par un monstrueux abus de la force, nous avons été privés arbitrairement de notre liberté, brutalement enlevés à nos familles, à notre travail, à nos affaires, et jetés dans les cachots où nous sommes encore enfermés et il a fallu quarante jours pour découvrir, quoi ?

Que j’ai fait une conférence publique à la salle de la Marseillaise, le 1er février, sous la présidence du député de la 1re circonscription.

Et que j’assistais à la réunion du 7 février, après la dissolution de laquelle Flourens a proclamé l’insurrection.

Voilà à quoi on a abouti, après quarante jours des plus laborieuses investigations.

Ce n’était pourtant pas bien difficile. Ces deux faits se sont passés publiquement. Je ne les ai jamais cachés. Je n’avais pas à les nier.

Mais on sentait qu’ils ne pouvaient motiver des poursuites contre moi. Il fallait un autre prétexte. On chercha un complot. Malgré toute la bonne volonté de la police, on n’a pu en réunir les premiers éléments. Après quarante jours, on est obligé de se rabattre sur l’attentat, et, pour m’impliquer dans l’accusation dirigée contre Flourens, on a imaginé deux moyens :

D’une part, on fait remonter l’attentat à sept jours. Un commissaire de police fabrique un procès-verbal, à sa façon, de la conférence du 1er février ; il m’impute des paroles que je n’ai pas prononcées, et il attribue à celles que j’ai dites un sens faux, contre lequel j’avais immédiatement protesté, lorsqu’il avait averti le bureau.

D’autre part, on prétend me rendre complice des faits du 7 février, auxquels je n’ai point participé, que j’eusse désapprouvés, si j’avais été consulté, et que j’ai déplorés comme très nuisibles à la cause sacrée que nous défendons.

En vérité, il eût été oiseux de répondre à de semblables imputations. Si on ose les reproduire dans un débat public, il sera temps d’en faire justice. Elles me procureront l’occasion de proclamer, une fois de plus, le droit du peuple et le devoir des citoyens, tel que je les comprends.

Quand M. Bernier me soumit à la question, je me bornai à repousser des arguments qui seraient absurdes, s’ils n’étaient odieux.

Dans l’espoir, sans doute, de m’aiguillonner, il feignit de considérer ma protestation comme une lâcheté.

— Ah ! s’écria-t-il, je suis bien aise de voir cette défaillance.

Mais de semblables stratagèmes n’ont aucune prise sur moi. M. Bernier reconnut bientôt que je ne suis pas d’un caractère à assumer, par amour de popularité, la responsabilité d’actes qui ne me concernent pas, — pas plus que je ne suis capable d’éluder, par crainte, les conséquences de ceux que j’accomplis. À mes yeux, la faiblesse serait égale des deux côtés.

Ainsi déjoué dans chacune de ses manœuvres, notre tourmenteur perdit alors toute prudence ; il devint subitement rouge comme une crête de coq, et, dans son égarement, il osa me reprocher de ne pas avoir arrêté mon ami Flourens !

— C’est trop fort, lui dis-je. Suis-je votre agent de police ?

Emporté par la colère, il répliqua :

Est-ce nous qui faisons des réunions publiques ? Est-ce nous qui avons fondé la Marseillaise ?

Le voilà donc dévoilé, le secret de la comédie.

De complot, — on sait bien qu’il n’y en a point d’autre que celui tramé par la police de M. Pietri.

D’attentat, — nul n’ignore que M. Ollivier et ses complices en sont seuls coupables.

Prétexte, que tout cela.

Ce qu’on poursuit en moi, c’est l’homme de propagande. Il s’agit de frapper l’orateur et l’écrivain.

On n’a jamais pu m’atteindre légalement, ni pour délit de parole, ni pour délit de presse : on espère me frapper autrement.

Eh bien ! oui, champion du droit, du droit absolu, je ne suis pas seulement l’adversaire irréconciliable de l’empire, car je n’ai jamais été concilié, mais amant de la justice éternelle, je suis l’implacable ennemi du crime et de toutes ses conséquences.

Oui, j’ai profité de la faible tolérance qui a été accordée à la parole pour propager mes idées d’affranchissement populaire et de rénovation sociale ; et je me félicite d’avoir pu contribuer, pour ma part, depuis plus d’un an, dans les réunions publiques de la première circonscription, à cette résurrection politique, d’où sont sorties les élections de mai et de novembre.

Oui, j’ai aidé de toutes mes forces à la fondation de la Marseillaise, et ce fut un des jours les plus heureux de ma vie, que celui où notre cher candidat m’offrit la gestion de ce journal.

