Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
140. Lundi 9 mai 1870
Et voilà, nous y sommes, c’est le jour du plébiscite, grande manchette ;
les consignes de vote sont rappelées, par ordre de préférence, abstention, bulletin blanc, bulletin anticonstitutionnel ou vote non ;
puis cet « Avis » signé Barberet
Nous avons des motifs sérieux de croire qu’une échauffourée déplairait d’autant moins à M. Émile Ollivier qu’elle lui permettrait de proclamer l’état de siège ou de prendre quelque mesure exceptionnelle de ce genre.
Or l’état de siège, c’est la suspension des lois, de la liberté individuelle ; c’est la fermeture des réunions publiques, la saisie des journaux et quantité d’autres saisies.
Que les citoyens, nous les en conjurons, ne donnent pas au cabinet du 2 janvier la satisfaction qu’il espère.
Qu’ils répondent aux provocations par le mépris, le calme et… l’abstention.
ensuite le rappel de la loi électorale, comme les jours précédents ;
« Choisissez ! » dit Arnould aux électeurs ;
les « Nouvelles politiques » sont à l’unisson, au moins pour l’intérieur, pour l’extérieur, le roi Guillaume de Prusse songerait à se faire sacrer empereur ;
la « Marseillaise du plébiscite », c’est le poème de circonstance de Gustave Mathieu, et vous le lirez ci-dessous, ne ratez pas le beau mot « pannoter » (faire tomber dans le panneau) ;
Ulric de Fonvielle revient sur « Le vote de l’armée » ;
suivent des informations sur « Beaury », celui chez qui on a trouvé la fameuse lettre signée Gustave, envoyées de Belgique, d’après lesquelles informations il semble qu’il se serait vendu à la police ;
les délégués chargés de représenter les contribuables des communes annexées à Paris en 1860 se plaignent que les améliorations d’utilité publique n’aient pas été exécutées, parmi ces citoyens, on retrouve le Dr Dupas de la rue Myrrha ;
le journal publie ensuite une proclamation qui a valu au Réveil, au Rappel et à d’autres journaux d’êtres saisis hier, mais que rien n’empêche de reproduire aujourd’hui, Bonaparte s’y affirmait républicain avec beaucoup d’énergie, peut-être est-elle fausse, mais la Marseillaise en a une authentique et la publie aussi ;
Cournet et Brunereau, qui sont toujours à Mazas, protestent contre le rapport du procureur (celui publié en feuilleton dans le numéro d’avant-hier), l’un parce qu’il contient sur son compte des allégations fausses, l’autre parce qu’il ne parle pas de lui, mais alors pourquoi est-il toujours en prison ?;
les « Informations » portent bien sûr sur le plébiscite, la poste qui retarde les journaux démocratiques, bon, il y a aussi le perroquet que Cernuschi a légué au Jardin d’acclimatation avant son départ forcé et dont on se demande ce qu’il va dire, et la grève des enfants de chœur des Ternes ;
les ouvriers doreurs sur bois protestent comme leur collègues contre la perquisition et la saisie place de la Corderie dont eux aussi ont été victimes (voir le journal d’avant-hier) ;
Jules Ferry, du comité de la gauche, proteste lui aussi contre les excès de pouvoir de la police qui a arrêté des distributeurs de bulletins et de manifestes ;
le « Mouvement antiplébiscitaire » continue encore aujourd’hui, à Paris et en province ;
« La Carte », ce sont les six millions dépensés par le pouvoir pour le plébiscite ;
