Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

46. Mercredi 2 février 1870

Rochefort s’attaque à un passage d’une circulaire de « notre seul et unique Ollivier », qui recommande aux procureurs de distinguer entre les articles de journaux, ceux qui sont des théories et ceux qui sont des actes, dont la signification est de continuer à poursuivre et condamner les hommes de lettres comme on le juge à propos, — cet article lui-même, est-ce une opinion ou un acte, se demande notre polémiste ;

les « Nouvelles politiques » n’oublient pas le Creuzot, où deux régiments sont encore et où les statuts d’une association établissant une forge coopérative ont dû être rédigés, elles n’oublient pas non plus les mineurs anglais en lutte ;

Habeneck revient sur le toujours inexistant conseil municipal ;

Arthur Arnould parle lui aussi de la circulaire d’Ollivier sur la liberté de la presse ;

Germain Casse attend le retour de Raspail, qui va mieux, à « La Chambre », pour défendre deux projets de loi, l’un abolissant le serment politique et l’autre exigeant la mise en accusation de Haussmann ;

comme il l’avait annoncé, Millière consacre sa « Question sociale » à la liberté de l’enseignement ;

dans les « Échos », L’Ingénu signale le succès d’une chanson intitulée La Canaille, (texte d’Alexis Bouvier, musique de Darcier, la chanson date de 1865) la canaille a trop de succès pour l’entourage de l’empereur, il signale aussi qu’Alexandre Dumas fils (qui n’en est pas à sa dernière infamie) attend pour décider de son opinion sur la mort de Victor Noir, les débats de l’affaire ;

Ulric de Fonvielle demande une amnistie pour Karl Blind, exilé à Londres depuis la manifestation du 13 juin 1849 (dont il a été question ici à propos de Ferdinand Gambon) ;

trois semaines après sa mort, une petite cérémonie sur la tombe de Victor Noir ;

une quinzaine de personnes (tous des ouvriers, sauf Flourens) demandent, à la suite de Gambon semble-t-il, de rassembler tout l’argent de toutes les souscriptions et de l’envoyer aux familles des ouvriers expulsés du Creuzot ;

Francis Enne donne des nouvelles de la pétition anti-républicains dont il a été question dans le numéro daté du 23 janvier, avec des informations sur un des propagateurs de cette pétition parmi les commerçants ;

dans le « Bulletin du travail », il est question d’adhésion de travailleurs lyonnais à l’Association internationale des travailleurs ;

il y a des « Communications ouvrières », de la Chambre syndicale des ouvriers couvreurs de la Seine et de celle des employés de la confection pour hommes ;

des annonces de réunions et même celle d’un mariage civil ;

la souscription pour Victor Noir continue à s’afficher ;

je passe encore quelques rubriques et je signale de la publicité pour l’hebdomadaire La Libre Pensée, qui paraît tous les samedis et auquel collaborent Rigault, Flourens et surtout Verlet, ainsi que pour une salle d’armes 43 rue d’Argoult (très près du journal) (avec tous ces duels… voir le numéro daté du 5 février).

Et j’ai gardé l’article de Millière. Je partage l’idée, exprimée par Jacques Rougerie qu’il faudrait, pour comprendre l’évolution des idées « communistes » avant et pendant la Commune, étudier toute la série d’articles de Millière dans la Marseillaise. Ils sont maintenant en ligne. Je reproduis celui-ci.

QUESTION SOCIALE

La liberté de l’enseignement

L’aristocratie bourgeoise, qui a vendu et livré la République de Février à la Réaction, avait de gré ou de force, accepté notre devise révolutionnaire.

Et la gauche actuelle, qui représente si bien l’esprit de la majorité du gouvernement provisoire, ne peut plus répudier ces trois mots : Liberté — Égalité — Fraternité.

Mais aujourd’hui comme alors, aux yeux de nos irréconciliables ce sont des mots vides de sens ou dont le sens leur importe peu.

Cela fait bien, dans un discours d’apparat ! Ça prête à de beaux mouvements oratoires.

Avec ces trois mots, habilement amenés dans la péroraison d’une plaidoirie, on pose une candidature ; puis on la chauffe ; et, le résultat obtenu, on peut impunément renier ses promesses, se draper dans sa conscience, comme dans les plis d’un manteau troué, et insulter les démagogues qui ont eu la naïveté de croire à la foi jurée, parce qu’on espère que, quand on en aura besoin, au moyen d’un bon discours, on fera oublier toutes les déceptions, et qu’on effacera les défiances d’un peuple trop crédule.

Pour nous, démagogues, qui, n’ayant jamais été conciliés, ne sommes pas seulement des irréconciliables, mais bien les ennemis implacables de toute espèce de domination, monarchique, théocratique ou aristocratique ;

Pour nous, républicains, qui luttons contre la tyrannie impériale dans le but d’y substituer, non le despotisme d’une oligarchie d’ambitieux et d’intrigants, mais le règne de la souveraineté populaire ;

Pour nous, socialistes, qui invoquons cette souveraineté, non afin de la déléguer à des mandataires qui se prétendent bientôt nos maîtres, mais afin que le peuple puisse faire lui-même, directement, ses propres affaires, sans mentors ni sauveurs d’aucune sorte ;

Pour nous tous enfin, prolétaires, la devise républicaine n’est pas une vaine formule ; ses trois termes sont des mots sacrés qui contiennent autant de principes fondamentaux.

