Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
105. Lundi 4 avril 1870
Toujours la séquestration de Rochefort ;
le numéro 444 se préoccupe de Pierre Bonaparte dans ses « Lettres de la Bastille » ;
de sa prison de Tours, Ulric de Fonvielle s’adresse aux électeurs de la 3e circonscription du Rhône, sur place Andrieux et A. de Fonvielle interviennent dans les réunions en sa faveur ;
dans le « Courrier politique » d’Arnould, « Le verdict sans appel », c’est celui du jury populaire face à l’accusé Ollivier ;
ce qu’il y a à l’emplacement du feuilleton, c’est « Liberté égalité fraternité », un poème de 1852 et de Mathieu, que vous pourrez même chanter en le lisant sur notre image ci-dessous ;
le post-scriptum des « Nouvelles politiques » de Francis Enne nous informe que Pierre Bonaparte est toujours à Auteuil où il va donner un grand dîner ;
je vous réserve la grève du Creuzot et l’Association internationale des Travailleurs à Marseille ;
le parquet s’attaque aux imprimeurs des journaux qui, à défaut de payer le cautionnement, sont « littéraires » ;
Jean Baptiste Clément, emprisonné, écrit au député Esquiros pour lui rappeler une affaire dont il s’occupait, lui Clément dans la Réforme, et sur laquelle Esquiros avait interpellé le gouvernement, lequel n’a jamais répondu, il s’agit d’un mineur enrôlé dans les armées pontificales et de sa mère en pleurs ;
« Les Journaux » citent d’ailleurs un article du même Alphonse Esquiros, dans la Démocratie, qui s’étonne de l’illusion tenace des gouvernements au milieu de la désaffection générale ;
à la Salle du boulevard de Grenelle on a parlé le 31 mars de la Révolution française — et souscrit pour les ouvriers du Creuzot — nous raconte Collot ;
le même jour, avenue de Choisy, on a constitué un comité chargé de recevoir les cotisations en faveur de ces mêmes grévistes (l’un des membres se nomme Passedouet) ;
le Docteur Dupré écrit sur quelques points de divergence (sur des points secondaires) qu’il a avec la critique que Barberet a faite de son livre (voir le journal daté du 29 mars) ;
des « Communications ouvrières » envers les ouvriers galochiers et les ouvriers argileurs mineurs ;
des annonces ;
des réunions publiques et même un cours public et gratuit d’apiculture au Luxembourg ;
Amouroux écrit de Bruxelles pour protester contre une déposition contre lui au tribunal ;
ce qui amène les « Tribunaux », un des nombreux jugements contre la Marseillaise est confirmé, le suivant je vous le garde (voir ci-dessous), il s’agit des dessins d’agents publiés dans le numéro daté du 27 mars, il y a aussi le Rappel, le Jocko, les Gueux, et encore les « troubles » de Belleville en février ;
à « la Bourse », la rente a fléchi ;
la Rampe, les spectacles et beaucoup d’annonces pour finir.
LA GRÈVE DU CREUZOT
Les procédés autocratiques du maître du Creuzot produisent les résultats que nous avons prévus. Il a répondu aux réclamations calmes et légitimes de ses ouvriers par des mesures vexatoires et provocatrices, par des représailles insensées et des menaces intempestives ; il récolte aujourd’hui ce qu’il a semé : le mécontentement général d’une population habituée à subir son autorité, la désorganisation du personnel de ses immenses ateliers et la haine du monde travailleur.
Jeudi à cinq heures et demie du soir, plusieurs groupes de femmes se rendirent près des puits malgré les gardes et les soldats pour huer les rares mineurs qui continuaient de travailler. Au puits Monceaux, un seul s’étant présenté fut un peu bousculé et bientôt forcé de battre en retraite. Les gendarmes s’étant avisés d’arrêter une de ces femmes furent poursuivis à coup de pierres et durent finir par rendre la liberté à la prisonnière.
Vendredi matin, même attroupement et même disposition. Vers huit heures, deux femmes furent encore arrêtées. Leurs compagnes, en nombre assez considérable, se rendirent au bureau de police, déposèrent leurs enfants aux pieds des gendarmes, en disant : « Tenez, prenez en soin, et arrêtez-nous toutes, ainsi que nos maris, si cela vous fait plaisir. » Et les gendarmes émus relâchèrent les deux captives.
À une heure, un grand rassemblement féminin se forma au Découvert de la Croix et y mit en fuite quelques travailleurs âgés qui y travaillaient. Des gendarmes et des soldats accoururent et furent repoussés à coups de pierres. Le clairon sonna l’alarme, les chasseurs arrivèrent au pas de course ; ils trouvèrent des femmes massées, parfaitement calmes et ils se [s’en?] retournèrent en riant.
Quelque temps après, musique en tête, le 46e de ligne traversa les rues de la ville et se rendit par fractions au puits Monceaux, au Découvert, où il stationna un peu, puis se dirigea vers les autres puits.
Au même moment, furent apposées dans les rues des affiches préfectorales, parlant d’excitations étrangères, flétrissant les scènes tumultueuses, faisant appel aux bons sentiments des ouvriers, etc., mais nullement à ceux de M. Schneider.
