Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
87. Jeudi 17 mars 1870
Assez en verve, le numéro 444 dédie ses « Lettres de la Bastille » à ces petits vieux (les autres désignations de ces vieillards sont moins aimables) qui se trémoussent sur les bancs du Sénat ;
Alphonse Humbert est libre (voir ci-dessous) ;
pour la morte de faim, voir aussi ci-dessous ;
les journaux se disputent pour savoir si la plupart des députés de gauche partagent les sentiments fraternels de Jules Favre pour Ollivier, c’est aux députés de répondre, dit l’un d’eux, et Arnould est bien d’accord, et dans son « Courrier politique », il nous affirme qu’ils ne répondront pas, ce qui n’empêchera pas, pense-t-il, l’avènement définitif du peuple rentré dans sa souveraineté entière ;
je garde une seule des « Nouvelles politiques » de Francis Enne, qui collabora à La Rue de Vallès en 1867, la voici :
Notre ami Jules Vallès fait paraître demain jeudi le premier numéro d’un journal quotidien à cinq centimes, la Rue.
On se souvient du bruit que fit sous ce titre, il y a quelques années, un journal, ou plutôt un pamphlet hebdomadaire, qui succomba sous les amendes et les prisons. La Rue d’aujourd’hui se propose, non pas d’être un pamphlet, mais une Gazette d’un sou, intéressante, bien renseignée, toujours dévouée au peuple, mais résolue à éviter les discussions politiques qui lui sont interdites par la loi. Il y a là une place à prendre.
Nous n’avons qu’à souhaiter à notre digne et vaillant ami qu’on ne l’arrête pas comme suspect. Si la Rue peut vivre, si elle ne succombe pas sous le coup des rancunes et des pusillanimités gouvernementales, elle sera dans quelque temps le vrai Petit journal du peuple.
ce qui est suivi par la deuxième lettre de Tours, de Puissant, dans l’ « Affaire Pierre Bonaparte », qui nous décrit le pénitencier, lieu de séjour de Pierre Bonaparte, le palais de justice où va se tenir la Haute cour, et la maison natale de Balzac ;
énervé par la façon dont la Gazette des tribunaux, qui a l’air de savoir beaucoup de choses, traite le crime d’Auteuil, Morot lui signale quelques vérités, en particulier le fait que le témoin numéro 1, Ulric de Fonvielle, a été écarté de toutes les expertises et confrontations ;
un article de Collot sur « La Détention préventive » suit ;
dans le « Bulletin du mouvement social », on apprend que de nombreux ouvriers ont été renvoyés après la grève du Creuzot en janvier, ce qui les oblige à quitter le pays, il n’y a qu’une usine au Creuzot (on en reparlera), les ouvriers passementiers de Lyon, toujours en grève, expliquent une nouvelle fois, face à la mauvaise foi de leurs patrons, leurs revendications, les ouvriers serruriers de Saint-Étienne préviennent leurs patrons qu’à partir du 1er avril, la durée du travail sera de 10 heures au lieu de 11, qu’il n’y aura pas de diminution de salaire, et qu’ils comptent sur le bon sens et la justice des patrons pour ne pas être obligés de se mettre en grève (voilà une revendication nettement et joliment formulée!), les dessinateurs industriels discutent les statuts d’une association corporative ;
voici le troisième article d’Antoine Arnaud (voir le journal daté du 28 février et du 8 mars) sur la question des chemins de fer dans la « Tribune des employés » ;
des commerçants protestent contre l’augmentation continuelle de leurs impositions, d’autant plus que, leur député étant incarcéré, ils ne peuvent invoquer son appui ;
la « Tribune militaire » publie encore des lettres ;
les communications ouvrières concernent aujourd’hui la chambre syndicale des feuillagistes, fleuristes et plumassiers, les portefeuillistes en tous genres, l’association coopérative d’alimentation de La Chapelle, la corporation des tourneurs en chaises ;
il y a des annonces de réunions publiques ;
et un nouveau venu dans le journal, Eugène Vermersch, qui consacre un long article à « M. Le Play et son organisation du travail », un socialisme arrivé en droite ligne des Tuileries, dit-il, je me contenterai de donner le titre du livre de ce polytechnicien et homme politique, L’organisation du travail selon la coutume des ateliers et la loi du décalogue.
Dans le journal, les verrous sont fréquents puisque les protagonistes sont souvent dessous, ils sont systématiquement orthographiés verroux, une orthographe déjà ancienne en ce temps-là, je me permets de corriger.
EN LIBERTÉ
Depuis vingt minutes, je suis libre.
Ce soir, à cinq heures, M. Bernier, juge d’instruction, m’a fait ouvrir les portes de Mazas, et, pour la première fois depuis cinq semaines, j’ai pu aspirer le grand air sans le moindre argousin pour me mesurer mes bouffées.
Comme je n’éprouve pour mon libérateur que juste la reconnaissance qu’il mérite, j’entends bien ne pas plus me gêner avec lui que s’il me retenait encore sous les verrous.
Toute réflexion faite, le plus sûr moyen que je connaisse d’être désagréable à M. Bernier, c’est de révéler au public ce que je sais de la façon dont s’instruit le grand procès d’attentat.
M. Bernier répète à qui veut l’entendre, et fait imprimer dans tous les journaux dont dispose le préfet de police, — que des charges très sérieuses pèsent sur la plupart des accusés.
Et Rigault est encore en prison, parce qu’une lettre émanant d’un inconnu l’a signalé comme agent de Blanqui.
