Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

85. Mardi 15 mars 1870

Le journal, en tout cas l’exemplaire envoyé au dépôt légal, qui est celui dont nous lisons des traces, paraît avec le numéro et la date d’hier ;

je rassure immédiatement les lecteurs inquiets, ils pourront lire aujourd’hui le trente-quatrième épisode du feuilleton « Les Pauvres gens », de Claretie, j’espère qu’ils suivent ;

le premier article aujourd’hui, « La Marseillaise et la presse anglaise », est une revue des réactions de cette dernière au numéro spécial du journal (daté du 9 mars) et surtout à la lettre d’O’Donovan Rossa que nous avons lue ce jour-là, par Alfred Talandier (qui est à Londres) ;

« Le complot s’instruit », c’est cette fois le docteur Villeneuve qui donne des nouvelles, et un conseil

Ne répondez jamais à l’instruction

(voir ses raisons ci-dessous) ;

la rubrique « Courrier de l’extérieur » s’installe décidément et, à propos d’Irlande, fait un parallèle entre les discussions du bill des terres d’Irlande, à la Chambre des communes, et du statut de l’Algérie, au Corps législatif, mais donne aussi des nouvelles d’Espagne, de Grèce, du concile… ;

je passe les « Nouvelles politiques » ;

un extrait de la Nouvelle Presse libre de Vienne, donne des statistiques intéressantes sur les papes ;

« Le complot de Février à Saint-Pétersbourg » rappelle le « nôtre » à Morot ;

le même Morot signe un entrefilet beaucoup trop allusif pour moi ;

voici le « Bulletin du mouvement social », avec des informations sur la liberté du travail dans l’ébénisterie parisienne, à travers une requête d’ouvriers du Faubourg Antoine ;

au moment où l’on parle de l’Algérie, un article sur le « Massacre de l’Oued-Mahouine », un massacre épouvantable (crapuleux) qui devrait être jugé à Constantine ;

« La Tribune des employés » est encore concentrée sur ceux de la PLM ;

je note deux jeux de mots de L’Ingénu dans les « Échos », la chambre (tribunal) qui supprime les journaux est une « chambre ardente », le président du Sénat vérifie le compte rendu, parcourt du regard l’assemblée, et dit qu’il ne voit que des mots mis à leur place ;

je passe « Les Journaux » ;

une petite publicité pour la « photo » de Flamant (voir le numéro daté du 8 mars) ;

peu de communications ouvrières ;

quelques réunions publiques ;

j’ai l’impression qu’il y a des redites dans les « Faits divers » ;

en « Variétés », des bonnes pages du livre de Lockroy, À bas le progrès !, son chapitre « ce que coûte l’empire et ce que coûtait la république » ;

une liste de souscription ;

le retour de Ranc au théâtre, il n’est donc plus en Suisse ;

dans « La Rampe », je relève que Mme Bordas a chanté au Châtelet.

LE COMPLOT S’INSTRUIT

Ne répondez jamais à l’instruction. Règle invariable que je vais prouver par deux exceptions.

J’avais vingt ans. J’avais commis une brochure, une relation exacte de condamnations dans le clergé pendant six mois. Elle fut saisie. Un juge d’instruction, cheveux blancs, tête vénérable, me posa des questions ; il dicta les réponses. Elles étaient dans mon intérêt, je signai.

Ah ! l’excellent homme !

Ah ! le brave homme !

Mais voyez comme

Je me trompais.

À l’audience, l’accusateur impérial se sert de mes réponses pour demander ma condamnation. Inutile d’écrire qu’il l’obtint.

Amené à la Préfecture de police, il y a un mois, je suis traduit devant un juge d’instruction :

Vous êtes accusé, me dit-il, de participation à l’insurrection des 7 et 8 février.

— J’ai un alibi, j’étais à Batignolles, vingt témoins vous le prouveront,

et au bout de la semaine, il reçoit leur déposition signée. Il me rappelle trois semaines après. La participation à l’insurrection était enterrée ; j’étais membre d’un comité central d’action, ayant pour but l’insurrection et l’assassinat de l’empereur. Ce comité avait ses conciliabules secrets.

Si à la première accusation, j’avais gardé un religieux silence, j’aurais peut-être eu en face de mois deux gaillards qui auraient juré de dire la vérité et rien que la vérité comme le maître avait juré fidélité à la République. Dans la société comme dans la mécanique, les petites roues suivent le mouvement des grandes ; simple transformation du mouvement. Après le parjure d’en haut vient le parjure d’en bas, après le crime du grand, nous avons le crime des petits. Là-dessus, la science et l’histoire sont d’accord. Noyé que j’étais par la première accusation, j’ai reçu un nouveau renfoncement. D’ores et déjà, je ne soufflerai plus mot, je ferai le mort. Trop tard, pensez-vous, non, je me rattraperai.