À six heures, les femmes se portèrent au puits des Moineaux ; elles déclarèrent aux soldats que leurs baïonnettes ne font peur à personne ; l’une d’elles se jeta sur un gendarme, fut arrêtée, mais relaxée bientôt devant l’attitude de la foule.
Inutile de dire que les dépêches officieuses constatant la rentrée d’un tiers des mineurs sont tout à fait inexactes. Les puits sont, à l’heure qu’il est, complètement déserts et il n’y était resté jusqu’ici que quelques marqueurs, quelques maîtres mineurs et quelques jeunes gens.
Assi, parvenu à se mettre en lieu sûr, après avoir séjourné cinq jours à Lyon, nous écrit qu’il attend son assignation à comparaître devant le tribunal pour s’y présenter et répondre aux accusations grotesques de M. Schneider et de ses valets.
On croit que Alemanus passera en jugement lundi prochain ; quand au Grelot, il a dû être jugé hier samedi et défendu par Me Boysset, ex-représentant du peuple. Les chefs d’accusation qui pèsent sur ce petit journal sont seulement au nombre de vingt.
Il va bien le ministère libéral de M. Ollivier !
Quoiqu’il en soit, si les femmes du Creuzot persistent dans leurs dispositions, nous prédisons une singulière réception aux mineurs étrangers assez inconscients de leurs véritables intérêts et assez ignorants de leurs devoirs pour répondre à l’appel de M. Schneider.
Les travailleurs de tous les pays sont solidaires. Ils ont à combattre partout le même adversaire, le seigneur-fabricant. Lorsque la lutte est commencée sur un point, tous les efforts doivent se liguer contre l’ennemi commun. À cette condition, l’affranchissement du prolétariat n’est plus qu’une question de temps.
Les travailleurs marseillais adhérents à l’association internationale viennent, à ce sujet, de lancer un manifeste remarquable que nous recommandons à l’attention de nos lecteurs.
Voici ce manifeste :
Association internationale des travailleurs
(Section de Marseille)
Encore un fait à ajouter à l’histoire du Travail ; une date à la chronologie de la misère ; un article aux cahiers de la Revendication.
Jugulée par une politique honteuse et réactionnaire, la grande voix du peuple, pour se faire entendre, emprunte un autre organe plus terrible : la GRÈVE.
Voilà bien le triste résultat de 80 années de monarchisme et d’anarchie économique.
Ce qu’il faut admirer le plus dans ces conflits périodiques entre les deux classes sociales, de jour en jour plus hostiles et menaçantes, ce n’est pas la sombre énergie que le prolétaire puise dans la justice de sa cause, mais bien plutôt la prévoyance des feudataires de l’industrie, — sinon leur entêtement à méconnaître le progrès de la raison dans l’esprit et du droit dans la conscience, — dominateurs de tous les temps, suivant la filière de l’hérédité, — exploiteurs hier, ils veulent l’être aujourd’hui, demain, toujours, et cela parce qu’ils ne conçoivent rien de ce qui est progrès, comme si leur cœur et leur intelligence habitaient dans les ténèbres.
La Grève, c’est l’éruption endémique du mal social.
Combien ignorent ou feignent d’ignorer l’existence de ce mal ?
Ce serait vouloir diminuer et rétrécir singulièrement les vues de l’histoire, — et encourir une grave responsabilité, — que d’admettre que ces guerres d’ateliers doivent se circonscrire dans ce domaine et qu’il appartient à l’esprit du parti… révolutionnaire seulement de les ériger en « questions sociales. »
Comme si l’harmonie existait dans nos lois.
Comme si la société actuelle avait pour base juridique : le contrat.
Organiquement, la société actuelle aboutit à la Grève ; ce n’est ni la pais, ni la justice.
Il se passe sous nos yeux de singuliers spectacles que l’État et l’Église nous offrent. — L’organisation du pouvoir absolu est à l’ordre du jour à Rome et à Paris : étrange coïncidence ! La théocratie et l’aristocratie reprennent courage et essaient l’offensive sur la Révolution trahie par la Bourgeoisie, — sa fille aînée. — Quiconque observe aura tôt saisi les fils de cette odieuse trame, de cet attentat prémédité contre les principes de la société moderne et les droits des peuples. Vaines et impuissantes tentatives.
Le mouvement qui se produit, profond et sérieux, dans toute la classe ouvrière répond aux agissements des ennemis implacables de la Démocratie universelle.
Que l’État, l’Église et la Bourgeoisie se coalisent pour une œuvre d’imposture et d’ignominie, — le peuple vengeur les confondra dans une même ruine.
Le principe solennel autour duquel le peuple doit se grouper, c’est la solidarité.
Nous faisons appel aux intéressés, c’est-à-dire à tous les déshérités, aux travailleurs : l’anarchie est en haut ; organisons-nous en bas !
La féodalité tend à se reconstituer pour nous ravir les conquêtes de 89 et 92 ; — le suffrage universel est menacé ; les fruits de cinq révolutions seraient perdus pour nous si nous ne nous redressions forts et défiant les traînards de la civilisation d’oser porter leur main sacrilège sur le sanctuaire de la justice sociale.