J’allais donc pouvoir reprendre l’œuvre de propagande socialiste que j’accomplissais en province, lorsque l’attentat de Décembre vint interrompre la marche de l’humanité pour de si longues, de si douloureuses années de corruption et d’abrutissement !

Et j’allais pouvoir le faire dans de plus vastes proportions, sous la direction d’Henri Rochefort, de l’homme qui, par la noblesse de son caractère autant que par son immense talent, était le plus capable de nous ouvrir la carrière ; sous le patronage du représentant, que son désintéressement et la sincérité de ses convictions rendent si digne de la confiance que le peuple lui a donnée ; sous la conduite du chef dont la prudence égale le courage, et qui joint à une si admirable rectitude de jugement l’énergie nécessaire pour exécuter les plus généreuses résolutions.

Pour nous, prolétaires, qui gémissions de notre impuissance, l’offre de notre représentant était une bonne fortune inespérée. Nous l’avons accueillie avec autant d’empressement que de reconnaissance.

Et j’ai usé de mon droit de citoyen.

Mais si étroites que soient les limites imposées par la loi, je ne les ai jamais dépassées. Voilà précisément mon crime.

Je professe hautement les doctrines d’affranchissement du prolétariat ; mais, pas plus dans mes écrits que dans mes paroles, les agents les plus zélés du despotisme n’ont jamais pu relever aucun des innombrables délits créés par les lois de tous nos régimes monarchiques et aristocratiques.

Je n’en suis que plus dangereux, a dit M. Émile Ollivier.

Donc, il faut chercher dans l’arbitraire et la violence, ce qu’on ne trouve pas dans la légalité.

Du reste, c’est dans la logique du régime impérial.

Étant donnés son origine et son but, il ne pourrait employer d’autres moyens.

L’ex-spectre devenu le serviteur du Deux-Décembre s’est engagé à sauver l’empire qui s’écroule. Il devait logiquement recourir à la violence.

Après avoir débuté par l’apostasie, sœur du parjure, il voulut donc parodier le coup d’État.

Mais s’il a le cynisme d’un Morny, il n’en a pas l’audace ; et comme, à l’exception de quelques hommes plus courageux que clairvoyants, les républicains ne sont pas tombés dans le piège, sa tentative a misérablement avorté; aujourd’hui, il cherche à dissimuler son échec sous le masque de la justice, et il demande à la procédure ce qu’il n’a pu obtenir de l’émeute.

Eh ! bien, soit. Traduisez-nous devant vos juges.

Lorsque nous pourrons nous expliquer contradictoirement, à la face du monde, mon rôle ne sera pas celui d’un accusé mais celui d’un accusateur.

MILLIÈRE

LA GRÈVE DU CREUZOT

Les mineurs tiennent bon. La journée d’hier s’est écoulée aussi calme, aussi morne que les jours précédents. Les ouvriers redoublent de prudence ; ils s’accostent à voix basse et se communiquent les mots d’ordre avec toutes les précautions imaginables. De graves symptômes se produisent parmi les ateliers et la nouvelle forge. M. Schneider est allé dans la matinée faire une promenade dans diverses parties de son vaste établissement et il en est, dit-on, revenu triste, convaincu qu’il y a là un germe grave d’antagonisme, un foyer d’opposition qu’il sera bien difficile d’éteindre avec les chassepots.

Samedi un jeune homme de quinze ans a été expulsé de l’atelier, parce qu’il y a colporté quelques numéros de journaux démocratiques.

Les feuilles policières sont répandues à profusion par les soins du maître, mais les ouvriers refusent absolument de les lire et fuient avec soin leurs rédacteurs et correspondants. Les mouchards sont décidément tombés là-bas dans le discrédit.

Les arrestations paraissent suspendues, mais six mandats d’amener semblent devoir rester pour compte à l’administration par suite de la disparition des mineurs qui en étaient l’objet.

Voici, d’après le Progrès de Saône et Loire, les noms des principaux mineurs arrêtés, avec renseignements sur leur position de famille :

Lachaise (Joseph), 5 enfants

Poisot-Berthal, 3 —

Duharnot [Debarnot], 3 —

Degueurse, 1 —

Mathieu, 2 —

Desplanche, 2 —

Vaillat (sa femme enceinte), 3 —

Bertran, 3 —

Gaudrey, 1 —

Jordery, 1 —

Mougenot père, 3 —

Mougenot fils, 3 —

Laporte-Mougenot, 3 —

Plus 7 célibataire, dont le sieur Saunier (François), seul pour nourrir sa mère âgée.

