Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

115. Jeudi 14 avril 1870

Une nouvelle dépêche télégraphique du Creuzot ouvre le journal

Creuzot, 12 avril, 6 h. 40 m. soir

Répression croissante.

Nombreux mandats de comparution lancés contre des femmes, mères de famille.

les lettres de la Bastille du numéro 444 sont consacrées au plébiscite ;

les « Nouvelles politiques » à la « dislocation du ministère » et au plébiscite; Gambetta et la « gauche » ont déposé un projet de loi sur celui-ci, cette même gauche va convoquer des représentants de certains journaux, dont la Marseillaise pour leur expliquer sa position (vote négatif) ;

dans son « courrier politique », Arthur Arnould constate que ces mesures politiciennes consistent à reculer devant un fossé qu’il faudra toujours franchir ;

Claretie a écrit un nouvel épisode de son feuilleton « Les Pauvres gens » ;

je passe « La Chambre » ;

je garde les nouvelles du Creuzot (ci-dessous) ;

le « Bulletin du mouvement social » annonce que le deuxième banquet des sociétés ouvrières de Paris (le premier a eu lieu en septembre) aura lieu le 8 mai, informe sur la grève de Fourchambault, sur la « grève des ouvriers en soie de Dieulefit », qui sont des ouvrières (voir le journal daté du 9 avril et ci-dessous), celle des mécaniciens et fondeurs de Verneuil (là, c’est le patron qui est une patronne), et celle de Svarov en Bohême (voir les journaux datés des 9 et 11 avril) ;

il y a une protestation des tullistes de Lyon contre leur Schneider à eux, qui s’appelle Baboin (voir le journal daté du 28 mars) ; la suite de la séance du 9 avril au tribunal correctionnel d’Autun (ci-dessous) ;

un compte rendu analytique du « Corps législatif » dans lequel il est question de la fermeture de l’École de médecine (voir les articles sur Tardieu dans les numéros précédents) et du projet de loi Gambetta sur le plébiscite (repoussé) ;

« Abus et réclamations », de Francis Enne nous apprend l’arrestation d’un serrurier qui… fredonnait la Marseillaise ;

je vous garde le compte rendu de la réunion sur « les femmes au XIXe siècle » ;

une seule « communication ouvrière » ;

des annonces ;

des annonces de réunions publiques ;

liste de souscription, on collecte dans les ateliers pour les grévistes du Creuzot ;

aux « Tribunaux », on juge Lullier, arrêté… à sa sortie de Pélagie ;

des potins dans « La Rampe » ;

la « Bourse », les théâtres et des annonces.

LA GRÈVE DU CREUZOT

Creuzot, 11 avril 1870

Cher citoyen,

Hier dimanche, tandis que le glorieux bienfaiteur du Creuzot pouvait, dans son château entouré de soldats, comme une résidence impériale, se demander jusqu’à quel point les condamnations du neuf avril raffermissent sa colossale puissance, l’obole de la démocratie parisienne, distribuée par les délégués de la grève, apportait dans les familles désolées le pain du jour et l’espoir du lendemain.

Par une heureuse coïncidence, dans les trois jours qui se sont écoulés depuis l’ouverture de ces débats qui resteront fameux, 3,000 fr. arrivaient aux mineurs : 2,000 fr. par la Marseillaise qui a fait son quatrième envoi de 1,000 fr., et 1,000 fr. par le Rappel. Si les souscripteurs à cette œuvre de fraternité sociale avaient pu entendre les bénédictions que leur envoyaient ces mères de famille qui, la veille, se demandaient ce qu’on allait faire des enfants, ils se seraient sentis bien payés de retour.

S’il n’y a pas de justice ici, disait l’une, il y a de la bonté (lisez fraternité) à Paris.

Que ceux qui nous envoient du pain soient aussi heureux qu’ils sont bons.

Une autre encore: Ils sont donc bien charitables (lisez fraternels), ces républicains, etc.

La première stupeur règne encore au Creuzot. Plusieurs boulangers ont refusé du pain aux familles des condamnés ; les délégués leur ont porté de l’argent pour faire continuer les fournitures.

