Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
108. Jeudi 7 avril 1870
Candidature d’Ulric de Fonvielle ;
séquestration de Rochefort ;
« Le Plébiscite », piège trop grossier et éditorial d’Arthur Arnould,
Le peuple est l’unique souverain, se tue-t-il à répéter, s’il disait le contraire il mentirait et nul ne serait tenu de respecter sa décision !
Ulric de Fonvielle a fini ses dix jours et est sorti de prison à Tours,
arrivé à cinq heures à la gare d’Orléans,
il
n’a fait que traverser Paris pour se rendre à la gare de Lyon,
d’où il est parti à huit heures, diantre, trois heures pour traverser la Seine… ;
des démocrates socialistes de Dieppe le soutiennent ;
« Le Complot de M. Bernier » ne sera pas prêt avant six ou huit semaines, c’est Georges Sauton qui écrit sur ce thème ;
les « Nouvelles politiques » confirment l’organisation d’un plébiscite et nous apprennent qu’il y a eu des graves émeutes, avec barricades et tués, à Barcelone ;
à « La Chambre », Gambetta s’est prononcé contre le plébiscite
dans un langage sobre et imagé, avec un accent de tribun,
trouve Germain Casse, qui trouve aussi que le tribun a un défaut, c’est Jules Favre ;
nous passons à la deuxième page au grand désespoir des lecteurs de Claretie privés de feuilleton, pour lire « Les 20,000 fr. de M. Pierre Bonaparte », ceux que Pierre Bonaparte a promis aux pauvres de Tours et que commente Achille Dubuc, qui décidément est de retour à la rédaction ;
Jacques Maillet continue imperturbablement la « Question sociale » ;
sur la grève du Creuzot nous nous contenterons aujourd’hui de la lettre de Benoît Malon (ci-dessous) ;
le « Bulletin du mouvement social » donne des nouvelles de la Fédération ouvrière rouennaise, d’une manifestation ouvrière en Belgique à l’occasion du massacre des mineurs de la fosse de l’Épine (dont il était question dans la déclaration de l’Internationale à la une du journal d’hier), des grévistes lyonnais et des insinuations policières ;
dans les « Échos », L’Ingénu a bien noté que Schneider est mécontent que ses ouvriers veuillent manger de la viande, ce qui ne l’empêche pas de trouver que Lebœuf (ministre de la guerre) a du bon ;
une unique « Communication ouvrière » s’adresse aux membres de la chambre syndicale de la confection pour hommes ;
il y a un extrait du compte rendu analytique (une page et demie) ;
sachez-le (publicité), les magasins Godchau s’agrandissent.
LA GRÈVE DU CREUZOT
Le Creuzot, 4 avril 1870. Une heure.
Cher citoyen,
Rien de nouveau, tout va bien, à cinq ou six exceptions près, mineurs et journaliers continuent la grève le plus paisiblement, mais le plus unanimement du monde.
Je profite de cette absence de faits journaliers pour répondre aux quelques journaux officieux et libéraux affirmant que les mineurs se sont mis en grève capricieusement et sans raison avouable. Le véritable auteur de la grève est M. Schneider qui veut que les frais de la dernière grève soient supportés par les ouvriers. Dans les régions officielles, on estime ces frais à 3 millions, et on met en ligne de compte la perte de deux hauts-fourneaux. Tout le monde sait que cette prétention est dérisoire.
De plus, M. Schneider a, en différentes circonstances, adressé des menaces aux ouvriers de l’usine, et une retenue non justifiée, non expliquée, en avait été la première conséquence. Les ouvriers qui voulurent demander des explications à ce sujet furent insolemment éconduits, et ils se dirent que, puisque les prétentions dictatoriales du maître les forçaient à recourir à la grève, ils pouvaient bien, une fois pour toutes, développer les récriminations formulées en janvier. Voilà tout le mystère.
On a tant parlé de l’infériorité intellectuelle de ces travailleurs qu’on ne saurait trop insister sur ce point : en butte aux intimidations de tous genres, aux privations les plus pénibles, ils poursuivent avec intelligence, avec calme, avec fermeté, la revendication qu’ils considèrent comme un devoir. Sans possibilité matérielle d’entente préalable, ils agissent avec un accord parfait et une union puissante.
