C’est une anthologie. À mon sens, une anthologie est tout sauf une accumulation d’extraits de textes enfilés les uns à la suite des autres sans qu’on puisse vraiment savoir davantage sur l’auteur que son nom, ni où, dans quel livre, aller chercher le texte complet d’où les quelques lignes qui vous ont intéressée ont été sorties. Cela existe, hélas. Mais n’en parlons pas.

Parlons de La Commune des écrivains, qui vient de paraître en collection « folio classique ».  Beau titre, joli livre, une image de couverture originale (au sens de dessinée spécialement pour ce livre), 800 pages, plus de 80 textes, 20 illustrations — en noir et blanc, mais « sourcées » et commentées –, une chronologie, des notices biographiques, pour 10,90 euros. Chacun des textes est présenté, placé dans son contexte, le plus souvent de façon intéressante.

L’ensemble constitue un beau livre sur la Commune. Je l’ai dit: je n’écris pas sur les livres que je n’aime pas. J’ai pris plaisir à lire celui-ci. J’y ai même découvert des textes que j’ignorais (encore heureux!) et des idées de lecture, du côté de William Morris, poète anglais et de Georges Darien (dont, je l’avoue, je n’ai — encore — rien lu). Des poèmes et des romans, donc — je vais revenir aux romans. Mais aussi un peu de théâtre, des articles de journaux, des affiches et des chansons.

Il y a quand même deux ou trois fausses notes — non, pas dans les chansons, dont seuls les textes sont donnés. Dans quelques-unes des éditions « de référence » données. Si on les nomme ainsi, il faut choisir les bonnes. Et quand il y a une édition (enfin) complète, définitive, « scientifique », eh bien, c’est celle-là qui doit faire référence! Au moins trois petites fautes de goût dans les choix faits pour Mes cahiers rougesPhilémon et même Souvenirs d’une morte vivante — les lecteurs de ce site ne s’étonneront pas que cela m’ait gênée, et que cela m’ait dérangée que cela tombe, justement, sur ces trois-là.

Et puis il y a… ce qui manque. Une anthologie est un livre d’auteur(s), Alice de Charentenay et Jordi Brahamcha-Marin ici. C’est leur livre, ce sont leurs choix, c’est leur subjectivité, leur culture. Vous ou moi n’aurions pas fait les mêmes.

C’est normal.

Mais quand même…

J’ai été étonnée de l’absence de tout extrait du Canon Fraternité (Gallimard 1970) que j’ai tant utilisé cet hiver, et de même d’un autre roman patrimonial de Gallimard, Les Massacres de Paris (Gallimard 1935). Ainsi, les lectrices ne sauront pas comment on parlait de la Commune juste après 1968 et au moment du centenaire. Ils ne sauront pas non plus comment on en parlait au temps de la montée des fascismes en Europe — ah, si! il y a un texte de Bernanos. Franchement, à choisir, j’aurais préféré un antifasciste comme Jean Cassou. En réalité, sauf erreur de ma part, l’unique roman du vingtième siècle est… Philémon (et c’est le tout premier vingtième siècle: 1913!).

Ah, voilà: les auteurs sont ce que l’on appelle des dix-neuviémistes… Parmi nos amis, ils ont pourtant raté André Léo, romancière et journaliste de grande qualité, qui ne figure que par un texte assez niais, mais, rassurez-vous, Arthur Arnould est là, ainsi que Victorine Brocher, Louise Colet, Prosper Olivier Lissagaray, Jenny Marx et son Karl Marx de père, Émilie Noro, Alix Payen, Camille Pelletan, Jules Vallès, Maria Verdure, Maxime Vuillaume… et bien d’autres que nous aimons lire. Et même, il y a deux chapitres de Comme une rivière bleue. Évidemment, ça fait plaisir. Mais pourquoi moi et pas eux?

En parlant de Maria Verdure, qui est à la fois dans La Commune des écrivains comme autrice et dans Comme une rivière bleue comme actrice, j’ai le plaisir de signaler que c’est déjà le deuxième livre dont je parle depuis février et dans lequel (une partie de) ses articles sur les crèches sont cités, vous savez, ces articles dont on parlait souvent sans être capable les citer, parce qu’ils sont parus dans le Journal officiel mais pas dans la réimpression Bunel. Je vous renvoie à nos articles sur le sujet, ici ou (« indispensable étude », dit Stathis Kouvélakis dans encore un livre récent) ou à l’introduction du livre des éditions Syllepse.

Un joli livre, je l’ai dit d’emblée.

Livres cités (par moi) — dans les éditions de référence, naturellement!

La Commune des écrivains – Paris, 1871: vivre et écrire l’insurrection, anthologie établie par Alice de Charentenay et Jordi Brahamcha-Marin, Folio classique (2021).

Vuillaume (Maxime), Mes Cahiers rouges Souvenirs de la Commune, édition intégrale inédite présentée, établie et annotée par Maxime Jourdan, La Découverte (2011).

Descaves (Lucien)Philémon, vieux de la vieille, présenté, établi et annoté par Maxime Jourdan, La Découverte (2019).

Brocher (Victorine)Souvenirs d’une morte vivante Une femme dans la Commune de 1871, Libertalia (2017).

Chabrol (Jean-Pierre)Le Canon fraternité, Paris, Gallimard (1970).

Cassou (Jean)Les Massacres de Paris, Gallimard (1935).

Audin (Michèle)Comme une rivière bleue, L’arbalète-Gallimard (2017)

Marx (Karl) et Engels (Friedrich)Sur la Commune de Paris, Textes et controverses, précédé de Événement et stratégie révolutionnaire, par Stathis Kouvélakis, éditions sociales, 2021.

Le Tréhondat (Patrick) et Mahieux (Christian)La Commune au jour le jour Le Journal officiel de la Commune de Paris (20 mars-24 mai 1871), Syllepse (2021).