Au bureau de bienfaisance, on a fait courir le bruit que tous les secours prodigués émanent de M. Schneider.

Ce n’est donc pas assez d’opprimer et d’exploiter, il faut encore abaisser et corrompre.

Or, tandis que les agents de l’usine attribuent à leur patron l’origine des secours de la démocratie, il me revient par des personnes dignes de foi que les bons de pain et de lard dont je vous ai parlé, et que l’on attribuait à la générosité de M. Schneider, sont payés par la caisse de prévoyance, c’est-à-dire par les ouvriers eux-mêmes.

Cependant la terreur produite par le jugement d’Autun a fait descendre aujourd’hui quelques mineurs ; ils sont dans les puits une centaine, m’a-t-on dit; ce n’est toujours qu’un sur quinze à peine, la grève est donc toujours universelle. Les mineurs de tous les puits se réunissent ce soir en assemblée générale à la salle du théâtre.

La grève de Fourchambault produit ici une certaine émotion, d’autant plus que ce matin on a signalé un nouveau convoi de troupes.

Comme on pouvait le prévoir, tous les condamnés d’Autun ont interjeté appel ; ils ont dû être transférés à Dijon cette nuit. On m’assure même que le train qui les emmenait a passé à toute vapeur à une heure du matin. Les juges d’Autun craignaient peut-être, si ce transport s’était effectué en plein jour, dans un convoi ordinaire, que les femmes du Creuzot ne se fussent précipitées sur la voie pour empêcher le train de repartir, comme elles ont déjà fait. Je dois dire que cette crainte est parfaitement justifiée. L’énergie dont ces courageuses prolétaires ont déjà fait preuve et l’état d’exaspération où on les a réduites est capable de les pousser à tous les héroïsmes.

Les promenades militaires se multiplient et produisent une singulière impression sur ces habitants qui ne s’habituent pas à l’état de siège.

Il n’y a pas assez de familles sans chefs ; on parle d’une nouvelle prévention, on voit à quoi cela mène au Creuzot. En attendant, deux mineurs pères de famille, dont l’un est chargé de cinq enfants, ont été arrêtés vendredi à Mon[t]chanin où ils invitaient les mineurs de ce pays, qui n’est pas en grève, à aider de leurs subsides les familles sans pain du Creuzot.

Ces deux nouvelles victimes de l’administration Schneider seront dirigées ce soir à Autun.

À vous,

B. MALON

BULLETIN DU MOUVEMENT SOCIAL

La grève de Fourchambault

Nous avons reçu de Fourchambault quelques renseignements sur la grève qui a éclaté récemment dans les usines métallurgiques de MM. Mony et Bouchacourt.

D’après l’Impartial du Centre, les ouvriers de l’usine Boigues-Rambourg et compagnie demandent une augmentation de salaire, et sont aussi en grève depuis hier soir. Ils rédigent une adresse pour formuler leurs réclamations ; ils sont très calmes et manifestent hautement leur réprobation contre toute idée de désordre.

Dans la nuit de samedi à dimanche, plusieurs réverbères ont été cassés. Les ouvriers protestent contre cet acte au sujet duquel ils déclinent toute responsabilité et qu’ils imputent à des agents provocateurs. L’administration crois savoir que ce n’est que le fait de quelques gamins. Il ne s’est produit, du reste, aucune agitation de nature à troubler la tranquillité publique.

Hier soir, dimanche, à l’heure de la reprise ordinaire des travaux, les ouvriers ne se sont pas rendus à l’usine. Mais la nuit s’est passée sans le moindre trouble, ce qui n’a pas empêché que l’autorité ait cru devoir faire partir pour Fourchambault des lanciers de la garnison de Nevers, lesquels sont immédiatement revenus. On s’accorde généralement à blâmer cette intervention inutile et inopportune de la force armée.

Les troupes sont consignées et prêtes à se mettre en route au premier signal.