dans le « Bulletin du mouvement social », Augustin Verdure fait le point sur les grèves, en particulier sur la seule qui persiste à Paris, celle des fondeurs en fer, les pourparlers continuent, les principales maisons résistent, mais les ouvriers de cette corporation sont bien organisés, d’ailleurs la Marseillaise ouvre une souscription en leur faveur, les mineurs de Rochebelle près d’Alès sont toujours en grève, les fondeurs, mécaniciens, ajusteurs et serruriers de Carcassonne le sont depuis lundi ;
dans « La question des chemins de fer », Antoine Arnaud ouvre une parenthèse dans sa série d’articles pour publier une lettre d’un employé signalant « une manœuvre plébiscitaire des Compagnies », question d’une brûlante actualité (et je ne parle pas de la grève des cheminots d’aujourd’hui) ;
des « Échos », je retiens, après les brillantes descriptions de ses tableaux dans le journal d’hier, une méchanceté sur Courbet, qui protestait qu’on ait placé son tableau au-dessus d’une porte, parce que « ça va gêner la circulation » et, par une coïncidence stupéfiante, qu’un mauvais plaisant a « osé mettre à la grille qui entoure la colonne Vendôme, de sinistre mémoire, une couronne de pain » ;
un nouveau rédacteur, « Albamazor », publie un bref « Horoscope plébiscitaire » ;
annonces ;
peu de réunions publiques, mais deux enterrements civils ;
des « Tribunaux », contre Roullier et Serizier, contre un rédacteur du Gaulois, contre Yves Guyot et Lissagaray, contre Humbert… ;
reste « la Bourse » ;
« La Rampe » parle, après une prétendue pièce intitulée le Plébiscite, de la Révolte, de Villiers de l’Isle Adam.
FEUILLETON DE LA MARSEILLAISE
DU 9 MAI
Au peuple français
LA MARSEILLAISE DU PLÉBISCITE
Poëme du citoyen G. Mathieu
MUSIQUE DE DARCIER
L’empire aux abois, cherche et trouve
Qu’il faut courir aux grands moyens
Le sénat tout entier approuve…
À nous maintenant, citoyens !
De répondre à la…… [valetaille]
Osant interroger son roi.
Ce magnifique rien qui vaille…
Le peuple tout !!! justice et loi.
Sus à l’insolent plébiscite
Hourrah ! les opprimés vont vite
Vite ! vite ! vite !
Aux votes, citoyens,
Et par tous les moyens
Sus à l’insolent plébiscite !
Et les voilà tous en campagne
Répandant la terreur au loin !
Puis se jetant dans la montagne
Avec leur plébiscite au poing…
Affichant leurs placards…. [canailles]
Semant les oui sur bulletin,
Et les engins menus de mailles
Pour pannoter tout le fretin
On trouble l’eau de la rivière
Quand on veut prendre le goujon :
Pour vous pincer à leur manière,
Paysans, tout leur sera bon.
On fera la baisse et la hausse,
Au besoin on complotera,
Et c’est vous qui paierez la sauce
À laquelle on vous croquera.
Se servant comme tirelire
Du bonnet de la liberté,
César va …..[mendiant] l’empire,
L’empire à perpétuité !
Perpétuité de l’empire !
Mais c’est la patrie en danger…
C’est ….. [l’avilissement] c’est pire,
C’est la défaite [déroute] et l’étranger.
L’empire, il faut qu’on se le dise,
C’est ….. [la mort, l’exil, la prison]
…… [la nation qu’on dévalise]
La veuve pâle en sa maison !
Entendez-vous, quand la nuit tombe,
Cette voix qui se plaint toujours…
C’est le fusillé sous la tombe,
Et les prisonniers dans les tours.
Vaisseau superbe ! ô République !
Tu vas bientôt prendre la mer,
La grande mer démocratique :
Les vents sont bons, le ciel est clair…
Mais veille au grain, dans la nuit brune,
Vogue sans peur, et souviens-toi
Que tes flancs portent la fortune,
Et le salut du Peuple-Roi !
Sus à l’insolent plébiscite
Hourrah ! les opprimés vont vite
Vite ! vite ! vite !
Aux votes, citoyens,
Et par tous les moyens
Sus à l’insolent plébiscite !
[j’ai bouché les trous avec le texte publié dans Parfums, chants et couleurs : poésies, Louis Perrin, Lyon (1873)]
*
Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).