Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
131. Samedi 30 avril 1870
Commençons par rappeler que, pour la propagande antiplébiscitaire en province, un comité s’occupe de la distribution des journaux républicains ;
passons ensuite aux « Lettres de la Bastille », dans lesquelles le numéro 444, sous le titre « L’heure des concessions », examine les raisons politiques qui ont fait abandonner au gouvernement la destruction des cartes électorales ;
les lettres corroborant les déclarations de la Marseillaise (les brutalités policières) reçoivent confirmation d’un troisième témoin, alors, cette « nouvelle poursuite » ?;
A. de Fonvielle s’inquiète du « Vote de l’armée », on va leur donner des bulletins oui, de toute façon, les soldats n’ont pas eu le droit de participer aux réunions publiques, il rappelle que le vote est public et donc que l’on doit pouvoir entrer dans les casernes ;
voici des « Nouvelles politiques » ;
vous lirez ci-dessous la suite des nouvelles dans l’ « Affaire des grévistes du Creuzot » ;
« Préparatifs du plébiscite », ce sont encore des nouvelles du pouvoir politique ;
parmi les « Informations », la mort de Marie
La place nous manque aujourd’hui pour apprécier le rôle déplorable que Marie a joué dans les événements de notre époque, et particulièrement de février à juin 1848.
Un autre jour, nous jugerons comme il convient l’homme des ateliers nationaux et des déportations sans jugement.
et je précise à mes lecteurs parisiens que ce n’est pas de cette crapule que le pont Marie porte le nom ;
suite de la « Question sociale », où l’on est en République ;
dans « Le Complot », on se souvient que Raoul Rigault a été interrogé une deuxième fois, ce qui, vues les connaissances dudit Rigault, a quand même dû être une épreuve pour le juge Bernier, mais nous le plaindrons dans une autre vie, en tout cas Rigault n’a pas répondu, idem pour les Villeneuve ;
je passe les « Échos » ;
ainsi que les nouvelles du « Mouvement antiplébiscitaire » ;
douze comptes rendus de douze réunions antiplébicitaires, je vous garde celui de la rue Maison-Dieu (c’est au métro Gaîté) je pense que vous comprendrez sans mal pourquoi ;
quelques annonces ;
le « Bulletin du mouvement social » est très riche aujourd’hui, je vous garde le détail de la grève des fondeurs en fer, mais il y a aussi les grèves des ouvriers des ports de la Seine et du canal Saint-Martin, celle imminente des chauffeurs et mécaniciens de chemins de fer, celle des ouvriers sur métaux de Lyon, des ouvriers corroyeurs du Mans, la grève des ouvriers mineurs de Rochebelle (Alais [Alès], Gard), sans compter le compte rendu de l’assemblée générale de la société de Crédit mutuel, de solidarité et de syndicat de la Céramique (à Paris), celui de la réunion de la corporation des raffineurs ;
plus beaucoup de place pour les « Faits divers » ;
surtout qu’il y a encore les annonces de réunions publiques ;
la Bourse (à la dérive) ;
et les programmes de théâtres.
AFFAIRE DES GRÉVISTES DU CREUZOT
TRIBUNAL DE DIJON
COUR DES APPELS CORRECTIONNELS
Jugement
[Comme hier, je rétablis l’orthographe des noms propres sans le signaler]
La cour;
Relaxe Mougenot fils ;
Condamne Seignovert, Dulet, Mathieu et Desplanches à 18 mois d’emprisonnement ; — Camberlin, Saunier, J. Poisot, à un an ; — Detilleux, Debarnot, à 8 mois ; — Vailleau, E. Poisot, Revillot, Bertrand, à 6 mois ; — Janet, Mougenot père, Lasseigne, Jordhery, Legueurce, Batisse, Delhomme, à 3 mois, et Gandrey, à 1 mois de prison, les condamne en outre en fixant la durée de la contrainte par corps au minimum établi par la loi.
Statuant à l’égard d’Alemanus et par application de la loi du 16 février 1834 et du 27 juillet 1849, le condamne à 4 mois de prison et 500 francs d’amende, le condamne en outre au vingt-troisième des frais et dépens sans solidarité avec les autres accusés.
Suite de l’audience du 25
Le président. — La parole est à Me Frémont.
