Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
147. Lundi 16 mai 1870
Je ne vous donne pas le détail des amendes, la Marseillaise a déjà payé 12,248 fr. 55 (le compte exact serait peut-être 12,241), au total 17,998 fr.55 (17,991?), et il en reste à venir ;
nous n’avons pas la Chronique annoncée hier, mais un article de Millière, « Complots et attentats », après quatre-vingt-quinze jours de prison cellulaire, le voilà sorti, ainsi que Rigault et Brunereau, finalement il n’y avait rien contre eux ;
les « Nouvelles politiques » continuent sur un sujet bien politicien, la crise ministérielle, qui nous importe peu (c’est Ulric de Fonvielle qui le dit, mais il en parle assez longuement quand même) ;
le « Courrier politique » est intitulé « Les énergumènes », ceux de la Marseillaise qui ont vu juste, eux, en refusant de voter (par opposition à la gauche parlementaire) ;
c’est dimanche (si, si) et il y a un poème de Gustave Mathieu, « Le Pauvre », avec sa musique de Darcier ;
Lefrançais continue à protester contre le Duvernois du Figaro (voir le début de cette histoire dans le journal daté du 12 mai) ;
je passe une (bête) histoire de duel (qui n’aura pas lieu) ;
« Le comité se détraque », c’est Rigault, notre autre libéré, qui le dit, il ne sait certes toujours pas pourquoi il a passé les fameux quatre-vingt-cinq jours en prison, mais il se réjouit que cela détruise, détraque, le « comité Blanqui », de sorte qu’il faudrait libérer aussi les frères Villeneuve ;
c’est de Collot, arrêté comme membre d’une société secrète (l’Association internationale des travailleurs) qu’il est question ensuite, Germain Casse est d’ailleurs dans le même cas ;
puis c’est une lettre d’Adolphe Robert, lui aussi à Mazas ; « La liberté sous l’empire », ce sont les lithographes qui protestent contre l’arrestation du citoyen Franquin (voir le journal daté du 11 mai) ;
d’autres « Informations », c’est encore bien politicien ;
je vous garde le « Bulletin du mouvement social » (ci-dessous) ;
je passe l’article d’Antoine Arnaud suite de sa « Question des chemins de fer » ;
le peintre Tournachon n’a pas dû apprécier ce que Puissant a dit de son tableau « La mort de Saint-Just » dans le journal daté du 14 mai, il a écrit à Puissant, mais on attend, parce qu’il n’est pas là ;
Charles Lullier aussi sort de Mazas et il raconte son histoire dans une lettre datée du 23 floréal an 78 (ce qui me fait penser que, contrairement au Rappel, la Marseillaise ne donne pas la date dans le calendrier républicain) ;
Louis Noir continue à étudier « Le vote de l’armée » ;
quelques « Échos » amusants ;
Barberet lance un appel « Aux démocrates », il s’agit d’organiser de nouvelles souscriptions, pour aider les familles des nouveaux arrêtés ;
dans les « Faits divers », on verra un curé qui a demandé qu’on l’enterre civilement, il était d’ailleurs libre penseur ;
il y a des annonces ;
dans les « Communications ouvrières », une nouvelle section de l’Internationale, la section de la rive gauche, une société de tailleurs de pierres se réunit, il y en a aussi pour les corroyeurs, les tisseurs, les doreurs sur bois, les tailleurs ;
quelques réunions publiques sont annoncées ;
Arthur Ranc a vu Flava et la Boule de neige au théâtre ;
listes de souscriptions ;
dans les « Tribunaux », notre ami Lissagaray s’est encore pris un an de prison et 2,000 francs d’amende (mais il n’était pas là) ;
encore du théâtre et de la Bourse.
BULLETIN DU MOUVEMENT SOCIAL
Protestation de la fédération ouvrière rouennaise
Travailleurs !
Après l’emprisonnement des principaux défenseurs de la démocratie socialiste, de nos frères parisiens écroués à Mazas, sous la fallacieuse prévention de participation à une société illicite, c’est-à-dire comme membres de l’Association internationale des travailleurs, nous avons la séquestration de notre ami Émile Aubry, secrétaire de la fédération ouvrière de l’arrondissement de Rouen, et rédacteur directeur de la Réforme sociale.