À Nevers, on s’inquiète de voir ces préparatifs militaires et le mouvement incessant d’allées et venues d’estafettes à cheval. Pourquoi jeter ainsi l’émoi au milieu d’une population paisible, alors que l’ordre n’est troublé nulle part ? Ces procédés sont regrettables à tous les points de vue. Ils nuisent aux intérêts même qu’ils ont toujours la prétention de protéger. Les sabres et les chassepots ont toujours été un triste moyen de conciliation. Nous ne cesserons de demander qu’on laisse patrons et ouvriers débattre ensemble leurs affaires.

Au dernier moment, nous apprenons qu’un escadron de lanciers et un bataillon d’infanterie, avec le général en tête, viennent de partir pour Fourchambault.

La grève de Dieulefit (Drôme)

Le Courrier de la Drôme publie les renseignements suivants sur la grève des ouvriers en soie de Dieulefit :

L’augmentation réclamée est évaluée, en moyenne, à trois francs par mois. Les patrons, après s’être consultés, ont offert 2 fr. Les grévistes ont rejeté cette offre comme insuffisante.

Les ouvriers de M. Ch. Noyer avaient cependant accepté cette augmentation, et le travail avait repris dans cette usine le vendredi matin ; mais, dans l’après-midi du même jour, 100 femmes grévistes se sont rendues chez M. Noyer et l’ont sommé de faire sortir ses ouvrières. Sur son refus, elles ont, pour empêcher le travail, détourné l’eau du canal qui alimente l’usine.

Il n’y a plus que les usines de MM. Prudent, Camille et Duseigneur qui soient en activité.

On craint que les ouvriers potiers n’imitent prochainement les fileuses.

Grève des mécaniciens et fondeurs de Verneuil (Eure)

On lit dans le Progrès, de Rouen :

Nous déplorons, en principe, la nécessité des grèves, qui suspendent le travail, jettent la perturbation au sein des intérêts, et engendrent des haines envenimées entre les maîtres et les ouvriers. Cependant, dans l’ordre actuel des lois qui régissent le travail, la grève est le moyen le plus prompt d’arriver à solution de conflit.

On signale de Verneuil au Progrès de l’Eure les faits suivants :

Le 1er avril, 31 ouvriers, sur 36 qui composent l’atelier de Mme Forget, se sont réunis afin d’éviter une grève, et ont formulé une demande de réduction d’une heure sur la journée de travail : soit onze heures au lieu de douze. Mme Forget, obligée de reconnaître l’équité de la requête, y a obtempéré après quelques négociations.

Encouragés par le succès de leurs voisins, les ouvriers de M. Garnier, maître fondeur, ont adressé la même demande à leur patron. Celui-ci, moins facile, a ajourné sa réponse définitive. Il a cependant promis d’accorder l’heure en moins à partir du 11 courant.

Un autre atelier, celui de MM. Toussaint Banel et Ce, n’a pu obtenir aucune espèce de réponse des patrons. Les ouvriers se proposent de quitter les ateliers.

TRIBUNAL CORRECTIONNEL D’AUTUN

Suite de la séance du 9 avril 1870

Me Frémont commence sa plaidoirie dont je vous adresse le résumé suivant :

Le réquisitoire du procureur impérial me frappe d’étonnement. Il parle d’une population heureuse, dévouée et confiante qui, tout à coup, sans raison aucune, contre ses intérêts, devient subitement hostile et se met en grève, en insurrection, dit-il. Portons la question sur son véritable terrain. Avons-nous le droit de nous mettre en grève ? Oui, d’après la loi de 1864, et vous n’oseriez soutenir le contraire. Les ouvriers anglais savent que la grève est un désastre, dites-vous ; les ouvriers français le savent aussi et, ici, comme ailleurs, la grève est un moyen extrême. Ils sont bien forcés de passer outre, ces ouvriers, quand le salaire ne suffit pas à donner le pain à la famille et les ouvriers du Creuzot sont dans ce cas, leur misère est extrême. Vous dites que les ouvriers anglais savent que le salaire ne résulte pas du libre accord des volontés, mais de l’ensemble des nécessités économiques. Je ne sais si les Anglais le comprennent ainsi, je ne sais pas non plus si la vérité est là.

