Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

 148. Mardi 17 mai 1870

« Stérilité du plébiscite », tel est l’article signé Oscar Jacob et, si vous voulez mon avis, c’est un pseudonyme collectif et le premier article de ce chroniqueur (journal d’avant-hier), qui ne parlait que de Rochefort et qui avait un titre « rochefortien », était de Rochefort alors que celui-ci est de Grousset (je peux me tromper, mais il est certain qu’il n’est pas du même auteur), vous le lirez ci-dessous ;

dans les « Nouvelles politiques », le feuilleton de la crise ministérielle continue ;

dans « L’Honneur militaire », c’est Alphonse Humbert qui nous informe de la singulière idée que se fait le général Mayral de ce qu’il appelle ainsi, cela se passe à Saint-Étienne et ce général reproche à certains sous-officiers d’avoir assisté à des séances d’un club, dont était « le rédacteur » de l’Éclaireur de Saint-Étienne, qui a si mal traité le régiment… lors de l’affaire de La Ricamarie, on croit rêver ;

c’est le jour du feuilleton scientifique d’Alfred Naquet, des titres duquel je retiens « Du rat comme substance alimentaire », pourquoi donc ne mangerait-on pas le rat, qui est si abondant à Paris ?, ce pourra être utile le moment venu (en attendant, à bon chat, bon rat, ci-dessus) ;

« Les Hommes de l’empire », eh bien, voilà une belle rubrique nécrologique pour le général (encore!) Hennique, gouverneur de la Guyane française et qui fut une belle crapule si l’on en croit (et pourquoi ne le croirait-on pas?) ce qu’un ancien « transporté », Pascal Lange, a écrit à la Cloche et qui est reproduit ici ;

le conseil général belge de l’Association internationale des travailleurs envoie un long message aux frères et amis français, pour la troisième fois en butte aux persécutions de leur gouvernement ;

encore des « Informations » politiques, parmi lesquelles presque un fait divers, le ministre Chevandier de Valdrôme, va visiter la rue Saint-Maur, sa voiture verse, des étudiants aident le cocher à relever les chevaux et la voiture, le ministre décide de rentrer à cheval, le cocher propose aux étudiants, pour les remercier, de les ramener dans la voiture, les jeunes gens acceptent et, passant devant la statue du Prince-Eugène (aujourd’hui place Léon-Blum), crient, naturellement, Vive la république !, les sergents de ville veulent sévir, mais le nom du ministre les rend respectueux tout en les remplissant d’incompréhension ;

dans le « Bulletin du mouvement social », une protestation de la Chambre fédérale du travail de Marseille contre la véritable scène de vandalisme à laquelle se sont livrés, sans explications, les policiers dans ses locaux, la grève des maçons continue à Nantes, des informations sur une société coopérative de production d’ouvriers peintres en bâtiment de Paris, une très belle histoire des environs de Cambrai, un ouvrier assez audacieux couronne les travaux de construction de l’église en plaçant le coq en haut de la flèche, les travaux se concluent par une petite fête, l’ouvrier est traité en héros, sauf que l’entrepreneur et l’ouvrier ne sont pas d’accord sur le salaire de ce dernier — qui sort, gravit la flèche de l’église dans l’obscurité, enlève le coq et le ramène à son patron : « Va le mettre si tu l’oses ! » ;

quelques « Échos » ;

hélas, il faut encore parler du plébiscite, se plaint Humbert au début des « Journaux », et les journaux réactionnaires en prennent pour leur grade ;

« L’École de médecine et la liberté de l’enseignement supérieur », c’est un article de Rigault ;

il n’y a qu’un « Fait divers » assez banal ;

quelques réunions publiques ;

des listes de souscriptions, pour les grévistes de Fourchambault, pour ceux du Creuzot ;

Arthur Ranc est allé à l’Ambigu Comique voir du Paul de Kock, place aux jeunes, conclut-il ;

dans la longue liste des arrêtés le 11 mai au soir que l’on trouve dans les « Tribunaux », je relève un homme de dix-neuf ans exerçant la profession de coiffeur de poupées (et qui fera un mois de prison) ;

il y a encore des annonces, dont une dame qui a perdu son chien et offre 150 francs de récompense ;

des théâtres.

