Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

83. Dimanche 13 mars 1870

Arthur Arnould devient vraiment, de fait, le rédacteur en chef, il écrit l’éditorial, « La Sainte-Alliance » (voir ci-dessous) ;

Barberet produit les articles de loi qui prouvent que mettre Rochefort, Grousset et Mourot au secret est illégal ;

Paschal Grousset a écrit au juge d’instruction pour réclamer les papiers saisis chez lui, copie de sa lettre est en première page ;

c’est Gambetta qui défendra Mégy, si l’on en croit les « Nouvelles politiques », et il a même obtenu l’autorisation de le voir ;

l’article « Les perquisitions à la Santé » s’appuie sur deux lettres, une de Millière et l’autre de Gromier, tous deux ont effectivement été perquisitionnés dans leurs cellules ;

après « La Chambre » ;

le « Bulletin du mouvement social » parle du progrès en Savoie, les tisseurs de Rethel s’affilient à l’Association internationale des travailleurs, les ouvriers tullistes de Saint-Pierre-les-Calais veulent se constituer en société civile d’épargne, il est question aussi des ouvriers de Lille et de libres-penseurs auvergnats qui fondent un comité correspondant à la Société démocratique de moralisation par le travail (voir le journal daté du 24 février) ;

un des journaux anglais qui publient une (re-)traduction de la lettre d’O’Donovan Rossa parue dans la Marseillaise datée du 9 mars, la dit « évidemment apocryphe » ;

c’est sur « Le socialisme révolutionnaire » qu’écrit Benoît Malon (voir ci-dessous) ;

des « Échos », je retiens que Schneider est de retour du Creusot et qu’il a donné un dîner ;

dans « La Tribune militaire », une lettre décrit la salle de police de façon émouvante ;

je passe la revue de presse ;

les communications ouvrières concernent les ouvriers chapeliers monteurs, les membres de l’union du commerce, qui peuvent se faire vacciner le dimanche 13 mars, les ouvriers cordonniers de Paris, les ouvriers ébénistes, tapissiers et sculpteurs ;

quelques réunions publiques sont annoncées ;

et voilà le compte rendu analytique ;

un article de « Variétés » décrit la souricière, antichambre de la police correctionnelle ;

il y a une liste de souscription ;

dans sa rubrique « Musique », Salvador Daniel conclut l’article en se demandant si les compositeurs voudront toujours être protégés ; la Rampe, la Bourse.

LA SAINTE-ALLIANCE

On nous accusait d’exagération ; — on prétendait que nous poussions la sévérité à l’extrême et la défiance jusqu’à l’injustice.

Eh bien ! on peut constater, maintenant, si nous nous trompions, ou si nous voyions juste.

L’alliance, — « la Sainte-Alliance », — est consommée entre M. Jules Favre et le ministère, et cela de la façon la plus nette, sans réticences.

M. Jules Favre l’a dit du haut de la tribune, et, parlant de l’empire actuel, — de l’empire de M. Ollivier et de M. Pietri, — lui a tendu la main, en ces termes :

CE GOUVERNEMENT QUE NOUS ACCUEILLONS AVEC SYMPATHIE… QUE NOUS ENCOURAGEONS DE TOUS NOS EFFORTS, — CE GOUVERNEMENT AUX PROMESSES DUQUEL NOUS CROYONS…, etc.

Pour qu’on ne pût hésiter sur la partie de cette déclaration, il y est revenu à plusieurs reprises, en termes explicites, et s’est écrié encore :

QUANT À NOUS, NOUS MAINTIENDRONS CETTE ALLIANCE AVEC ÉNERGIE — (l’alliance avec les hommes de Décembre et les hommes de la rue de Poitiers, représentés par le ministère), — SANS REGARDER AVEC QUI NOUS MARCHONS, ET DÈS L’INSTANT QUE NOUS RENCONTRERONS DE LA PART DE CEUX QUI ONT ÉTÉ NOS CONTRADICTEURS DES ADHÉRENTS À NOS OPINIONS. NOUS LEUR TENDRONS UNE MAIN LOYALE ET FRATERNELLE…

Voici les faits, les faits patents, les faits acclamés par tous les journaux du ministère et du libéralisme.

Nous demandions des actes aux chefs de la gauche, — en voilà un !

Nous n’étions donc ni des fous, ni des exagérés ; — nous étions des prophètes.

Nous avions raison, — trop raison, hélas ! et quoique cette abdication de M. Jules Favre ne nous ait pas surpris, nous ne pouvons dissimuler la tristesse qu’elle nous inspire.

C’est donc fini ! — M. Jules Favre proclame lui-même qu’il n’appartient plus à l’opposition radicale, et l’illusion des plus entêtés a dû se dissiper.

Nous avons combattu la gauche quand ses actes nous ont paru répréhensibles, et nous avons énergiquement blâmé la mollesse générale de son attitude, bien évidemment au-dessous de ce que le pays avait droit d’attendre d’elle, d’après les promesses faites à ses électeurs.

