Et voici notre ami Gustave Maroteau devant (toujours) le 3e conseil de guerre. Il a été arrêté rue Pelleport dans la nuit du 8 au 9 juillet. Il est détenu à Satory, lit-on dans les journaux de l’été, et il passe sans doute une partie de son temps à l’hôpital. Les journaux se réjouissent que tant de journalistes soient en prison. Après celui de Rochefort, Mourot et Maret, c’est aujourd’hui le « deuxième procès des écrivains », comme écrit un journaliste, celui de Gustave Maroteau, Albert Barbieux, du Rappel et Marc Amédée Gromier, secrétaire de Félix Pyat au Vengeur. Le cas des deux derniers est moins grave. Disons-le immédiatement: Barbieux est condamné à une amende de 1000 francs, Gromier à six mois de prison et 500 francs d’amende. Et concentrons-nous sur Gustave Maroteau.

Un journaliste note que la salle est presque vide et précise même que pas une dame n’y est présente. Il regrette que l’accusé que le bruit public disait phtisique, paraisse en bonne santé. Il lui trouve toutefois une pâleur mate que font ressortir davantage encore sa chevelure et sa barbe noires. 
Gustave Maroteau a 22 ans.
Comme dans le cas du procès de Rochefort, Mourot et Maret, les condamnations pour fait de presse du temps de l’empire sont comptées contre lui, ainsi que son article dans La Patrie en danger en septembre. Évidemment, ce qu’on lui reproche, c’est, en avril, la Montagne, qui fournit vingt et quelques numéros, et en mai, le Salut public. Extrait du rapport:

Ces publications sont d’une violence inouïe, s’attaquant à toutes les personnes au pouvoir, à tontes les institutions du pays, à tous les pouvoirs établis; ils sont les produits d’une imagination fiévreuse et maladive; ces efforts, on le sent, doivent laisser leur auteur abattu, sans forces.
Ce sont des hoquets, des accès nerveux, presque de l’épilepsie. Les premiers articles sont généralement les plus violents; l’auteur a puisé des forces dans un repos de quelques jours, puis son ardeur décroît, et à la fin, ce ne sont plus que des éclairs fugitifs.

Et voici l’interrogatoire:

M. le président. — Accusé, à quelle époque avez-vous commencé à écrire à Paris?
R. En 1866, à dix-sept ans, à ma sortie du collège, M. le président.
D. Vous avez fait partie de « l’Internationale? »
R. Non, jamais.
D. Avez-vous eu des relations avec Blanqui?
R. Non; je ne l’ai vu qu’une ou deux fois.
D. Que faisiez-vous durant le premier siège à Paris?
R. Je suis revenu à Paris le 5 septembre et me suis immédiatisent rendu à la place Vendôme pour me faire inscrire sur les registres de la garde nationale mobile. Malgré tous mes efforts pour pouvoir servir mon pays, j’ai été réformé pour cause de santé.
M. le président. — Vous avez entendu les charges qui pèsent contre vous. Vous êtes accusé d’excitation à la guerre civile.
R. Je n’ai pas excité à la guerre civile, puisque je n’ai commencé à écrire qu’après la révolution faite.
M. le président.– La nuance est subtile. Vous êtes accusé en outre d’avoir provoqué à l’assassinat de MM. Thiers, Favre, Picard, Simon et Pothuau!
R. En quoi cela?
M. le président.— En écrivant dans la Montagne des articles dans le genre de celui-ci, où vous demandiez leur mort. Je lis:

Heinrich (c’est le bourreau) aiguise ton couteau, il faut que tous ces scélérats meurent! Que toutes les boutiques se ferment, que tous les bourgeois se lèvent. Nous biffons Dieu. Les chiens ne se borneront plus à regarder les évêques, ils les mordront. Si l’on ne nous rend pas Blanqui, ils mourront tous!

N’est-ce pas là, dit M. le président, de l’excitation à la guerre civile au premier chef?
Maroteau. — Mais non, c’était un avertissement. D’ailleurs, cet article n’est pas de moi.
M. le commissaire de la République. — Il est signé de vous.
R. Ce doit être une erreur.
D. Vous avez poussé à l’assassinat de Mgr Darboy?
R. Ce n’est pas moi non plus.
M. le président. — Je crois inutile de faire de nouvelles lectures: M. le commissaire du Gouvernement citera les articles incriminés.

Le commissaire du gouvernement, c’est toujours Gaveau, qui commence son réquisitoire en faisant le procès à la presse. Il lit de nombreux articles écrits par Maroteau dans plusieurs journaux, qui, dit-il, justifient pleinement les accusations portées contre l’inculpé, d’excitation à la guerre civile et de provocation à l’assassinat des otages.

Il faut débarrasser la société de cet énergumène féroce conclut le commissaire de la République, et mettre un terme au cours de ses exploits.

C’est Me Bigot qui présente la défense. Nous l’avons déjà rencontré (voir ici, et ). Il adjure les juges de revenir par la pensée à l’époque agitée ou écrivait Maroteau, si jeune, si exalté lui-même. Il reconnaît ce que les articles de Maroteau ont de violent, mais cette violence, le défenseur l’attribue à l’excitation générale du milieu dans lequel il les écrivait, et à l’ardeur maladive à laquelle il était en proie. Il conclut en demandant pour son client la peine du bannissement qui, seule, peut et doit lui être appliquée.

La délibération dure une heure. Le conseil le condamne, à l’unanimité, à la peine de mort.

Je me permets de rappeler à ces messieurs, comme certainement Me Bigot l’a fait, et comme les journalistes dont j’ai lu les comptes rendus négligent de le signaler, que la peine de mort pour raisons politiques n’existe plus depuis 1848 et que, dans ce cas, il n’y a pas le moindre prétexte de droit commun pour la justifier. 

Le journaliste (qui ne signe pas) dont j’ai utilisé l’article (dans Le Petit Moniteur universel daté du 4 octobre) semblait s’intéresser à d’autres détails de ce procès que la liberté de la presse. Après avoir noté qu’il n’y avait pas une femme présente au début de l’audience, il écrit maintenant que la « condamnation cause une certaine sensation dans I’auditoire qui s’est un peu augmenté, et dans lequel on voit une vingtaine de femmes ».

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J’en ai déjà parlé (article déjà cité), j’en reparlerai. Il y a eu un mouvement contre son exécution et Gustave Maroteau n’a pas été exécuté. Il est quand même mort de cette condamnation…

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J’ai déjà utilisé la photographie de Gustave Maroteau par Appert dans un article ancien.