Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

106. Mardi 5 avril 1870

Ulric de Fonvielle est le candidat de la démocratie radicale ;

dans ses « Fantaisies politiques », Rochefort-Dangerville le considère comme déjà élu mais l’élection n’a lieu que les 9 et 10 et nous sommes le 4 ;

Arnould est allé voir Raspail à Cachan et est heureux d’annoncer que le député va mieux ;

l’élection du Rhône occupe bien la une, voyez, même les citoyennes, qui ne votent pas, le soutiennent, Virginie Barbet et une dizaine d’autres ont signé ;

mais la grève du Creuzot occupe elle aussi de la place ;

extraordinaire, le feuilleton de Claretie réapparaît en son trente-neuvième épisode, vous je ne sais pas, mais moi j’ai tout oublié, le précédent est paru dans le numéro daté du 20 mars ;

il y a une dépêche télégraphique non signée qui annonce des détails pour demain, une lettre des grévistes et un article de Verdure et je vous développe tout ça ci-dessous, avec quelques commentaires ;

vingt mille citoyens de Paris ont signé une pétition (oui, vingt mille, sans internet) et une souscription pour indemniser Rochefort de la privation de son traitement, ils remettent ça au député Ordinaire, qui accepte le mandat de grand cœur ;

dans les « Nouvelles politiques », on parle de plus en plus de plébiscite ;

lettre touchante de Louis Noir à Arnould, les dommages et intérêts que son père a demandés lui pèsent, et il s’engage à verser, au fur et à mesure de ses gains, peut-être pas une somme analogue (25,000 francs) mais le plus possible à la caisse de retraite de la société des gens de lettres, et il revient faire la Tribune militaire ;

retour de Millière-Jacques Maillet et de sa « Question sociale », qui s’attaque à la forme gouvernementale, c’est-à-dire aux moyens d’application pratique du principe de souveraineté ;

dans le « Bulletin du mouvement social » apparaissent, longuement et précisément, les ouvriers bijoutiers de Paris ;

des nouvelles de Maroteau, qui a été arrêté illégalement, mais pas libéré, le juge d’instruction de Lurcy lui ayant signifié qu’il était inculpé de vagabondage… (d’une part il a une adresse, de l’autre il est incarcéré comme les journalistes à Pélagie…) ;

je passe encore une fois les « Échos » ;

« Les Journaux », eux aussi, s’occupent du fameux plébiscite ;

les « Communications ouvrières » informent de la réunion de la chambre syndicale des ouvriers boulangers (celle annoncée dans le journal daté du 1er avril) et je note avec plaisir la présence parmi eux du citoyen Frankel qui les a invités à faire cause commune avec la Fédération et l’Internationale (dans un an, il sera toujours avec eux pour la suppression du travail de nuit), les employés de commerce aussi se réunissent ;

Antoine Arnaud écrit son sixième article sur « La question des chemins de fer » ;

un article de « Variétés » est consacré à « La Muette » de A. Pothey, désopilante pochade, d’ailleurs illustrée par Daumier, l’article est signé d’Étienne Carjat, « c’est tout dire », comme il dit (malheureusement cette édition illustrée ne figure pas (aujourd’hui) sur Gallica…) ;

aux « Tribunaux », on condamne la Marseillaise pour les dessins dont on a parlé hier, le rédacteur proteste, ce ne sont pas des caricatures, la ressemblance n’étant que trop exacte, le Réveil et le Sans-Culotte sont condamnés eux aussi ;

souscriptions, etc.

La dépêche télégraphique est partie du Creuzot le 3 avril à 5h18, elle est dans le journal qui paraît le 4. Elle n’est pas signée. L’envoyé du journal qui enverra les détails que nous lirons demain est Benoît Malon. Il est passé voir Varlin le 2, lui a dit qu’il partait le soir.

Encore un voyage, a écrit Varlin à Aubry, qui, dans les circonstances actuelles, profitera à l’Internationale.

