Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

70. Lundi 28 février 1870

Pour commencer, ce qui va devenir une litanie,

Pourquoi tous les rédacteurs de la Marseillaise ont-ils été arrêtés en masse, le 8 février dernier, et entassés dans les Bastilles de l’empire ?

Pourquoi sept d’entre eux ont-ils été relaxés à des intervalles arbitraires, après une détention préventive qu’aucun acte de leur part n’avait motivée ?

Pourquoi les citoyens Bazire, Dereure, Humbert, Paschal Grousset, Millière et Raoul Rigault sont-ils encore soumis à cette détention préventive, pour un fait de presse qui ne la comporte point ?

Pourquoi les citoyens Dereure et Paschal Grousset, qui ont à purger des condamnations pour prétendus délits de presse, n’ont-ils pas encore été transférés à la prison de Pélagie, au lieu d’être maintenus au régime cellulaire ?

Pourquoi nos confrères du Réveil, les citoyens Cournet et Razoua, sont-ils détenus à la maison de détention de la Santé ?

Pourquoi deux cents autres citoyens au moins sont-ils également incarcérés sans motif, et hors d’état de subvenir aux besoins de leurs familles ?

Le Gérant : J. BARBERET

puis les « Fantaisies politiques », cette fois ledit Dangerville a ramené ses lanternes, pour éclairer « les naïvetés de la gauche » et lancer encore un réquisitoire contre Ollivier, avec quelques comparaisons très misogynes ;

puis c’est Dubost qui écrit à Barberet pour lui dire que maintenant que la plupart des rédacteurs sont rentrés on n’a plus besoin de lui et qu’il se retire, et Barberet le remercie ;

Habeneck s’inquiète du jeune Bazire, inculpé non plus de cris séditieux mais d’outrage envers la personne de l’empereur, sera-t-il jugé par son parent Bazire, se demande-t-il ;

peut-être vous inquiétiez-vous de Varlin, déclaré hier prisonnier et omis dans l’article de Barberet ci-dessus, eh bien c’est qu’il est sorti de la Santé hier soir, et c’est la première des « Nouvelles politiques », je me permets d’inclure un extrait d’une lettre à Aubry datée du 8 mars :

Vous avez su mon arrestation et ma détention préventive en cellule pendant quatorze jours. Depuis ma mise en liberté, provisoire sans doute, car je n’ai pas même subi un interrogatoire et suis sorti sans explication aucune, j’essaye de reprendre le fil de mes occupations, et je dois vous assurer que cela fait un drôle d’effet d’être retranché comme ça pendant quinze jours de la vie publique et d’y reparaître ensuite subitement, sans transition. Il est vrai que les monceaux de papiers, correspondances, imprimés, que l’on m’a saisis et qui ne m’ont pas encore été rendus contribuent à augmenter cette espèce d’interruption dans mon existence. […]

mais revenons aux nouvelles, qui donnent encore une liste de jurés pour la Haute-Cour, ainsi que la remarque que Paris et Lyon, privées de maires et de conseils municipaux élus, n’y seront pas représentées ;

Arnould rappelle le peu de cas que nous faisons des tactiques parlementaires dans son « Courrier politique » ;

un soldat qui s’est exilé écrit au Constitutionnel pour rectifier les faussetés que raconte ce journal ;

dans le « Bulletin du mouvement social », on lit une information venue de la « branche française » de Londres de l’Association internationale des travailleurs, qui proteste contre l’arrestation de Rochefort, et un article sur « Le socialisme et la misère » ;

comme c’était le cas dans le numéro daté du 15 février, c’est Louis Noir qui signe la « Tribune militaire », toujours dans le but de « dire la vérité sur l’armée », aujourd’hui sur les punitions ;

je passe les « Échos » ;

et les « Journaux » ;

une disparition à Paris, depuis le 9 février ;

une lettre de Lyon raconte la célébration du 24 février, avec conférence du citoyen Andrieux sur les vieux airs patriotiques ;

une autre, d’Aix-les-Bains, la célébration du même anniversaire à Aix-les-Bains ;

sous le titre « La politique du prolétariat », voici un article de Malon, dont le nom est déjà apparu dans le journal et qui nous parle de l’Association internationale des travailleurs ;