STÉRILITÉ DU PLÉBISCITE

Le plébiscite est à peine voté d’hier, et déjà les journaux du gouvernement en sont à ne plus s’entendre sur le sens précis qu’il convient d’attribuer à cette manifestation politique. Ils sont encore moins d’accord, lorsqu’il s’agit de déterminer quelles conséquences pratiques le pouvoir doit tirer de ce résultat dont les vainqueurs paraissent ne plus se montrer aussi fiers, depuis qu’il a été permis de décomposer le détail des votes, et de revenir sur le premier mouvement irréfléchi qui avait conduit certaines personnes, même de bonne foi, à s’exagérer étrangement la signification des chiffres.

Les uns veulent que, logiquement, le gouvernement soit conduit à la réaction ; et ils le considèrent d’avance comme absous de toutes ses violences, par les 7 millions du oui du 8 mai 1870.

Les autres, au contraire, soutiennent que l’empire n’a recueilli les nombreuses voix libérales de ses amis du centre gauche, que sous la condition expresse de réformes libérales.

Ils ne comprennent pas le plébiscite du 8 mai, ayant d’autres conséquences possibles que la constitution définitive du régime parlementaire, de la responsabilité ministérielle, et de toutes les réformes contenues en germe dans l’embryon de constitution proposé par oui ou par non à l’acceptation du peuple français.

Ce qu’il y a de remarquable dans ces deux opinions, qui s’excluent absolument l’une l’autre, c’est qu’elles sont professées par des hommes qui, hier encore, marchaient complètement d’accord, récoltaient chacun de leur côté des bulletins oui, sans savoir cependant, en réalité, ce qui devait résulter du triomphe de l’opinion qu’ils défendaient tous avec une docile mais inconsciente unanimité.

Ce qui se passe aujourd’hui démontre combien nous avons eu raison de pousser nos amis à ne pas répondre à une question dont les termes étaient tellement élastiques qu’il est possible de tirer de la réponse qui lui a été faite deux explications contradictoires.

Il s’agissait, disait-on, de demander simplement au peuple si, oui ou non, il approuvait les réformes libérales contenues dans la Constitution de 1870.

Rien de plus, rien de moins.

La question dynastique n’était pas plus posée que la question ministérielle, et rien ne paraissait plus précis et plus net que ce plébiscite, tel que le présentaient alors si timidement les journaux officieux.

M. de Girardin, lui-même, était fort modeste ; et autant il cherchait à démontrer la nécessité de répondre oui, autant il évitait de donner à entendre qu’on pourrait plus tard tirer de ce oui des conséquences autres qu’une acceptation étroite des modifications constitutionnelles contenues dans le récent sénatus-consulte.

Les gens qui veulent prendre la réponse du 8 mai comme le point de départ, soit d’un mouvement libéral, soit d’un mouvement réactionnaire, sont également absurdes tous ; à moins, ce qui pourrait peut-être s’établir, qu’ils ne soient tous d’une égale mauvaise foi.

Les partisans de la réaction disent que 7 millions de suffrages sont venus, une nouvelle fois, acclamer le gouvernement impérial ; que l’empire a été renouvelé et rajeuni par cette immense majorité ; et de là ils n’hésitent pas à conclure que la masse de la nation, s’étant déclarée contre les révolutionnaires, le gouvernement a le droit, et même le devoir de les écraser dans le plus bref délai.

Aux yeux de ces messieurs, grands amis de l’ordre et de la justice, il ne reste plus debout, après le vote du 8 mai, d’autre loi que la loi du plus fort ; or, comme ils sont les plus nombreux, ce qui, dans leur esprit, est synonyme de plus forts, ils ne se croient tenus à aucun ménagement envers leurs adversaires, et se considèrent même comme très généreux de ne pas les anéantir immédiatement, sans la moindre forme de procès.

Au fond de leur conscience, au lieu des remords qu’on croirait assez naturel d’y trouver, il n’y a au contraire qu’un sentiment de satisfaction de soi-même, une tranquillité d’esprit, une sérénité qui seraient inexplicables, sans aucun doute, si on faisait abstraction des réflexions qui précèdent.

Ces messieurs, dans leur naïveté, accusent même les révolutionnaires d’être des ingrats odieux, indignes de pitié, poussant la mauvaise foi jusqu’à méconnaître la générosité dont on fait preuve à leur égard, en daignant ne les traquer que par l’intermédiaire des tribunaux.