N’étaient les soldats, conciliants du reste jusqu’à présent, qui bivouaquent dans les rues et montent la garde à la porte des ateliers, n’étaient surtout les mouchards qui errent dans les cafés et aux coins des places publiques, on se croirait en temps ordinaire, tant hier et aujourd’hui, le calme n’a cessé d’être parfait.
En présence de cette magnifique attitude, rehaussée par les énergiques démonstrations des femmes, M. Schneider a dû se départir de son système de terrorisation ; il n’a pas été fait de nouvelles arrestations.
Quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne maintenant, le résultat est acquis, la dictature industrielle est mortellement frappée ; les mots de justice, d’indépendance et de dignité humaine ne sont pas impunément prononcés dans un pays où, par le fait d’une organisation industrielle oppressive, la conscience, la pensée et le travail sont à la merci d’un seul.
Les maladroites insinuations de l’autorité qui, ne voulant pas reconnaître la question sociale, voit partout des menées politiques, ont imprudemment réveillé les idées de république et de socialisme dans un pays qui n’a pas encore oublié qu’en 1848 [1849], Exmann [Heitzmann], ouvrier monteur, candidat socialiste, a été élu à une très forte majorité contre M. Schneider par les ouvriers du Creuzot.
Ils savent, ces ouvriers malmenés, que les maux dont ils ont à souffrir sont une conséquence de l’inique organisation actuelle du travail, et ils se laissent aller à des rêves de rénovation sociale, ni plus ni moins que les faubouriens de Paris. On peut donc le dire : il n’y aura maintenant au Creuzot de calme stable que quand les conditions du travail seront plus équitables.
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On parle toujours de l’arrivée d’ouvriers étrangers. Il ne s’est jamais agi d’ouvriers belges, on sait que l’association internationale des travailleurs y aurait mis bon ordre, mais des ouvriers piémontais issus de localités où l’internationale n’a pas encore pénétré. Il y en a ici quelques centaines, arrivés dans ces dernières années ; le jour de la déclaration de grève, l’administration les avait rangés en bataille, armés de masse de fer, autour de la machine soufflante que personne ne songeait à attaquer.
Si le seigneur et maître Schneider le permet, en sa qualité de maire, une réunion publique aura lieu demain ; il s’agit de demander aux ouvriers si, en présence du refus absolu de M. Schneider d’obtempérer à leurs demandes, celle du chauffage exceptée, ils veulent tenir bon ou recommencer le travail en payant les pots cassés, quelques millions de perte seulement, et en souscrivant d’avance aux implacables vengeances du maître et de ses satellites.
Le sourire des mineurs fait prévoir la réponse qui sera faite à cette question des délégués.
Le manifeste de la section de Marseille, de l’association internationale a produit le meilleur effet, nous attendons impatiemment le manifeste de la fédération parisienne. [Celui paru dans le journal d’hier]
L’association projetée des ouvriers mécaniciens n’a pu fonctionner encore, empêchée par des obstacles imprévus, mais les initiateurs n’en reprennent pas moins l’organisation avec une grande activité.
Plus heureux, des ouvriers cordonniers ont formé un atelier coopératif et marchent très bien, les commandes leur arrivent ; ils ne seraient pas aimés par M. Schneider qui a ouvert un bazar général de toutes sortes d’objets de consommation, bazar qui écrase le commerce du pays, sans améliorer le sort du travailleur.
Au dernier moment, j’apprends qu’un accident vient d’arriver ; on rapporte sur un brancard un machiniste nommé Lamalle, asphyxié dans son service au puits des Moineaux.
Salut fraternel,
B. MALON
P.S. — Le comité des mineurs a fait à M. Schneider une demande enfin de réunion publique. Il leur a répondu de s’adresser au préfet ; qu’il n’avait pas, lui, l’autorité nécessaire, mais qu’il leur conseillait de s’abstenir, parce que cela monterait les têtes.
Il a ajouté que le préfet était résolu à faire respecter la liberté du travail, et que lorsque les ouvriers étrangers arriveraient au Creuzot, ils travailleraient quand même, sous la protection de la force armée.
B.M.
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L’itinéraire de la gare d’Austerlitz à la gare de Lyon vient de toujours le même plan de Paris.
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Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).