Au-dessus des nécessités de la concurrence, il y a le droit de vivre, et quand le salaire ne donne pas la vie à celui qui travaille, je dis que les institutions économiques sont vicieuses et qu’il faut les réformer. Vous avez exalté les grèves anglaises, pourquoi rabaisser les autres pays ? Qu’avez-vous à reprocher aux grèves de Paris, de Lyon, de Marseille, de Genève, de Bruxelles et de tous les pays où a pénétré la grande Association internationale des travailleurs. Le caractère de violence vient de la position des ouvriers : plus ils sont malheureux, plus leurs revendications sont naturellement violentes, parce que plus ils sont malheureux, plus ils sont ignorants. Les grèves des mineurs au Creuzot, à Saint-Étienne, à Aubin, à Carmaux, à La Motte, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, revêtent le même caractère…..

Je rentre dans la question. Les mineurs du Creuzot gagnent de 3 fr. 50 à 4 fr. par jour, les journaliers gagnent à peine de 2 fr. 75 à 3 fr. en moyenne. Comment vivre, comment élever une famille avec un tel salaire ? De plus, grâce à un versement de 2 1/2 p. 100 de leur salaire, ces ouvriers ont fondé une caisse de prévoyance au capital actuel de 500,000 francs. M. Schneider la dirige avec ses principaux employés, et les comptes qui se règlent en famille ne sont jamais communiqués aux intéressés qui, depuis 1863, demandent la gérance de leur caisse. On leur fait une promesse fallacieuse, on les fait voter, ils demandent leur caisse à la presque unanimité, et M. Schneider, qui se prétend le père de ses ouvriers, continue à garder leur caisse, renvoie Assi et les autres courageux ouvriers qui réclament leurs droits.

Les faits sont pourtant palpables. Après plusieurs réunions publiques, 3,459 ouvriers, sur 5,836 inscrits, refusent énergiquement le vote et réclament purement et simplement leur Caisse. Sur les 2,397 qui consentent à voter, 1,843 disent : OUI, NOUS VOULONS LA CAISSE. Restent 536 employés ou parents d’employés qui votent contre la gérance de leur caisse. Mais ce vote n’était qu’un subterfuge, M. Schneider ne voulait pas rendre la caisse. Le voilà, cet administrateur modèle. Vous dites qu’il entretient des écoles. Ce n’est pas lui, c’est la caisse de ces malheureux ouvriers qui les entretient et leur donne un subside annuel de 45,000 fr., je crois, qu’on verse sans les consulter.

Ce ne sont pas là des causes de grève ! Mais il y a d’autres motifs. Un ingénieur, M. Petitjean, commet le crime horrible, au Creuzot, d’être aimé des ouvriers; on le remplace par un dont ils n’ont pas à se louer, qui leur dit:

Quand on ne peut pas manger de la viande, on mange des légumes, et, à défaut de légumes, de la soupe, c’est assez bon pour des ouvriers.

Leurs chauffes sont mélangées de terre ; en outre, depuis 1863, on poursuit un système de diminution hypocrite. Ils ont voulu protester, mais cette malheureuse population a été vaincue, et alors qu’a fait celui que vous appelez le « père du Creuzot? » Il a aggravé la situation par des renvois arbitraires et n’a rien réformé.

Ils sont pourtant bien malheureux, ces mineurs qui, pour un salaire aussi médiocre, font un travail si pénible dans l’eau, dont les dangers sont cruels, et cela douze heures par jour. Ah! s’il est vrai que les ouvriers du Creuzot sont dans la catégorie des ouvriers heureux, les ouvriers français sont bien à plaindre!

Vous leur reprochez de lire la Marseillaise, le Rappel, le Réveil, oui, ils lisent ces journaux qui défendent leurs intérêts. Aimeriez-vous mieux qu’ils lussent le Petit-Journal, la Petite-Presse et autres journaux soi-disant littéraires dont les romans se passent aux bagnes et au lupanar ? Oui, leurs griefs sont légitimes, et, plutôt que d’y faire droit, leur prétendu père, M. Schneider, préfère perdre trois millions !