Me Frémont. — Messieurs de la cour, le 9 avril, le tribunal correctionnel d’Autun rendait contre ces malheureux un jugement terrible ! — 298 mois de prison ! — Pas un seul des prévenus renvoyé !… Ah ! si, une pauvre femme, mère de quatre enfants, qu’on avait osé poursuivre ! Et si le tribunal ne la condamna pas, n’allez pas croire que ce fut en considération de sa position, qui aurait dû, dans de telles circonstances surtout, la rendre inviolable et sacrée ; — non ; — mais bien parce qu’il n’y avait pas moyen de la condamner.
Pas une seule circonstance atténuante de reconnue à leur égard ! Le maximum de la peine fut atteint — trois ans de prison ! — le minimum ne fut pas touché — six jours.
Et nous, qu’ils avaient bien voulu appeler à leur secours, — nous, leurs défenseurs, nous étions atterrés !
Nous voyions ces pauvres femmes, avec leurs petits enfants, qui avaient marché toute la nuit pour apporter un peu de leur espoir à ces chers prisonniers, persuadées qu’elles étaient de les ramener avec elles.
Nous entendions leurs cris déchirants, entrecoupés de ces paroles : « Qu’allons-nous donc devenir ?… nos enfants, qui leur donnera du pain ? »
Ah !… Est-ce que les juges avaient à se préoccuper de pareilles choses ?
Il fallait frapper, et ils ont frappé.
Mais pourquoi ?… Mais qu’avaient-ils donc fait, ceux-ci ?
Pourquoi ?… Je vous le dirais, si les rumeurs du dehors ne devaient venir expirer au seuil de cette enceinte. Ce qu’ils avaient fait ?… vous le savez déjà par le rapport qui vous a été présenté ; moi, je vous le dirai à mon tour, mais je vous le dirai avec les causes, les motifs sérieux ; je soulèverai le voile qui, jusqu’ici, a trop complaisamment couvert les actes de l’administration Schneider ; je ne vous promets pas de le faire toujours avec la plus grande modération, car il y a de ces faits qui vous soulèvent, mais je m’engage à le faire avec la plus grande exactitude ; je n’avancerai pas un fait sans le prouver immédiatement. Et alors vous pourrez juger en toute connaissance de cause si les malheureux qui sont aujourd’hui en appel par-devant vous méritent les condamnations que leur a infligées le tribunal d’Autun.
Et tout d’abord, je veux vous parler de la caisse de prévoyance.
Me Frémont fait l’historique de la caisse de prévoyance, parle du vote provoqué par M. Schneider pour savoir si la gérance de la caisse passerait entre les mains d’un comité ouvrier ou resterait à celles de l’administration, et, arrivant au résultat du vote, il s’écrie :
Donc 5302 oui et 536 non. Voilà des chiffres certains que l’administration Schneider s’est dispensée de publier officiellement, mais que nous avons pu nous procurer, chiffres dont l’importance n’échappera à personne.
Après ce vote, que va faire M. Schneider ?… Il a promis la caisse, et de plus ses fondés de pouvoir se sont engagés pour lui. Ce qu’il va faire ?… Il la gardera.
Vous, président du Corps législatif, voilà le cas que vous faites du suffrage universel, et, non content de l’insulter, vous venez encore lui imposer silence, le bâillonner au moyen de quatre mille soldats que vous vous empressez de faire venir.
Mais, Messieurs, jugez la conduite de M. Schneider, et pour cela, dégagez le de tout caractère officiel.
M. le président. — Il n’est ici que l’usinier.
Me Frémont. — Oui, vous ne voyez que le fabricant de locomotives ; et n’ai-je pas le droit de dire et de dire hautement qu’il s’est joué de ses ouvriers de la manière la plus indigne et la plus déloyale. (Murmures parmi la cour.)
Ce n’est pas tout. M. Schneider avait fait son coup d’État ; il lui fallait des proscriptions, et les proscriptions commencèrent. Les délégués des ouvriers furent renvoyés. Parmi eux se trouvait un jeune homme d’une intelligence et d’un esprit pratique qui sont rares dans ce monde-là ; estimé et aimé de ses camarades, il s’était donné une grande tâche à remplir : l’affranchissement économique et moral du Creuzot, sans user de violences, sans créer de souffrances, sans sortir de la légalité — c’était Assi.
Puis, Me Frémont raconte la grande manifestation du 15 janvier, les onze mille ouvriers se mettant en grève : leurs justes demandes rejetées par M. Schneider qui ne veut pas les écouter, l’entêtement de celui-ci, son despotisme, sa tyrannie.
Il montre dans la première grève les ouvriers vaincus, mais rien n’était fini parce que aucune satisfaction n’avait été donnée aux ouvriers.
