Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

145. Samedi 14 mai 1870

À part l’appel aux abonnés… cela commence par les « Lettres de la Bastille », on parle peu de Grousset, mais il travaille, vous lirez ça ci-dessous ;

« Nouvelles poursuites », contre le journal, qui aurait voulu changer l’ordre de succession du trône, finalement l’assignation est contre « le numéro 444 » ;

les « Nouvelles politiques » font encore une fois la liste des saisies, procès, poursuites… et informent des possibles remaniements ministériels, ainsi que d’un meeting à Londres contre l’extradition de Flourens ;

Arthur Arnould s’en prend, dans son « Courrier politique » et sous le titre « Les traînards de la démocratie », au Siècle, qui s’en est pris à la Marseillaise, qui, par la violence de ses polémiques, aurait nui au triomphe de la démocratie ;

le « feuilleton » est le deuxième article que Gustave Puissant consacre au Salon de 1870, mais les tableaux qu’il présente, toujours avec autant de verve (surtout « la Mort de Saint-Just », de Tournachon), sont moins intéressants ;

c’est Cavalier qui rend compte de la rentrée de « La Chambre » et du grand cordon de son président : non seulement le député de la première circonscription (Rochefort) est toujours en prison, mais le chroniqueur (Casse) a été arrêté lui aussi ;

Ulric de Fonvielle rend compte du « Vote de l’Algérie », bien plus négatif que le vote de France, ce à quoi je me permets de remarquer qu’il y a eu moins de vingt-cinq mille votants, ce qui est fort peu, mais le journaliste ne se pose pas la question de savoir qui était électeur, alors passons ;

le Conseil général de l’Association internationale des travailleurs informe que la dite « branche française fédérale de Londres » ne fait plus partie depuis deux ans de l’Association, ce n’est sans doute pas inutile à dire au moment où cette association « subit […] de grandes persécutions de la part du gouvernement autrichien et du gouvernement français qui saisissent les moindres prétextes pour justifier ces persécutions » ;

des « Informations », apprenez qu’Arthur de Fonvielle, ayant été condamné il y a quelque temps déjà, est désormais le dixième rédacteur de la Marseillaise sous les verrous (pour un récapitulatif, patientez jusqu’à demain !), et sachez que le calme est parfait à Belleville, d’ailleurs,

Hier, à trois heures et demie, l’empereur s’est promené en voiture découverte jusqu’à la caserne du Château d’Eau ; on sait que l’apparition du souverain annonce ordinairement la fin des émeutes.

En conséquence, les émeutiers de ces jours derniers se sont portés au-devant de sa voiture et l’ont énergiquement acclamé.

dans le « Bulletin du mouvement social », Verdure répond à tous ceux qui, à la suite des diverses perquisitions, saisies et arrestations, interrogent le journal sur la légalité des associations ouvrières, il vaut mieux être une société légale, mais il faut une autorisation pour se réunir à plus de vingt, il annonce un prix, qui sera décerné par le journal La Houille, sur la meilleure façon d’empêcher les grèves, et en discute les attendus, il nous dit que la multiplication des bureaux de souscription à Lyon a favorisé la solidarité avec les condamnés du Creuzot et les membres de l’Internationale, il donne aussi des nouvelles de Genève et d’une nouvelles grève de tisserands à Gand ;

on n’en finit pas de discuter « Le Vote de l’armée », qui a pris la place de la tribune militaire, mais c’est toujours Louis Noir qui s’y colle ;

dans « Les Journaux », Morot ne discute pas vraiment le titre « les 7,200,000 votants sont des imbéciles » de l’article dans lequel le journal de Girardin essaie de prouver que les calculs de Cavalier sont faux (voir le journal daté du 12), mais cite plutôt d’autres journaux qui prennent vraiment les paysans pour des imbéciles ;

« Encore une victime », c’est le citoyen Lesourd, tué à coups de sabre lundi ;

et voilà, le Corps législatif et ses comptes rendus redémarrent ;

il y a des listes de souscription ;

une « communication ouvrière » pour les gantiers ;

il y aura quelques réunions publiques ;

dans les « Tribunaux », on revient sur la condamnation de Humbert, et de celle de Barbieux, du Rappel, pour un article de Victor Hugo ;

je passe « La Rampe » ;

« La Bourse » et les annonces de théâtres.

LETTRES DE LA BASTILLE

Et le complot ?

Avez-vous remarqué ceci ? Depuis cinq jours les feuilles de police ne nous parlent plus du complot.

C’est sans doute pour en avoir trop parlé jusqu’à dimanche. Maintenant que les bombes Roussel ont rendu tous les oui qu’elles portaient dans leurs flancs, on les abandonne volontiers dans un coin du Palais-de-Justice. Ces pauvres bombes ont été à la bataille : il ne serait que juste de donner une place au feu d’artifice. Mais non : on les dédaigne, on affecte de les délaisser, on leur conteste tout leur mérite ; demain elles seront couvertes des moisissures de l’oubli. Ô ingratitude des rois !

Réparons une si grande injustice, parlons un peu du complot maintenant, puisqu’on nous a empêché d’en parler avant le plébiscite.