Les ouvriers du Creuzot sont les premières victimes d’une lutte déjà commencée. — Notre devoir est de les secourir, ne l’oublions pas.
Le Secrétaire correspondant
A. BASTELICA
Les souscriptions sont reçues à la Chambre Fédérale, rue Dauphine, 5, au premier, tous les soirs de 9 à 10 heures et demie.
Nous publierons probablement demain le manifeste des délégués parisiens de l’Association internationale des travailleurs, également à l’occasion de la grève des mineurs du Creuzot.
VERDURE
Protestation
Nous, ouvriers, ayant travaillé au Creuzot, et ayant versé à la caisse de secours, habitant maintenant Paris, où nous a relégués un article du règlement de l’usine qui nous contraint de voyager après le tirage au sort, déclarons approuver tout ce qui a été fait et demandé par les sociétaires habitant le Creuzot, et demander comme eux :
1° Que l’on nous laisse la gérance de la Caisse de secours parce que nous ne voulons pas payer le gaz des églises catholique et protestante et du presbytère dont nous a gratifiés M. Schneider.
2° Que les jeunes gens soient admis comme ouvriers à 18 ans et libres de quitter les ateliers sans être, pour cela, exilés à jamais.
3° Que quand un ouvrier ou employé est renvoyé, il puisse continuer à faire partie de la caisse de secours en versant une rétribution mensuelle et en touchant une indemnité fixe, parce que nous trouvons déshonnête et déloyal que l’on garde l’argent des ouvriers et l’intérêt de cet argent.
Nous demandons aussi la création d’une caisse de retraite pour les vieillards.
Nous exigeons que M. Schneider publie les règlements actuels de la caisse de prévoyance des ouvriers et que la Société rentre dans la catégorie des Sociétés autorisées par la loi de 1852.
L’institution d’une Société, obéissant à un conseil inconnu, n’est considérée par nous que comme un acte d’arbitraire, contre lequel nous protestons de toutes nos forces.
Doyen-Denis, Assi, Bonneau, Vieillare, Valette, Valette Jules, Philippe, Guinot
Jean, Brochot, Guinot Claude, Godin, Dupuis, Charleux, Sauvageot, Chabry,
Durand, Vacher, Patru, Lesbilles, Parize B., Develet, Lhôte, Décréaux, Rebourg, Magny,
Lambeut, Vacher F., Laveault, Moine, Gacon, Garnier, Petit, Prieur, Bernardin,
Morin, Nonin, Berchot Louis, Ridault, Laquin, Ferrière, Macard, Boulanger,
Balleu, Cornu, Lagrost, Michel, Roblin, Chatozel, Delorieux P., Delorieux C.,
Sicard, Dubois, Hareng, Saunier, Lacour, Morand, Richard, Martin, Bachelet,
Labille, Truchot, Guinot Jean, Boudard, Auchet, Parize, Duclou, Leblan, Baudin,
Fontaine, Parize P., Chevrot, Galoisy, Collin, Mering
TRIBUNAUX
POLICE CORRECTIONNELLE DE LA SEINE
(7e chambre)
Deuxième affaire de la Marseillaise
Président, M. Millet. — Avocat impérial, M. Pagès
Publication de dessins non autorisés
M. Barberet comparaît encore devant la 7e chambre, sous la prévention d’avoir fait paraître, dans le n°97 de la Marseillaise, des dessins non autorisés.
Notre gérant expose au tribunal que, ayant obtenu l’autorisation de publier le portrait de Pierre Bonaparte, il se croyait absolument en droit de faire figurer, dans son journal, quelques types de témoins.
L’administration a, paraît-il, trois modes de procéder : 1. Elle accorde l’autorisation sans réserve ; 2. Elle accorde avec restriction mentale, c’est-à-dire qu’elle vous répond : « Publiez si vous voulez, nous n’empêchons rien, mais nous ne garantissons point les suites ; 3. Enfin, elle refuse catégoriquement. C’est le dernier mode qu’elle a employé pour un magnifique dessin représentant Fonvielle interpellant Bonaparte.
Pour les dessins actuellement incriminés, l’administration a usé du second mode. Elle les a autorisés sans les autoriser, c’est-à-dire qu’elle a engagé M. Barberet à faire le voyage de Tours pour solliciter de MM. Balagna et consorts, et de Lechantre, dit Bidoche, l’acquiescement à la reproduction de leurs faciès. Le gérant de la Marseillaise a, malheureusement, omis cette formalité.
M. le président (nous reproduisons textuellement ses paroles) a reproché à M. Barberet d’avoir donné aux portraiturés les physionomies enchanteresses de crétins échappés de Bicêtre. Et, pour confirmer l’exactitude de cette ressemblance, le tribunal a condamné M. Barberet à un mois de prison et 500 fr. d’amende, soit 100 fr. par chaque dessin.
Peut-on payer trop cher, ô brigadier Balagna ! la gloire d’avoir retracé vos augustes traits !
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La photographie de Gustave Mathieu vient de Gallica, là. Le poème est ici (cliquer pour agrandir).
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