Et il vient à prouver que le mouvement du Creuzot n’est pas un mouvement politique, qu’il n’est pas dû à des causes de surexcitation toutes politiques, ainsi que l’ont annoncé les journaux officieux.
Que les causes n’étaient pas extérieures, mais bien intérieures.
Et en finissant cette première partie de sa plaidoirie, il ajoute :
Oui, mais postérieurement, l’on a vu intervenir le parti républicain, et cette vaillante Association internationale des travailleurs, quand il y avait des plaies vives à panser, et qu’il s’agissait, au nom de la fraternité sociale, de faire ce qu’ils ont fait, s’imposer de pesants sacrifices pour donner le pain quotidien et l’espoir aux familles dénuées et désolées.
Et alors, on a vu ces adresses admirables des ouvriers de New-York, de Londres, de Bruxelles, de Paris à leurs frères du Creuzot ; ils voulaient partager leurs souffrances et adopter leurs enfants.
Des causes intérieures, continue le défenseur, une grande et certes bien légitime, est celle-ci : la diminution des salaires.
Jusqu’en 1862, les mineurs ont gagné 3 fr. 50 c. pour huit heures de travail ; depuis 1862, ils font 12 heures, et leurs journées ne ressortent qu’à 3 fr. 75, 4 fr. 25, et encore dans le mois il y en beaucoup qui ne sont que de 3 fr. 25, 3 fr. 50 c.
Les salaires au Creuzot sont moins élevés que dans les grandes parties houillères de la France.
Il y a quelques endroits où le salaire est le même ou un peu moins élevé, mais qu’est-ce que cela prouve ?… Vous ne pouvez justifier une misère profonde par une plus grande misère.
Au-dessous de tout cela, dit Me Frémont, il y a le droit à la vie, et toutes les fois qu’une organisation économique n’accorde pas un salaire suffisant à celui qui travaille, c’est que cette organisation économique est vicieuse, et il faut la changer.
Si le salaire n’avait pour base que la nécessité, qui serait juge de cette nécessité ?
Serait-ce le patron ?… Serait-ce l’ouvrier ?
Si c’était le patron seul, l’activité de tous ces bras serait livrée à l’arbitraire de quelques pachas industriels, comme M. Schneider.
Si l’ouvrier était consulté, ce serait alors la participation, et vous ne l’admettez pas, vous n’en voulez pas. Oui, en portant la question à sa véritable hauteur, on voit de suite que la loi qui régit les salaires ne peut être cette atroce loi du plus fort qui fatalement éterniserait l’ignorance. En conséquence, il faut que je cherche et que je montre à la Cour que les salaires payés au Creuzot ne sont pas suffisants pour assurer une vie médiocre aux producteurs, aux ouvriers.
Je vous ai déjà dit qu’un mineur, au Creuzot, gagne…
M. le président. — Me Frémont, vous vous engagez dans un ordre d’idées où la cour ne peut vous suivre, elle n’a pas à s’occuper de la question des salaires.
Me Frémont. — Mais pardon, monsieur le président, on vous dit que la grève n’a que des causes étrangères, extérieures, je tiens à vous démontrer que c’est bien l’insuffisance des salaires et le misère en résultant, grâce au paternel M. Schneider, qui l’ont déterminée.
Le président. — Ce n’est pas le président, qui vous fait cette observation, c’est la cour.
Me Frémont. — Si la cour ne veut absolument pas m’entendre, je prends immédiatement le jugement d’Autun et je le discute.
Et le défenseur discute les charges incombant à chaque accusé.
J’en ai fini, messieurs, avec ce jugement si fort, si terrible, si inique.
Dans cette affaire, de ces malheureux les uns n’ont rien fait, comme ceux des derniers groupes, les autres n’ont fait que des menaces, qui, remarquez-le bien, n’ont jamais été mises à exécution, des violences qui sont arrivées par la force même des choses ; mais des voies de fait proprement dites, des voies de fait légalement punissables, il n’y en a pas eu.
Et puis, n’ont-ils pas déjà fait plus de 30 jours de prison ?
Est-ce que pour eux ces 30 jours de prison n’ont pas été doubles, triples !
Est-ce que les peines qui sont venues les frapper n’ont pas frappé en même temps leurs pauvres femmes, leurs pauvres enfants ?
Leurs femmes !… leurs enfants !…
Ah ! renvoyez-les tous, et autant le jugement d’Autun a été accueilli avec indignation, autant votre arrêt réparateur sera accueilli avec enthousiasme et reconnaissance.