Brunereau parce qu’il a plusieurs fois reçu le citoyen F. Pyat dans sa famille et à sa table.
Robert parce qu’on le soupçonne d’avoir à diverses reprises visité F. Pyat chez Brunereau.
Giffault — un jeune conspirateur de dix-huit ans — parce qu’il a refusé de répondre à l’unique question qui lui ait été adressée depuis l’ouverture de l’instruction : « Qu’avez-vous fait dans la soirée du 8 février ? » — la question classique comme on sait.
Quant à moi, voici les charges sérieuses qui ont motivé mon arrestation et mon emprisonnement, et ne laissent à M. Bernier aucun doute sur ma culpabilité.
Après m’avoir posé la même question qu’à Giffault, et avoir reçu la même réponse, M. Bernier m’a déclaré que j’étais fort compromis, et, dans l’épanchement d’une causerie intime, s’est écrié :
Songez donc ! — Vous assistiez, — M. Barlet l’a déclaré, — à la réunion de la rue de Flandres, où Flourens a mis en état d’arrestation le commissaire, et justement on trouve chez vous une lettre datée de Bruxelles, dans laquelle votre correspondant, parlant de la rédaction du journal à fonder vous dit : « Flourens est un homme précieux, car il est d’une résolution rare. » — C’est fort grave.
M. Bernier a débité cela sans rire d’une voix solennelle et d’un air convaincu.
M. Bernier sait bien cependant que s’il osait traduire devant un jury de tels accusés, on se contenterait de hausser les épaules, et qu’il compromettrait à cette espièglerie au moins sa réputation d’homme d’esprit. Jamais il n’a songé sérieusement, espérons-le, à s’exposer à ce ridicule.
Le but de la prévention est d’ordinaire d’agir sur les détenus par la fatigue, l’ennui, le désespoir, la maladie, pour arracher aux faibles quelques réponses compromettantes qui permettent de composer un dossier présentable. Mais M. Bernier a dû renoncer à l’emploi de ce procédé, puisque les inculpés d’attentat refusent obstinément de lui répondre.
C’est donc par pure fantaisie, pour rire un peu, sans doute, que le juge d’instruction maintient à Mazas des hommes contre lesquels il se sait parfaitement incapable d’obtenir la moindre condamnation.
M. Bernier n’en continue pas moins à dire d’un air dégagé à tous ceux qui l’approchent :
— Je vais envoyer tous ces gaillards-là devant la haute cour. Je compte au moins sur quinze déportations.
Excellent homme va !
ALPHONSE HUMBERT
MORTE DE FAIM
Notre rédacteur en chef a adressé, de Pélagie, la lettre suivante à notre ami Barberet : [ce sera confirmé dans le journal de demain, cette lettre, signée Rochefort, est bien passée légalement par le greffe de la prison, ce qui n’est pas le cas des articles signés Dangerville]
Mon cher Barberet,
Je lis dans la Cloche qu’une vieille femme, la veuve Marie Foit, est tombée d’inanition, à Belleville où elle demeure, 57 rue des Tournelles (20e arrondissement).[rue des Tourelles, en fait]
Je voulais lui envoyer directement des secours ; mais toutes mes lettres étant confisquées par M. Pietri, je ne suis pas assez naïf pour envoyer de l’argent par ce canal.
Soyez donc assez aimable pour prendre au journal la somme nécessaire et la faire porter à cette malheureuse femme.
Mille amitiés
HENRI ROCHEFORT
Nous sommes arrivés trop tard. La veuve Foit était morte — MORTE DE FAIM !
La rue des Tournelles [Tourelles] est située à Belleville, auprès des fortifications. Ce n’est qu’un amas de cabanes en planches disjointes et vermoulues. Çà et là, un réverbère à huile. C’est dans une de ces masures que nous avons vu le cadavre de la veuve Foit. Cette malheureuse était étendue sur un grabat couvert de chiffons ; dans l’intérieur, pas une chaise, pas une table, pas un seul ustensile de ménage.
La veuve Foit avait loué ce lieu, dès le commencement du mois de décembre, et c’est à grand peine, que tous les huit jours, elle donnait à un concierge-gérant de cette cité de misère la somme qu’on exigeait. Le bureau de bienfaisance l’avait assistée, mais comme elle avait égaré sa carte, elle ne recevait pas le moindre secours ; personne ne pensait à cette malheureuse vieille de soixante-dix ans.
Voilà comment l’on meurt à Belleville faute de quatre sous de pain.
Voici maintenant comment on emploie nos millions aux Tuileries :
On lit dans la Patrie :
La robe de l’impératrice était de damas arménien cerise. Pour coiffure Sa Majesté portait une grecque en diamants posée sur un bandeau de velours noir.
La robe de la princesse Napoléon était d’étoffe de soie tramée d’argent recouvrant un jupon de velours vert ; S.A. avait un collier d’émeraudes et de diamants.
On remarquait aux premiers rangs la duchesse de Mouchy, en blanc, avec guirlande de roses ; la duchesse de Tarante, en demi-deuil, la princesse Stourdza, etc., etc.
COLLOT
*
Le premier numéro de la nouvelle Rue, de Jules Vallès, sert de couverture à cet article. Félicitons-nous en, les vingt-sept numéros de ce journal quotidien sont sur Gallica, là. Avec une introduction et des sommaires, ils sont aussi là. Souhaite-moi bonne chance, demande Vallès à son ami Arnould dans son premier article.
*
Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).