Poiseau (en fuite), 4 enfants.

Tous les prisonniers, comme nous l’avons déjà dit, ont été dirigés sur Autun, enchaînés comme de vils scélérats, et cependant, de l’opinion publique, ce sont en général de laborieux et honnêtes travailleurs dont la plupart seront probablement relâchés sans jugement. En prison, ils ne peuvent recevoir ni visite ni secours, et n’ont pas encore été interrogés.

Beaucoup de mineurs sont logés dans des bâtiments appartenant à la Compagnie. Ils payent leur loyer comme des locataires ordinaires, mieux même, puisqu’on le leur retient sur la paye. Le paternel Schneider vient de faire prévenir tous ces hommes qu’on les mettra à la porte s’ils ne retournent pas au travail.

On assure que le président du Corps législatif a obtenu, pour la garde de son usine, une garnison permanente de mille hommes.

D’après le Progrès de Lyon, les envois de troupe au Creuzot seraient considérables. On annonce, dit ce journal, l’arrivée sur le théâtre de la grève de la brigade Jollivet, 1re de la division Goze. La 2e brigade de la même division, commandée par le général baron Nicolas, et composée des 61e et 86e régiments de ligne, d’une compagnie du génie et d’une batterie d’artillerie, aurait reçu l’ordre de se tenir prête à partir.

Entre la ligne du chemin de fer et les magasins de l’établissement, on construit des baraques, genre algérien, pour servir de casernes.

Les dénonciations des feuilles officieuses n’ont pas tardé à produire leur effet. Le Grelot est cité à comparaître devant le juge d’instruction. On l’a saisi à Dijon et au Creuzot chez un libraire… qui ne le vend pas. Pas malins, messieurs les procureurs ! aussi fins que les gendarmes entre les doigts desquels Assi a filé comme une anguille. Trois chefs d’accusation principaux sont relevés contre le journal : Outrage à la religion catholique ; publication d’articles politiques ou d’économie sociale, et publication de dessins et gravures politiques.

Malgré les patrouilles intempestives et ridicules des gendarmes et des soldats, malgré la surveillance, les perquisitions de toutes sortes, un nouveau comité de la grève vient de se former pour remplacer le premier, dissous de fait par l’arrestation d’un grand nombre de ses membres.

Un autre comité s’est formé pour recueillir des souscriptions afin de venir en aide aux grévistes et particulièrement aux ménages laissés dans la misère par suite de l’arrestation de leurs chefs.

À ce sujet, le Peuple, journal démocratique de Marseille, annonce aujourd’hui qu’il est tout disposé à recevoir les souscriptions qui lui seront remises directement, et qu’il se charge d’en envoyer le montant sans frais à la destination qui lui sera indiquée.

De notre côté, nous rappelons à nos lecteurs que les secours destinés aux ouvriers du Creuzot continuent à être reçus dans les bureaux de la Marseillaise.

VERDURE

Appel aux ouvriers boulangers

Un grand nombre d’ouvriers boulangers imbus des idées de progrès qui animent tous les autres travailleurs prient, avec insistance, leurs collègues d’assister à la réunion qui aura lieu le dimanche 3 avril. (Le lieu de la réunion sera fixé ultérieurement.)

Le temps du silence est passé. Un souffle immense a passé sur nous, nous pénètre et fait relever la tête à ceux qui jusqu’à présent s’étaient sans mot dire laissés traiter comme des parias.

Notre droit indéniable est de travailler, de pouvoir vivre en travaillant ; c’est aussi notre droit de vivre le jour comme les autres travailleurs.

Le travail de nuit est antinaturel ; nous devons donc revendiquer nos droits, avec la fermeté que donne la conscience, avec une persévérance qui ne se démente jamais ; si nous agissions autrement, nous mériterions le sort que nous subissons.

Que nous faut-il donc pour arriver à notre but, à la réalisation de nos légitimes désirs, à l’union qui seule fait la force ? Il nous faut nous grouper pour conquérir notre part de bien-être, il faut créer une société qui se gouverne elle-même. Et pour cela il suffit de vouloir, mais il faut vouloir sincèrement et fermement.

Nos confrères comprendront maintenant que l’avenir de la corporation dépend d’eux.

Camarades et amis, le progrès frappe à notre porte, répondons-lui : nous sommes prêts !

Pour le comité de la chambre syndicale

ADOLPHE TABOURET

Ouvrier boulanger, 14 rue Delaître

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Les noms des mineurs jugés sont corrigés dans l’article daté 15 avril

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La photographie de Millière est due à l’atelier Nadar, elle vient de Gallica, là.

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).