Le président. — Me Frémont, vous ne pouvez pas dire d’un jugement qu’il est inique.
À demain le réquisitoire du procureur général.
B. MALON
RUE MAISON-DIEU
Salle comble.
Les citoyens Rochefort et Mégy sont acclamés présidents d’honneur.
Président effectif : le citoyen Jules Vallès.
Assesseurs : les citoyens Bouchardon et Félix.
Le citoyen Jules Vallès proclame hautement l’abstention.
Nous ne devons pas, dit-il, déposer notre bulletin dans les soupières de l’empire.
Pour nous, républicains socialistes, la question n’est pas dans un bulletin quelconque ; la grande question, la seule, est la question sociale.
Pas d’alliance avec les républicains formalistes, avec ceux qui, une fois au pouvoir, nous fusilleront comme en Juin.
(Applaudissements frénétiques.)
Le citoyen Charles Floquet :
Il s’agit d’une protestation contre l’empire, unissons-nous tous.
Nous voulons tous la République ; nous ne l’aurons que si nous nous unissons tous contre l’empire.
Le citoyen Chaslin [?].
Et Juin 1848 ?
Le citoyen Vallès :
On nous promet la République lorsque l’empire sera renversé. Le trône de Louis-Philippe était à peine renverse, que le peuple avait l’épée dans les reins.
Décembre a eu lieu parce que Juin avait tari le sang de la France.
(Vifs applaudissements.)
Le citoyen Naquet.
Nous voulons la solution de la question sociale. Proclamons d’abord la République. Unissons-nous tous. Votons non.
Le citoyen Chaslin se déclare franchement abstentionniste. Le citoyen Floquet demande qu’on fasse voter la salle sur l’abstention et le vote négatif.
Le président s’oppose énergiquement à cette mesure et consulte la salle sur la proposition du citoyen Floquet. Elle est rejetée à l’unanimité.
La séance est levée aux cris de : Vive la République sociale.
BULLETIN DU MOUVEMENT SOCIAL
Les grèves
Les ouvriers fondeurs en fer ont, dans une grande réunion, décidé à l’unanimité que la grève sera poursuivie jusqu’à complète adhésion des patrons, aux conditions suivantes :
1° Fixation des salaires à 60 centimes l’heure pour tout ouvrier ayant quatre ans d’exercice.
2° Suppression des heures supplémentaires, à moins d’un prix double.
Le comité permanent de grève s’est réuni, 12, rue Jean-Lantier, et a voté les décisions suivantes :
1° Une rencontre entre les patrons et le comité sera provoquée prochainement par ledit comité ;
2° L’article 4, concernant la nomination des chefs, est éliminé en réunion générale de la corporation du 21, et remplacé par la demande suivante :
La paye aura lieu régulièrement dans tous les ateliers toutes les deux semaines, le samedi.
Le siège du comité de grève est fixé définitivement 20, rue d’Allemagne.
Aujourd’hui, il n’y a plus un seul fondeur dans les grandes usines de Gouin, Cail, Piat, Farcot, etc., et les mécaniciens sont partout sur le point de manquer d’ouvrage.
Grâce à ses immenses ressources, la maison Cail a, dit-on, trouvé le moyen de faire fabriquer à l’étranger. Nous ne croyons guère à cette version. Il y a trois ans, les maîtres tailleurs de Paris avaient essayé, pendant la grève, de faire confectionner leurs vêtements en Angleterre. Les ouvriers anglais, prévenus à temps, mirent immédiatement en interdit les ateliers qui avaient accepté les commandes de France et se mirent aussi en grève plutôt que de compromettre la cause de leurs frères de Paris.
La solidarité qui unit dès maintenant tous les travailleurs de l’Europe saurait en pareille circonstance inspirer aux fondeurs étrangers la même conduite.
Dans une réunion des patrons, qui a eu lieu au siège de l’Union commerciale, plusieurs d’entre eux ont proposé d’entrer en arrangement avec les ouvriers ; mais la majorite s’étant montrée d’un avis contraire, cette proposition a été écartée.
Trois patrons fondeurs ont cependant adhéré aux conditions des ouvriers. Ce sont :
MM. Daise, quai de la Marne, 26.
Rousseau, à Charonne.
Hitzelberger, frères, aux Prés-Saint-Gervais, rue Delteral.
Nous regrettons pour les patrons, tout autant que pour les ouvriers, que le nombre des adhérents soit si restreint.
[…]
A. VERDURE
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La photographie de Raoul Rigault vient de Gallica, là.
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