Ces trois mots ne doivent pas seulement être écrits sur notre drapeau, gravés au fronton de nos monuments, imprimés en tête de nos lois ; ils doivent former la substance même de nos institutions politiques et sociales, et entrer dans la pratique de la vie.

De quelle manière la République les introduira-t-elle dans la loi organique de l’enseignement ?

En vertu du fait de la Fraternité humaine, résultant de notre conformation anatomique et physiologique, tous les enfants ont des droits égaux au libre développement de leurs facultés physiques, intellectuelles et morales.

Ce n’est pas ainsi que l’entendent ceux qui réclament la liberté de l’enseignement.

Les uns, par un hommage hypocrite aux sentiments de famille, qu’ils méconnaissent ou qu’ils violent impudemment lorsqu’ils y ont intérêt, demandent la liberté parce qu’ils savent bien que, sous l’influence de la mère, que le prêtre dirige, le père, incapable de faire lui-même l’éducation de ses enfants, sera presque toujours obligé de la livrer aux congréganistes ou à d’autres instruments des partis rétrogrades.

Les autres demandent la liberté de l’enseignement en vertu du principe de la liberté de l’industrie, comme si l’enfant était une chose, comme si la personnalité humaine pouvait former l’objet d’un commerce.

Tous ne voient dans la liberté d’enseignement que leur propre liberté, à eux-mêmes. Ils considèrent l’enfant, non comme étant le but de l’enseignement, mais comme un moyen, une matière à exploitation. À leurs yeux l’enfant est l’instrument dont ils se servent, soit dans un intérêt de secte, afin d’asseoir leur domination sur la société, soit dans un intérêt mercantile.

Et parmi les libéraux, dont toute la science sociale consiste à laisser faire, ceux qui, ne puisant pas leurs inspirations au confessionnal, redoutent les dangers de cette liberté, ceux-là ne savent pas comment repousser des prétentions fondées précisément sur le principe unique du libéralisme, de sorte que la difficulté leur semble insoluble.

Selon nous, ce n’est qu’une immense équivoque.

Nous aussi, nous voulons la liberté, mais c’est pour celui qui reçoit l’instruction, non pour celui qui la donne ;

Pour l’enfant l’instruction est un droit. De la part de tous autres, elle est un devoir.

Dès le jour de sa naissance l’enfant est une personne ; il s’appartient et il n’appartient à nul autre.

L’enfant n’est pas la propriété du père ; le père ne peut plus, comme autrefois, le tuer, ou le vendre, ou l’exposer.

Avant même qu’il ait vu le jour, la loi protège l’enfant, car elle punit l’avortement comme elle punit l’infanticide.

Non seulement nos lois modernes ne permettent plus au père de disposer de la personne de ses enfants, mais encore elles ne l’autorisent pas même à disposer de leurs biens ; elles ne lui accordent qu’un pouvoir de protection, de tutelle, et seulement dans la mesure où c’est nécessaire pour qu’il puisse accomplir ses devoirs.

À plus forte raison ne doit-on pas reconnaître au père la faculté de disposer des destinées de ses enfants, de leur imposer, par l’éducation, une direction contraire à leur vocation, de les engager arbitrairement dans une carrière opposée à celle qui leur est assignée par leur propre nature.

La liberté du père, vis-à-vis de ses enfants, appartient à l’ordre moral. Elle s’exerce par la satisfaction de ses besoins affectifs, qui est aussi une condition de notre destinée, et le sentiment paternel n’est pas l’une des moins impérieuses.

Entendue de cette façon, la liberté du père, loin de nuire à celle de l’enfant, la complètera, et la légitime influence des conseils paternels ne s’exercera que d’une manière avantageuse, aussi bien pour l’un que pour l’autre.

Si la liberté de l’enfant ne doit pas être entravée par l’autorité paternelle, une volonté étrangère peut moins encore y porter atteinte.

La société ne doit donc exercer aucune pression sur l’éducation de ses membres.

Quant à l’instituteur, sa liberté consiste à pouvoir pratiquer la profession qu’il a librement choisie, en se conformant aux lois de la société dont il fait partie.

En matière d’enseignement, la liberté doit être envisagée au point de vue de celui qui en est l’objet : l’enfant. Il doit avoir la liberté de développer spontanément toutes ses facultés, sans aucune espèce d’entraves, de quelque part qu’elles viennent, soit du père, soit du précepteur, soit de la société.

Quant aux moyens pratiques, ils seront fournis par le principe d’Égalité.

Demain nous en indiquerons l’application.

MILLIÈRE

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L’estampe de Félix Vallotton vient de Gallica, là.

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