Voici la dépêche et le reste de l’actualité au Creuzot, en attendant la lettre de Malon, qui mettra un jour de plus que son télégramme.

Dépêche télégraphique

Creuzot, 3 avril. — 5 h. 18 m.

Grève des mineurs, toujours générale.

Entrevue infructueuse hier entre M. Schneider et les délégués de la grève.

Grévistes disposés à tenir bon.

Menaces de grève à Montceau-les-Mines.

Soldats nullement hostiles.

Aujourd’hui calme parfait.

Vous recevrez des détails demain.

Pour copie conforme

J. BARBERET

Nous recevons des ouvriers grévistes du Creuzot un témoignage de sympathie qui nous touche profondément.

Les travailleurs comprennent qu’ils peuvent compter sur nous, et que leur cause est la nôtre. Qu’ils en reçoivent nos vifs et sincères remerciements.

Rien ne saurait nous encourager et nous fortifier davantage dans la lutte que la Marseillaise, fondée par les citoyens Henri Rochefort et Millière, a entreprise en faveur du droit contre la force, du producteur ouvrier contre ceux qui l’exploitent indignement.

ARTHUR ARNOULD

Creuzot, le 1er avril 1870

Citoyens rédacteurs,

Le 19 janvier dernier, les 10,000 ouvriers de M. Schneider se levaient comme un seul homme pour réclamer la gérance d’une caisse de prévoyance qui est leur propriété exclusive, et pour protester contre le renvoi de trois de leurs camarades. La grève se déclara : ce fut un coup de foudre pour tout le monde, le boyard était atterré, les serfs eux-mêmes étaient surpris de leur audace. Cette exubérance de vie fut de courte durée : à ces esclaves révoltés, il manqua un Spartacus, mais les Judas ne firent pas défaut.

Des esprits timorés cédèrent aux menaces et aux promesses des contre-maîtres, et, trois jours après, la terreur des chassepots aidant, le travail était repris par un tiers environ des ouvriers. C’en était fait de la grève, et la reprise du travail avait sonné l’heure de la vengeance.

Tous ceux que leur intelligence avait fait désigner par leurs camarades pour être leurs mandataires auprès de M. Schneider furent impitoyablement renvoyés, ainsi que ceux que les mouchards signalèrent comme étant partisans de cette revendication.

À la nouvelle de cette grève la Marseillaise fut le premier journal qui ouvrit une souscription en notre faveur, et vos braves ouvriers typographes furent les premiers souscripteurs.

Ces sommes distribuées aux citoyens renvoyés pour leur fermeté à soutenir le droit contre la force, et aux parents des principales victimes de l’éboulement du chantier de la Croix, ont empêché la misère de pénétrer dans leurs foyers.

Nous venons donc vous dire, à vous tous, vaillants champions de la liberté :

Recevez nos chaleureux et fraternels remerciements. Nous disons à la France entière : « l’ignoble Marseillaise » combat pour le peuple, tandis que les exploiteurs l’assassinent.

Merci aussi au citoyen Arnould pour son article de samedi 2 avril.

Pour les grévistes,

Le comité distributeur

Signé : Derains. — Migault. — Verneau

LA GRÈVE DU CREUZOT

Les menaces par lesquelles le maître du Creuzot a essayé d’ébranler le courage des mineurs, et les persécutions dont ces derniers sont l’objet semblent fortifier de plus en plus l’énergie des grévistes.

Une centaine de lanciers sont arrivés pour renforcer la garnison, et un nouveau détachement de troupe de ligne était annoncé pour hier soir.

À la suit de la nomination des membres du nouveau comité gréviste, les résolutions suivantes ont été prises :

Déclaration de la grève des mineurs

Les soussignés, délégués mineurs, formant le comité gréviste, déclarent, au nom de leur corporation, être en grève.