Nous sommes trois ici, membres de ce prétendu comité central d’action, ayant pour but l’insurrection et l’assassinat de l’empereur.

L’insurrection, j’ai déjà prouvé pour mon malheur, que j’en étais à cinq kilomètres ; mieux eût valu me laisser condamner, purement et simplement, j’aurais déjà un mois de gagné sur la peine. Cette vérité qu’on ne manquera pas de m’opposer me gênera pour ma justification ; les grands capitaines se tiennent toujours loin du lieu du combat : Voyez Napoléon, voyez M. Pietri ; du coup, je serai confondu ; mes témoins à décharge deviendront mes aides de camps, et je ne désespère pas de rencontrer à mes côtés sur le banc des criminels le président du bureau de bienfaisance, des négociants, des propriétaires de mon quartier.

Et l’assassinat de l’empereur ? De ce chef, je serai indubitablement accablé. je suis médecin, et dame ! quand on a la prostate ou la vessie en mauvais état, c’est la faute aux médecins. M. Nélaton recevra un de ces jours le lacet en guise du grand’cordon de la légion d’honneur.

Et les conciliabules secrets ? Où ? Quand ? M. Bernier n’en sait rien, ni M. Pietri non plus.

Le Journal officiel a déclaré qu’on nous avait interrogés sur les faits particuliers. On m’a parlé de conciliabules, et on a ajouté l’adjectif « secrets » afin de se dispenser d’ajouter d’autres renseignements. Ils sont tellement secrets qu’ils le sont même pour moi, et que j’attends avec la plus vive impatience les mystérieux documents. En attendant leur expédition des bureaux de la police, pourquoi ne m’a-t-on pas reproché, comme aux autres conjurés, d’avoir pris une tasse de café ici ou dîné là ; je suis jaloux.

Je veux mes conciliabules, qu’on se presse. Ah ! je ne les contredirai pas, monsieur le juge instructeur, j’en prendrai simplement bonne note. Mais, entre nous, ne croyez-vous pas qu’il est grand temps de réveiller votre préfet de cet affreux cauchemar ? Un jour, il nous a vus dans l’action ; un autre, il nous signale comme autant de Jupiters fainéants sur les hauteurs de l’olympienne Batignolles, délibérant en paix pendant la lutte de ces mortels imbéciles, ou nous livrant à toutes sortes de maléfices contre la santé de son maître. De ce train, un de ces jours à venir, il prendra le moulin de Montmartre pour une colonne d’insurgés et, mettant l’œil dans le télescope de la Bastille, il s’empressera de dépêcher un mandat contre le comité qu’il aura vu dans la lune.

Heureusement, la vieille masure juridique ne s’étale plus en politique aujourd’hui que sur des mots. Ce temple enchanté des magiciens du vieux temps, devenu une ruine par le progrès des âges, mériterait tout le respect des tardigrades, maîtres de la société ; ils y sacrifiaient encore dans les jours néfastes et comme au bon vieux temps des victoires [victimes?] humaines. De cette ruine, maître Ollivier abuse, elle s’effondre. Les mots avec leur force et leur vertu secrète s’en vont. Sortilège et sorcier eurent leur succès, complot et conspirateur aussi. Étiquette commode qui dispensait d’examiner le sac. Chez les Égyptiens, certaine manière de prononcer Jehovah, nom de Dieu, faisait tomber un homme raide mort. Il fallait prononcer des lettres selon certaine méthode pour forcer la lune à visiter la terre. Virgile avait cru lui-même à ces inepties.

Carmina vel caelo possunt deducere Lunam

On fait avec des mots tomber la lune en terre. [Voltaire]

Pour l’affaire dite de la Renaissance, le mot réunion parut jouir de cette vertu divisée ; cinq ou six étudiants assis s’assemblaient au grand jour dans un établissement public, comme c’est l’habitude, pour jouer, boire, causer… réunion. — Cinq à six autres passaient la soirée chez eux en famille : réunion. — D’autres inconnus aux premiers aussi bien qu’aux seconds étaient amalgamés, et on signifiait au public la découverte d’une société secrète.

Ces exploits renouvelés de la cabale reparaîtront peut-être avec l’estampille impériale ; mais, à Paris, le règne de l’amphibologie et du quiproquo est fini. L’abus d’un organe en amène l’impuissance. Votre avorton de complot n’est pas né viable ; les joues fardées simulent la vie au premier coup d’œil ; il est mort. Reste à l’embaumer ; deux pilules de cette force à si peu d’intervalle, deux complots en six mois, c’est trop dur à avaler, — qu’en pensez-vous ?

DR E. VILLENEUVE

*

La carte de l’est de l’Algérie (et de la Tunisie) a été dessinée par Victor Adolphe Malte-Brun, elle date de 1860, et je l’ai trouvée sur Gallica, là.

*

Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).