Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

136. Jeudi 5 mai 1870

Voici comment cela commence aujourd’hui :

Il est probable que le 8 mai le gouvernement s’efforcera de réunir les suffrages des communes en bloc, et les publiera par département.

Notre devoir est de ne pas nous laisser tromper; il est indispensable que nous contrôlions le vote et que nous établissions une statistique exacte du scrutin.

Nous engageons donc les citoyens de toutes les communes de France à relever soigneusement les votes dimanche soir, et à adresser aux journaux républicains le résultat du dépouillement.

BARBERET

et cela continue par les « Lettres de la Bastille » sous le titres « Bombes et revolvers » ;

puis les « Nouvelles politiques » nous apprennent que Millière, pourtant détenu depuis trois mois, est donné comme compromis dans le nouveau complot, selon les « nouvellistes officieux », qu’Alphonse Humbert est assigné pour outrages à la personne de l’empereur, que Combault, en voyage, n’a pas été arrêté, mais aussi que les empereurs de Russie et d’Autriche et la reine Victoria ont télégraphié à Napoléon III pour le féliciter d’avoir échappé à ce nouvel attentat; de l’extérieur arrive la nouvelle que les mormons entendent résister par la force à l’application dans l’Utah de la loi américaine sur la polygamie ;

« Le plébiscite des bombes », ainsi Arthur Arnould titre-t-il son « Courrier politique », et il commence par citer des lignes déshonorantes de Girardin :

Voter NON,ce serait voter avec ceux qui conspirent ; voter OUI, ce sera protester contre eux et LEURS BOMBES !

réapparition d’un épisode du feuilleton de Claretie, il y avait longtemps ;

suit la reproduction d’une affiche appelant à la « Fête du plébiscite », ça se passe à Violaines, près de Béthune, où administrateurs, agents et mineurs de la compagnie de Béthune, rangés par fosse, chefs et porions en tête, les médaillés portant processionnellement le buste de l’empereur, iront voter (dommage que je n’aie pas trouvé cette affiche pour illustrer cet article) ;

le conseil fédéral parisien de l’Association internationale des travailleurs dément que cette association soit pour quelque chose dans

le nouveau complot qui n’a sans doute pas plus de réalité que les inventions précédentes du même genre,

c’est daté du 2 mai et signé de trente et un membres présents ;

un ancien magistrat (qui signe X) envoie des commentaires sur « Les complots » ;

Maillet-Millière, compromis ou pas, continue sa série dans la « Question sociale » ;

je vous garde une partie des « Informations » pour plus bas ;

c’est une relation du Rappel que Dubuc utilise pour nous narrer les dernières nouvelles du Creuzot (souvenez-vous, Malon est à Paris et en prison), vous trouverez l’article ci-dessous (et l’arrestation d’Assi sera narrée à nouveau dans le numéro daté du 8 mai) ;

des télégraphistes qui, comme tous les employés de la télégraphie, appartiennent à la jeunesse et ont les yeux fixés sur l’avenir de la France, voteront NON et le disent dans le journal ;

un autre bataillon de chasseurs à pied proteste contre le manifeste publié dans le numéro daté du 1er mai ;

« Le mouvement antiplébiscitaire » commence par reproduire une belle lettre adressée par Garibaldi à l’armée française (et parue dans le Rappel), sachez qu’à Saint-Quentin le sang a coulé (voir le journal daté du 8 mai) ;

il y a des annonces ;

et une belle rectification de M. Avoine père, qui n’a pas dit, le 1er mai, salle Maison-Dieu :

le député qui nous ferait faire la Révolution est en ce moment sous les verrous,

mais  

le seul député de la gauche qui ait vraiment mérité de la démocratie est en ce moment sous les verrous,

la Révolution est l’œuvre d’un peuple et non le fait de la volonté d’un homme ;

quelques faits divers ;

des « Communications ouvrières » pour les ouvriers passementiers à la barre, les ouvriers en brosserie fine bois et buffle et les ouvriers tourneurs sur métaux ;

il y a des annonces de réunions publiques ;

encore une liste de souscription pour le Creuzot et pour Fourchambault ;

aux « Tribunaux », on a confirmé la condamnation de Barberet (histoire des citoyennes de Lyon, journal daté du 15 avril), c’est Puissant qui le raconte et c’est drôle ;

la Bourse sans commentaire ;

et les théâtres.

INFORMATIONS

[…]

À Mazas toujours notre ami Millière et ceux de ses coaccusés que les rigueurs de la prison n’ont pas encore tués ou rendus fous.

À Mazas Mégy, et Protot son défenseur.

À Mazas depuis quatre jours nos amis Germain Casse, Malon, Collot, Lacatte, Johannard, Murat, Pindy, Rocher, Dagaucquie [Dugaucquie?], Avrial, Flahaut, Héligon, Manches, Theisz, Landeck et douze autres membres de l’Internationale, sous la prévention d’avoir fait partie d’une association illicite dont le siège est hors de France. Et les jésuites, et les dominicains, et les chartreux, et les capucins et d’autres encore, sont-ils donc des associations licites ayant leur siège en France?

À Mazas depuis deux jours: Bara, Dumay, et Bartoli, sous l’inculpation d’atteinte à la liberté du travail ou de coalition; Leveillé, Greffier, Prévost, Soulières, Tavernier et Bichet, sous la prévention de complicité dans le complot.

En prison, Assi et les membres de l’Internationale de Lyon! En prison quinze ouvriers de Saint-Quentin!

*

Ce n’est pas tout encore.