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À la vérité, nous manquons de documents sur ce complot étrange et louche ; nous n’avons guère que le rapport flatueux de M. Grandperret, béant comme une masse obscure dans laquelle le parquet peut à son gré faire entrer tous les amis du peuple.

Mais un fait s’impose, en dépit de tout, à l’attention : c’est la situation inouïe qu’on veut faire aux inculpés de février, à ces soixante-dix ou soixante-quinze hommes de cœur qu’une lettre de cachet a jetés à Mazas, à l’occasion de l’arrestation de Rochefort.

Avec quatre cents autres, ils furent arrêtés sous l’inculpation d’attentat contre la sûreté de l’État. Un à un, l’instruction a relâché leurs prétendus complices. Eux, on les maintenait au régime cellulaire : mais pas un fait positif, pas une charge avouable, n’avaient pu, après TROIS MOIS d’investigations ardentes, être allégués contre eux.

Leur mise en liberté paraissait chaque jour plus nécessaire, plus certaine, plus inévitable : pour l’un d’eux, au moins, pour notre cher ami Millière, nous pouvons affirmer qu’elle était annoncée par le juge d’instruction. La fausse honte qu’on éprouve toujours à reconnaître une méprise semblait seule ajourner les ordonnances de non-lieu.

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Tout à coup, à la veille du plébiscite, on apprend qu’un individu plus que suspect, un soldat déserteur nommé Beaury, vient d’être arrêté, et qu’il avoue à la police un projet d’attentat contre la vie du chef de l’État ; on apprend en même temps que des bombes explosives ont été saisies au domicile d’un certain Roussel, resté jusqu’à ce jour insaisissable ; et le rapport su procureur général, publié à grand fracas, placardé sur les murs de toutes les communes de France, nous informe que les inculpés de février sont impliqués dans cette affaire.

Nous le demandons à tous les hommes de bonne foi : Peut-on s’empêcher de penser que ce Beaury est venu là bien à propos pour pousser les populations vers l’urne plébiscitaire, et pour fournir au pouvoir la solution de l’instruction de février ?

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La première fonction de ce messie d’un nouveau genre est accomplie : elle a donné à l’empire sinon la qualité, du moins le nombre des votes.

Mais il reste à remplir la seconde : nous doutons qu’elle lui soit aussi facile. Autre chose est de chasser vers le scrutin les troupeaux affolés d’une population ignorante ; autre chose, de triompher dans la discussion du prétoire, devant le tribunal impitoyable d’une opinion publique en éveil.

C’est où nous attendons le jeune Beaury, et avec lui Guérin, Lepet et Terrail.

Terrail surtout, qui se montrait, à Neuilly, le plus acharné des agitateurs ; Terrail, qui brandissait un revolver sur le cercueil de Victor Noir ; Terrail, qui s’accrochait aux vêtements de Rochefort, qui le pressait d’envoyer la foule à une mort certaine, en lui criant :

— Rochefort, songe à la postérité !… Ce sont des statues d’or qu’elle te réserve ! (sic)

Et qui maintenant apparaît à tous les yeux ce qu’il était en réalité, le plus misérable des agents provocateurs.

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Tout cela viendra au grand jour de l’audience ; tout cela sera élucidé ; on passera au crible le passé et la moralité de ces êtres équivoques ; on rappellera leurs discours ; on pèsera leurs témoignages.

Et nous verrons alors qui restera éclaboussé de toute cette fange, de ceux qui ont su résister à d’immondes provocations, ou de ceux que ces provocations devaient servir.

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Peu nous importe, d’ailleurs, que la haute-cour, à laquelle ces affaires vont être commises, soit une juridiction d’exception, un de ces tribunaux qu’un président de haute-cour, M. Bérenger, a défini ainsi qu’il suit :

Sous quelque couleur qu’on les représente, quelque nom qu’on leur donne, sous quelque prétexte qu’on les institue, on doit les regarder comme des tribunaux de sang….. La seule doctrine d’un tribunal d’exception est d’accomplir l’objet pour lequel il a été institué. N’attendez de lui ni pitié, ni humanité, ni sentiment de justice… Tout homme assez lâche pour accepter une mission qui le met dans le cas de punir des actions qui ne sont réputées crimes que parce qu’elles déplaisent à un despote ou à une faction, fait le sacrifice de son honneur, et dès lors il est acquis à l’injustice.

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Ce n’est pas le verdict de ce tribunal qui nous préoccupe, c’est celui de la France.

Ce qu’il nous faut, pour éclairer le pays sur les événements de ces trois derniers mois, ce n’est pas un jury plus ou moins sévère, plus ou moins favorable aux accusés, c’est un jury quelconque ; c’est surtout le grand jury de l’opinion et la lumière des débats publics.

Qu’on ose nous la donner ! ou qu’on ose maintenant nous la refuser !

LE NUMÉRO 444

Pour copie conforme : BARBERET

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La photographie de Victor Hugo utilisée en couverture de cet article est due à Étienne Carjat, on la trouve sur Gallica, là.

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).