Ils demandent une augmentation de salaire et une diminution d’heures de travail, ainsi qu’il suit, savoir :

1° La journée des mineurs, de 8 heures de travail — 5 fr. ;

2° Que le chargement des berlines ou wagonnets ne soit plus fait par eux ;

3° Que pour tout ouvrier travaillant dans des travaux où il tombe de l’eau, la journée ne puisse excéder au maximum cinq heures. — 5 fr.

4° Que le travail de la journée en réparation des puits ne soit que de quatre heures au maximum, — 5 fr.

5° La journée des manœuvres, de huit heures de travail, — 3 fr. 75 ;

6° La journée des enfants commençant à travailler, de huit heures, — 2 fr. 25 ;

7° Que tous les ouvriers attachés au service de la mine reçoivent mensuellement une chauffe de charbon de 6 hectolitres, en deuxième classe.

Que le refus puisse en être fait, si elle n’est pas convenable.

8° Lorsqu’un ouvrier fatigué se reposera quelques jours, qu’il ne soit pas obligé de se munir d’un billet du docteur pour la reprise de son travail ;

9° Qu’à l’ouvrier ayant repris le travail, qui se trouvera mis à pied par l’un des chefs de poste ou autre, faute de pouvoir lui procurer de l’ouvrage, il soit alloué la moitié de sa journée actuelle, en cas que le tort ne vienne pas de l’ouvrier.

10° Nous demandons, en outre, que tous les ouvriers incarcérés jusqu’à ce jour pour les motifs de la grève soient mis en liberté tout de suite, et qu’aucun d’eux ne puisse être renvoyé de la mine sans le consentement de la commission, prise parmi les ouvriers, et que nous formerons à la majorité de tous.

Le devoir de cette commission sera d’inspecter attentivement, points par points, tous les griefs des patrons contre les travailleurs.

Après une délibération de la Chambre ci-dessus, l’ouvrier sera maintenu ou renvoyé, sans aucun motif de réclamations.

11° La gérance de la caisse de secours par les ouvriers eux-mêmes.

Le comité gréviste soussigné,

Le président. — Le secrétaire. —

Le secrétaire-adjoint.

Copie de cette déclaration a été envoyée à l’ingénieur des mines.

Puis la proclamation suivante a été affichée partout :

Aux ouvriers mineurs du Creuzot

Nous venons vous remercier de la confiance que vous nous accordez en nous remettant les pleins pouvoirs pour chercher une solution à la situation, conforme à vos intérêts.

Nous allons nous mettre à l’œuvre sur-le-champ. En attendant, demeurez calmes, nous vous en prions. Ne compromettez pas notre cause par des scènes violentes.

Chacun de vous pourra venir nous trouver, pour exposer ses réclamations. Quelques secours nous sont promis. Nous les répartirons, aussitôt reçus, entre les familles les plus nécessiteuses.

Signé :

Les délégués : Poignot, Pelletier, Révillot, Beaudot, Desfaill, Parize, Testard

Eh bien, qui le croirait si nous n’étions sous l’équitable régime de l’empire, ce manifeste si calme et si digne n’a pas été du goût de l’autorité.

L’autorisation d’affichage a été refusée à l’imprimeur.

On propage et l’on favorise les insinuations les plus perfides, les mesures d’intimidation de toutes sortes contre les ouvriers ; on les provoque à la colère et à la violence par des menaces insensées, dans l’espoir de se procurer l’occasion de sévir, de recommencer les scènes de la Ricamarie et d’Aubin, et les grévistes répondent à toutes des manœuvres par le silence et le dédain.

C’est vraiment désolant pour ce pauvre M. Schneider et pour ce bon M. Marlière qui ne serait pas fâché de donner à son maître une preuve de la force de sa poigne.

VERDURE

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C’est André Gill qui a dessiné le député Ordinaire (que j’ai déjà représenté, voir le journal daté du 20 février, mais cette fois c’est à la une de l’Éclipse du 27 février 1870, et ça se trouve sur Gallica, là.

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).