Aujourd’hui que M. Jules Favre et sas amis de l’opposition ont franchi le Rubicon, que rien d’essentiel ne les sépare des Tuileries, — nous ne pouvons plus les combattre du même ton de douloureuse impatience et de sévérité encore sympathique.

M. Jules Favre a cessé d’exister à nos yeux, en tant que membre du parti démocratique, en tant que représentant, — même insuffisant et douteux, — des aspirations populaires.

Nous n’imiterons pas non plus ceux de ses partisans maladroits qui nous disent :

Ne faites pas attention — tout cela n’est que de la tactique parlementaire, — il ne se rapproche de l’empire, il ne va lui tendre la main que pour mieux l’étouffer, que pour lui porter des coups plus sûrs.

Non, nous ne lui ferons pas cette injure, — et si cela était vrai, nous repousserions encore plus énergiquement son concours.

Ce n’est pas ainsi qu’on doit servir le peuple et la liberté. — Une cause éternelle, la cause de la vérité et de la justice, n’accepte point de semblables compromis.

On ne peut la servir qu’en combattant, — comme nous le faisons, — à visage découvert, — nous qu’on accuse de complots, et qui passons notre vie au grand jour, à dire tout haut notre pensée tout entière, sans regarder au danger, ni compter les risques.

Ce que nous constaterons seulement, c’est qu’il y a eu un malentendu effroyable entre le peuple de Paris et la plupart de ses élus.

L’idéal qu’ils poursuivaient n’était évidemment pas le même. — Mais s’il y a eu erreur, — à qui la faute ?

Les candidats du peuple se disaient irréconciliables et républicains. — Il les a crus sur parole. — Il n’en est rien pour quelques-uns, — soit. — M. Jules Favre et d’autres entendent fonder la liberté avec l’empire. — Cette liberté n’est pas celle que réclame le peuple, car la liberté démocratique, basée sur l’égalité sociale et la souveraineté absolue de l’universalité des citoyens, est incompatible avec toute forme monarchique.

Nous sommes et nous serons jusqu’au bout des hommes de principes.

Cela irrite, cela exaspère ceux dont nous signalons le jeu ambigu, ceux dont nous relevons les coupables faiblesses, — ceux dont nous dérangeons par notre franchise, — les habiles et ténébreuses combinaisons, — mais nous prenons volontiers notre parti de cet isolement momentané.

Tout passe, tout change, — excepté la vérité.

Livrez-nous sans un mot, sans une protestation, à l’arbitraire de ce gouvernement que « vous encouragez, » et qui nous poursuit pour des complots imaginaires, dans lesquels — vous le savez aussi bien que lui, — nous n’avons jamais trempé, ni de près, ni de loin. Encouragez, par votre silence, par votre complicité tacite, les hauts faits de cette police, qui arrache tant de citoyens à leurs travaux, qui, chaque fois qu’elle a besoin d’effrayer la bourgeoisie, brise notre plume dans nos mains, et qui incarcère les Républicains dans les Bastilles impériales, sous prétexte de conspirations, quand ils n’ont fait qu’user du droit inaliénable d’exprimer sincèrement leurs opinions.

Laissez mettre Rochefort au secret, à Pélagie, — de peur de compromettre, par quelques paroles désagréables, votre amitié toute fraîche avec le ministre qui l’a arraché de son banc de député inviolable pour un cri d’indignation jeté devant le cadavre d’un enfant.

Allez où vous voudrez, — jusque dans les antichambres des Tuileries, — sous prétexte d’en rapporter quelques concessions parlementaires, plus apparentes que réelles, et qui ne résolvent aucun des problèmes du socialisme.

Dussions-nous rester seuls, — nous restons avec le peuple.

ARTHUR ARNOULD

LE SOCIALISME RÉVOLUTIONNAIRE

Pendant la longue période qui s’étend de l’insurrection de Prairial (1795) à la veille de février (1848) le prolétariat français ne se signale guère par des actes partant de son initiative propre.

Sa participation à la conjuration babouviste, au combat du Cloître-Saint-Méry, à la tentative de 1839, l’héroïque soulèvement de ces ouvriers de Lyon qui, en 1832, inscrivirent sur le haillon de misère dont ils venaient de faire un drapeau : Vivre en travaillant ou mourir en combattant, et qui, cela fait, allèrent combattre et mourir, composent presque tout son avoir révolutionnaire.

En juillet 1830, il se contente, après trois jours de bataille, de porter la bourgeoisie au pouvoir ; celle-ci répondit, comme on sait, à la confiance du peuple. Ce fut alors le bon temps des aspirations sentimentales et des théories mystiques ; les écoles socialistes s’imprègnent de christianisme. L’on voulut réformer le monde par l’exemple : Pierre Leroux fondait ses colonies, les fouriéristes tentaient l’organisation d’un phalanstère et les communistes quittaient la patrie pour Icarie. Comme exception, l’implacable négation des institutions du passé avait son interprète révolutionnaire dans le rude prolétaire Proudhon, et Louis Blanc dans son Organisation du travail, demandait à l’État une grande initiative sociale.