Enne nous apprend qu’Ollivier poursuit aussi des journaux de province ;

revoici Victor Lefebvre (voir les journaux datés du 7 et du 13 février) qui se plaint que sa conférence ait été annulée ;

encore une lettre et encore un problème de presse, à Roanne cette fois ;

apparition d’une rubrique « Les Employés de chemin de fer » tenue par Antoine Arnaud (qui en a été un) ;

lettre des libres penseurs de Marseille ;

« Communications ouvrières » et « réunions publiques », une lettre d’Olympe Audouard, qui parlera sur la femme dans le mariage, divorce et séparation ;

je ne vais pas reconstituer le puzzle du « Corps législatif », le journal était déchiré, il a été microfilmé dans cet état et la numérisation ne l’a pas arrangé, on pourra s’étonner que le verso soit en bon état ;

nous pouvons y lire la (suite de la) liste de souscription pour Victor Noir, la bourse et les théâtres.

Je garde Malon, bien entendu, regardez comment il qualifie les singeries des politiciens de du Corps législatif.

La politique du prolétariat

Aveugles ceux qui ne l’ont pas encore vu : mais un fait immense, un fait qui marquera dans les annales humaines, s’accomplit en ce moment. Nous parlons de l’irruption du prolétariat dans le domaine de la politique.

Que les réactionnaires en fassent leur deuil, le temps des pondérations savantes, des subtilités byzantines, des solennelles absurdités, des finasseries diplomatiques, des antagonismes calculés, des divisions, des haines activement exploité[e]s, est passé.

Dans sa logique rigoureuse, le peuple travailleur, lassé des continuelles trahisons, des non moins continuelles bévues de ceux qui, sous prétexte de le gouverner, de le régler, l’ont jusqu’ici calomnié, opprimé, emprisonné, affamé, a jeté ce cri :

Affranchissement du prolétariat par les prolétaires eux-mêmes.

L’étonnement fut grand en Europe, lorsque quelques ouvriers français, anglais, allemands, réunis dans une modeste salle de Londres, en septembre 1864, proclamèrent ainsi la naissance d’un parti nouveau, du grand parti du peuple.

Henri Martin, rendant compte dans le Siècle de la séance de fondation de l’association internationale des travailleurs, termina son article par cette ligne prophétique :

J’ai le pressentiment que quelque chose de grand vient de se passer dans le monde.

Depuis, les événements ont marché : L’Internationale compte des millions de membres. Dans tous les pays d’Europe et dans la grande patrie américaine, les prolétaires ont relevé le drapeau du Socialisme. Écoutez-les dans leurs meetings, dans leurs congrès, annoncer la fin de la misère, de l’ignorance, de l’oppression et l’avènement prochain de la liberté politique, de l’égalité sociale, du bien-être matériel et du progrès moral. Tandis que les hypocrites du despotisme et les rhéteurs du libéralisme s’appesantissent lourdement sur des questions surannées, les prolétaires jettent les bases de la République sociale. Dégagés de l’esprit de secte et de parti, au dessus des mesquines personnalités, ils poursuivent leur tâche avec une logique d’autant plus implacable que c’est la logique de leur intérêt et qu’elle s’appuie sur les lois de l’évolution historique de l’humanité.

C’est pourquoi le socialisme, persécuté depuis 93 par tous les gouvernements, reparaît plus puissant que jamais, comme la formule de plus en plus précise, de plus en plus impérative, des aspirations populaires.

C’est pourquoi vous pouvez continuer vos ébats, ô politiques ! Nous n’en avons aucun souci. Le temps n’est pas loin, où la grande mer révolutionnaire submergera le dernier de vos frêles édifices de réaction ; le temps n’est pas loin où l’humanité célèbrera l’affranchissement du dernier des misérables, où les mots Dieu, roi, parasite, n’auront de signification dans aucune des langues de la terre régénérée.

Cette élimination révolutionnaire des institutions odieuses du passé ; cette réalisation progressive de l’idéal humain indéfini lui-même, est la raison d’être et la conséquence de l’affranchissement des masses populaires ; et les socialistes convaincus ne failliront pas, nous l’affirmons, à la politique que les circonstances leur imposent.

B. MALON

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La photographie « inconnue » de Benoît Malon en 1867 appartient à l’IFHS (dossier 14AS 117, dans lequel je l’ai dénichée), qui m’a autorisée à la reproduire. Je remercie cette institution et sa secrétaire générale pour cette autorisation, et plus généralement pour son aide. La mauvaise qualité de « ma » reproduction devrait éviter à cette image d’être copiée ici ou là, mais si vous voulez quand même la copier, il faut citer la source!

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).