Rien de plus juste, selon M. Ollivier, ministre de la justice, qui prend le droit de les faire arrêter. Mais sont-ils coupables ? M. le ministre a-t-il des motifs sérieux, graves, importants, pour les priver du bien le plus cher à leur cœur, de la liberté ? A-t-il oublié qu’ils ne sont point des perturbateurs, des anarchistes, des hommes de parti, mais bien des travailleurs, voulant pour tous, LIBERTÉ, JUSTICE, FRATERNITÉ ? A-t-il oublié qu’ils laissent chez eux des femmes, des vieillards, des enfants sans soutien, sans argent, sans pain ! A-t-il oublié qu’un article des Déclarations des droits de l’homme et du citoyen nous apprend qu’il y a oppression contre le corps social, lorsqu’un seul de ses membres est opprimé ? Il y a oppression aussi contre chaque membre, lorsque le corps social est opprimé. A-t-il oublié que la vraie liberté est un droit inaliénable et qu’il n’y a que l’injustice et la violence qui puissent en dépouiller l’homme social ?
Eh bien ! oui, M. Émile Ollivier, ministre de la justice, paraît oublier, ignorer que les prolétaires incarcérés, nos amis, en un mot, ne sont pas coupables et qu’il n’y a point de motifs pour les priver de leur liberté. Oui, M. le garde des sceaux paraît ignorer que M. Ollivier, député, conseillait, il y a deux ans, aux membres de la Fédération ouvrière de réclamer hautement leurs droits, ce qu’ils se sont empressés de faire avec l’assentiment de l’autorité locale, et ce que font tous ceux qui vivent en travaillant comme l’indiquent clairement les statuts de la fédération.
Oui, M. Ollivier paraît ignorer que la liberté est un droit inaliénable, et que nous ne sommes point des anarchistes qui désirent remplacer une dynastie par une autre. Aussi, est-ce au nom de la politique socialiste, qui ne veut que le triomphe des trois grandes lois de la société : le travail, la science, la justice, que nous protestons contre l’arrestation de notre ami É. Aubry et de nos frères de l’Internationale.
Ont signé les membres présents.
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On lit dans les journaux officieux du midi la bourde suivante :
Les ouvriers des marbreries de Bagnères, au nombre de 1,500, travaillés par la Société internationale, se sont rendus auprès de l’honorable M. Achille Jubinal, député de la circonscription, en lui disant : « Nous ne connaissons que vous, nous ne voulons d’autres conseils que les vôtres, » et ils ont déposé 1,500 oui dans l’urne plébiscitaire.
Si l’Association internationale des travailleurs produit de tels fruits, comment se fait-il que le gouvernement s’efforce de la décimer à Paris, Lyon, Marseille, Rouen, etc. ? Ne ferait-il pas, au contraire, acte de haute politique en la favorisant ? La conséquence logique de l’exemple de Bagnères est que, si toutes les communes de France étaient affiliées à l’Internationale, elles iraient se jeter aux pieds de l’empereur et lui diraient : « Sire, nous ne voulons plus d’autre maître que vous, » et la France se trouverait ainsi purgée, comme par enchantement, des révolutionnaires, des socialistes et des partageux.
Nous demandons qu’on en fasse l’expérience.
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Les ouvriers menuisiers de Saint-Vallier (Drôme) viennent de se mettre en grève. Ils demandent une augmentation de salaire et une diminution d’une heure de la journée de travail.
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Un journal du soir publie la réclame suivante :
LES FONDEURS EN FER DE PARIS demandent des mouleurs. — Ouvrage assuré dans 33 fonderies. — S’adresser dans les fonderies, ou au président de la chambre syndicale des fondeurs mécaniciens, 92 boulevard Sébastopol.
On sait que les ouvriers fondeurs et mouleurs de Paris sont en grève depuis près d’un mois. Les patrons font appel aux ouvriers étrangers. Nous croyons bien qu’ils en seront pour leurs frais d’insertion. Les principes de solidarité et de fraternité, qui unissent maintenant les travailleurs de tous les pays, inspireront partout désormais la conduite à tenir en pareille occurrence. Les ouvriers étrangers ne viendront pas à Paris prendre la place de leurs frères en grève, et ils feront bien.
A. VERDURE
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Je ne sais pas qui a dessiné ni gravé le beau portrait de Saint-Just que j’ai reproduit en couverture de cet article, mais je l’ai trouvé sur le site de l’Assemblée nationale, qui n’a pas indiqué d’auteur mais y a mis un copyright (?). Je n’ai pas trouvé le tableau d’Adrien Tournachon dont il est question dans la Marseillaise aujourd’hui, mais je doute qu’il ait été plus beau (et d’ailleurs aussi que Saint-Just ait été plus beau mort que vivant).
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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).