Enfin éclata Février.

La royauté bourgeoise venait de disparaître devant le mépris populaire, et, par la logique des choses, l’avènement de la République devint le triomphe du travail.

C’est ce que comprirent de suite les libéraux que la Révolution triomphante venait naïvement de prendre pour guides. À plat ventre devant la réaction, ils furent contre le peuple travailleur, devenu le socialisme en masse, d’une énergie cruelle. La répression de Limoges (mars), les massacres de Rouen (avril) furent des coups d’essai. Juin allait être le coup décisif. Les ouvriers triomphants avaient offert trois mois de misère à la jeune République, réclamant, en retour, le Droit au travail.

Le droit au travail, demandé jadis par les Cahiers des baillages, reconnu par l’Assemblée nationale, proclamé par la Convention, n’était pas chose nouvelle. Dès 1789, des ateliers nationaux avaient été établis. Attendu, disait le constitutionnel Malouet, que la Société doit à tous la substance et le travail. Cette demande des ouvriers, en outre que, dans la circonstance, elle était plus que modérée, était donc parfaitement conforme à la tradition révolutionnaire. Elle n’en fut pas moins éludée ; bien plus, on s’en servit pour jeter les ouvriers dans la rue et avoir ainsi prétexte d’en finir avec leurs revendications, c’est-à-dire avec le socialisme. Il est aujourd’hui démontré que l’hypocrite organisation des Ateliers nationaux n’eut pas d’autre but dans l’esprit des réactionnaires qui, pour la plus large part, y contribuèrent. Les espérances des ennemis du peuple furent dépassées.

L’on connaît l’œuvre d’aveugle colère qui a nom les Massacres de Juin. L’alliance de la bourgeoisie avec les coalitions des jésuites et des monarchistes de la rue de Poitiers fut cimentée dans le sang de 7,000 prolétaires amenés dans la rue par la faim et les provocations de toutes sortes, et de là, égorgés sur les pavés de Paris, sans préjudice des 16,000 républicains que les commissions militaires de Cavaignac livrèrent à la transportation.

Le socialisme fut vaincu, et la République dont il était la conséquence fut frappée dans le principe de sa force.

La rue de Poitiers monte au pouvoir, toutes les libertés populaires sont confisquées, les derniers révolutionnaires sont condamnés ou proscrits ; la République romaine est assassinée. Les jésuites et les prétoriens se posent en triomphateurs : Bonaparte peut venir. Il peut porter le coup de grâce à la grande mutilée ; il peut terroriser les boulevards, fusiller ou déporter tous ceux qui sont soupçonnés d’avoir une énergie et une conviction ; il peut fouler aux pieds le droit national ; il peut traiter notre patrie en pays conquis ; la France lui est livrée, épuisée, terrifiée, affolée.

Devant cette série d’événements néfastes, les masses ouvrières qui, jusque là, avaient, à de rares exceptions près, suivi en politique l’inspiration de la bourgeoisie et qui, en socialisme, s’étaient contentées de prendre parti pour tel ou tel réformateur, se prirent à réfléchir.

Tant d’espérances déçues, tant de ruines accumulées avaient fait revenir les ouvriers de bien des illusions ; ils comprirent que les intérêts de leur classe n’étaient nullement identiques aux intérêts de la classe bourgeoise. Ils ne pouvaient, du reste, oublier que cette dernière avait, en 1848, dénoncé la scission d’une façon bien sanglante. Ils comprirent que leur affranchissement ne pourrait être effectué que par eux-mêmes. Ils se mirent à l’œuvre ; tandis que les uns faisaient foule aux cours du soir, la lampe solitaire de l’étude s’allumait pour les autres.

Quelques années plus tard, les résultats étaient visibles. En dépit de la terreur bonapartiste, on préluda à l’œuvre de solidarisation du prolétariat.

Alors, dans toute l’Europe et dans la républicaine Amérique, car le revirement de la classe ouvrière avait été simultané dans tous les pays industrieux, souffrant des mêmes maux, victimes des mêmes abus, commença la période des grèves. L’Association suivit : des milliers de sociétés de crédit, de résistance, de consommation, de production se formèrent ; l’Association internationale des Travailleurs, cette sublime franc-maçonnerie ouvrière, en qui réside l’avenir de la Révolution fut fondée. — Des essais pratiques, des assemblées de ces prolétaires, des congrès de l’Internationale, du choc de tant d’idées imprégnées à des degrés divers de l’esprit scientifique de l’époque, il ne tarda pas à se dégager une idée commune, le collectivisme qu’il nous reste à examiner.

B. MALON

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La carte postale représentant des ouvrières tullistes de Calais (au début du vingtième siècle) vient d’un site d’histoire de la Côte d’Opale et précisément de cette page, là

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