Il ne faut peut-être pas trop en vouloir aux ministres ; ils ont évidemment l’esprit surexcité par une récente prise de possession du pouvoir.

Cependant, nous ne saurions les laisser plus longtemps en proie à une erreur dans laquelle ils se complaisent sans doute, mais qui ne saurait se prolonger sans désagrément pour nous.

Nous leur disons donc que, même en supposant le vote du 8 mai aussi absolu et aussi clair qu’ils le prétendent, sa seule signification serait alors de constater que la majorité des électeurs a consenti à préférer la Constitution de 1870 à celle de 1852.

En dehors de là ce vote ne peut rien signifier, et ne répond à rien.

Que ces messieurs cessent donc leurs ridicules fanfaronnades, et qu’ils s’abstiennent de s’appliquer à tirer d’un fait si simple des conclusions tout à fait inattendues et très compliquées.

Qu’ils cessent de poursuivre les journaux avec une rage qui nous rappelle les mauvais jours de notre histoire ; qu’ils se gardent de traiter le parlement un peu trop à la légère ; et surtout, qu’ils n’oublient pas que la responsabilité ministérielle doit être devenue une réalité.

Telle est la tâche à laquelle ils se sont condamnés eux-mêmes.

Quant aux bonapartistes libéraux, c’est-à-dire aux gens qui coudraient tirer du plébiscite des conclusions libérales, leur affaire est encore bien plus simple :

Il suffit qu’une question ait été posée à un peuple, pour que l’homme qui a eu la rare audace d’interroger ses contemporains, bénéficie de la réponse quelle qu’elle soit.

En effet, lorsqu’on consent à répondre, on lui reconnaît le droit d’interrogation, même en lui répondant non.

C’est pour cela que nous nous sommes abstenus ; c’est pour cela que la démocratie tout entière eût dû refuser de s’associer à un acte qui était en contradiction absolue avec ses principes, et dont on veut se servir aujourd’hui contre elle.

Aussi, quoique les libéraux bonapartistes puissent faire, ils n’en sont pas moins entraînés dans le courant, et réduits au simple rôle de comparses.

Entre le peuple et l’empereur, il n’y a plus rien aujourd’hui.

Un mandataire nommé par le peuple, voudrait-il faire acte de virilité, d’indépendance, d’opposition ; le ministre, et ce sera M. Ollivier, lui répondrait immédiatement : « Taisez-vous et inclinez-vous ; vous n’avez eu que vingt mille voix, tandis que César, que je représente, en a eu sept millions. »

La question plébiscitaire était donc tellement posée, que personne ne saurait se prévaloir de la réponse faite, et que le pouvoir personnel seul paraît en avoir profité.

Mais ce n’est là qu’une vaine apparence.

Entre l’empereur et le peuple, il n’y a plus rien, il est vrai, mais c’est précisément là le côté faible et vicieux des institutions impériales.

On aura beau désormais inventer des fictions décevantes, et les nommer parlementarisme, responsabilité ministérielle, garanties constitutionnelles, tout cela ne sera qu’une vaine fantasmagorie.

On saura, désormais, qu’entre le peuple et l’empire, il n’y a aucune conciliation possible, et que le pouvoir de l’un et de l’autre sont en présence, et en contradiction permanente.

En outre, les abstentionnistes sont assez nombreux pour que les non puissent, grâce à eux, protester contre l’usage qu’on prétend faire de leur réponse.

Le plébiscite n’aura donc été, en réalité, qu’une nouvelle et ridicule comédie, dans laquelle tout le monde aura été trompé ; tout le monde, même le gouvernement, mais excepté, bien entendu, les gens qui ont eu le bon esprit et la prudence de ne pas vouloir se prêter à un acte aussi inutile que ridicule.

Grâce aux abstentionnistes, l’inanité du plébiscite est donc devenue évidente, et, quoiqu’il puisse faire, le gouvernement se trouve aujourd’hui dans l’impuissance de tirer aucune conclusion pratique d’un vote qui ne signifie absolument rien, et qui n’aura servi qu’à montrer une nouvelle fois son impuissance à résoudre, autrement que par de tristes faux-fuyants, les questions qui intéressent l’avenir politique de notre pays.

OSCAR JACOB

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L’estampe de couverture, réalisée par L. Dumont, pour une édition des Fables de La Fontaine illustrée par Gustave Doré, se trouve sur Gallica, là.

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Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).