Le citoyen Renaux, l’un des orateurs de la réunion de Charonne, en revenant avant-hier soir de cette réunion où il avait pris la parole, a été arrêté dans la rue.

*

Le citoyen Roulier [sic], ouvrier, a été arrêté de même en revenant de la réunion publique de l’avenue de Choisy, dont il apportait le compte rendu à la Marseillaise. Il laisse une femme et des enfants qui sont complètement sans ressources. Mais qu’importe à M. Ollivier?

*

Savez-vous comment la Gazette des tribunaux, journal du parquet, motive l’arrestation du citoyen Tavernier :

Le sieur Tavernier, dit-elle, arrêté dans la journée d’aujourd’hui, est un des propagateurs les plus acharnés de la société dite de la Libre-Pensée dont la principale mission est d’encourager les enterrements civils et d’y assister.

EUG. MOUROT

LE CREUZOT

Arrestation du citoyen Assi

Que se passe-t-il au Creuzot ? Nous recevons à l’instant de l’un de nos amis une lettre nous confirmant une dépêche qui ne nous est pas parvenue.

Relater les arrestations de nos amis, parler de la terreur que l’on organise, serait-ce comploter ?

En l’absence de correspondance particulière, nous donnons ici la relation du Rappel :

À la nouvelle que des réunions anti-plébiscitaires étaient organisées dans notre ville, Assi, qui, par prudence, avait cru devoir se tenir caché pendant toute la durée de la grève des mineurs, abandonna son refuge, et résolut d’user de son influence sur la masse des ouvriers pour leur faire comprendre la signification du vote qu’on leur demandait.

La première réunion eut lieu samedi, et Assi, à son arrivée, fut salué par de sympathiques et nombreuses acclamations. Il monta à la tribune et parla longuement. Il compara le vote plébiscitaire au vote proposé récemment par M. Schneider, relativement à la gestion de la caisse de prévoyance.

M. Schneider demandait à ses ouvriers : « Voulez-vous gérer votre caisse ? » — Les ouvriers ont répondu oui, et M. Schneider a continué à gérer seul la caisse en question. L’empire nous demande si nous sommes satisfaits de la manière dont on nous gouverne. Nous répondrons non. Et il continuera à nous gouverner sans tenir aucun compte de notre blâme.

Assi rentre, le même soir, à son domicile, et le lendemain matin il était arrêté.

La nouvelle de cette arrestation se répandit aussitôt par la ville. À l’heure où le train pour Autun devait quitter le Creuzot, plus de cinq mille personnes, supposant qu’Assi serait emmené dans le train, vinrent aux alentours de la gare, uniquement pour protester, par leur nombre, contre l’enlèvement arbitraire de l’orateur ouvrier. Les abords de la gare étaient occupés par la troupe. Plusieurs voyageurs qui devaient partir ont dû rester au Creuzot, les soldats leur ayant barré le passage.

Lorsque Assi parut, amené par les gendarmes, un immense cri de : Vive Assi ! sortit de toutes les poitrines. À ce moment, — on entendit un roulement de tambour. Ce fut l’affaire de quelques secondes. La cavalerie chargea aussitôt la foule et la dispersa. Il y eut un instant de confusion inexprimable. Quelques hommes, indignés, ramassèrent des pierres pour s’en faire des armes. Des femmes, des enfants affolés fuyaient, en criant, devant les cavaliers lancés au galop.

Les soldats ne firent pas, il est vrai, usage de leurs armes. Mais on compte néanmoins quelques blessés. Ce sont des femmes qui, tombées en fuyant, ont été atteintes par le sabot des chevaux.

Aujourd’hui… l’ordre règne au Creuzot.

Voici les détails que donne le Progrès de la Côte-d’Or :

Samedi soir, il y avait une réunion publique au Creuzot. Assi qui était présent, fut acclamé avec frénésie.

Ce matin, Assi a été arrêté. Le soir, vers six heures, on le dirigeait sur Autun ; mais une foule immense s’était portée à la gare pour lui dire un dernier adieu. Notre correspondant évalue cette foule à six mille personnes.

Elle encombrait les abords de la gare et couvrait les hauteurs voisines. Le pont qu’il faut traverser pour aller de la ville à la gare est tout à coup occupé par les lanciers. La foule pousse alors un immense cri de : Vive Assi !

Aussitôt un roulement de tambour a lieu. Un seul roulement, à peine entendu, du reste, et les lanciers chargent cette foule d’ouvriers inoffensifs.

Plusieurs personnes ont été écrasées, principalement des femmes et des enfants ; un pauvre petit enfant a été tué dans les bras de sa mère, qui a été elle-même grièvement atteinte.

Après cette charge, la troupe a reçu des pierres.

Nous enregistrons ces nouvelles avec la plus profonde douleur, mais sans nous en étonner. M. Schneider qui personnifie l’empire au Creuzot, prend pour l’ordre le silence de la terreur, et prétend sauver lui aussi la société.

Il faut cependant que la voix de l’opinion publique s’élève en France, et que l’on demande à cet industriel compte du sang répandu. Il faut que l’on sache si la vie des femmes et des enfants est à la merci de ce vieillard entêté qui veut conserver son conseil municipal, et qui, pour atteindre ce misérable but, fait emprisonner Assi et Alemanus, honorés de la candidature par leurs concitoyens, et fait charger par la cavalerie une foule bruyante, mais inoffensive.

ACHILLE DUBUC

*

Je n’ai pas résisté au plaisir de vous annoncer, avec quelques jours d’avance, le résultat (global) du plébiscite, j’ai trouvé cette triomphante dépêche sur Gallica, là

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).