L’avocat examine ensuite les faits particuliers reprochés aux grévistes, démontre que ces derniers n’ont pas outrepassé leur droit légal, qu’en conséquence, ils n’ont pas commis de délits.

Il conclut : Le procureur impérial demandait la sévérité, je demande la justice et l’indulgence. La plupart de ces inculpés ne sont pas répréhensibles, d’autres n’ont à leur charge qu’un moment d’emportement. Derrière ces hommes, il y a des femmes éplorées, des enfants qui demandent leur père, des familles sans pain : les condamner, c’est les livrer à la misère, c’est leur faire douter de la justice.

Charles Boysset, ancien représentant du peuple, s’exprime ainsi :

L’affaire qui est devant vous est de la plus grande gravité. Je demande l’indulgence afin de parler en toute liberté et approfondir certaines questions délicates. Il y a ici complication : deux grèves, une grande et une petite, deux insurrections, dit M. le procureur impérial. La première grève ne donne lieu à aucune poursuite. J’arrive donc à la seconde. D’après le procureur impérial, le 21 mars, trois jeunes gens conspirent dans une galerie du puits Saint-Pierre, et, en quelques heures, tout est soulevé; tous les mineurs sont en grève. Ces ouvriers étaient heureux, nous avez-vous dit, l’administrateur Schneider leur donnait le bien-être matériel et le bien-être moral; ils parcouraient la vie sur un chemin fleuri entre des collines enchantées, et trois jeunes gens leur criant : GRÊVE ! suffisent pour leur faire quitter unanimement le travail ? Mais c’est insensé !

Quoi ! vous couvrez le pays de troupes, au risque de provoquer des conflits et peut-être pour amener des provocations, et deux ou trois hommes, en dépit de l’intérêt des ouvriers, en dépit de cette protection armée, auraient cette puissance incroyable de soulever ce pays heureux et gardé ! Non ! vous parlez encore d’excitations étrangères ; voulez-vous parler d’agitateurs ambulants qui auraient pour but de semer partout le désordre, trouvez-en un d’abord ! Voulez-vous parler de ces journaux que vous accusez de faire une guerre acharnée à M. Schneider et aux lois économiques qui régissent le travail ? Tenez, je vais vous lire un passage de l’un des journaux que vous avez ainsi désignés, la Marseillaise.

Dans le numéro du 21 mars qui est la principale cause de la prévention d’Alemanus. Je lis :

La grève. Ah oui, la grève, c’est-à-dire le refus du travail. Dure et cruelle extrémité. Contraire à l’esprit de justice et d’égalité, la grève est la ruine de l’ouvrier; c’est le dernier écu dépensé, c’est le dernier paquet de linge porté au mont de piété. Ce sont les cris de l’enfant et les angoisses de la femme, c’est le sombre désespoir de l’homme isolé, impuissant au triomphe du droit. C’est la production arrêtée, ce sont les sources de la circulation taries. Qu’importe? la grève est utile, c’est l’arme ébréchée que le législateur bourgeois a oubliée dans l’établi du pauvre; bien dirigée, elle peut porter de rudes coups.

Voyez de quelle peinture fidèle des maux qu’elle occasionne, l’écrivain fait suivre ce mot de grève, avec quelle réserve il conclut à sa nécessité accidentelle… Croyez-moi, n’évoquez plus ces fantômes d’agitation dont on parle partout et qu’on ne voit nulle part. La grève a bien d’autres causes, je les examinerai plus tard. J’aborde le droit de grève. La grève a été longtemps un épouvantail ; elle fut proscrite en 1789. Depuis, on est revenu de ces craintes chimériques et la loi de 1864 est venu[e] combler une lacune. M. Ollivier, rapporteur de la loi, aujourd’hui garde des sceaux, a positivement stipulé qu’un ouvrier a le droit de poser certaines conditions, et d’engager ses camarades à faire comme lui, et celui qui a entraîné les autres, remarquez ce mot entraîné, il est textuel, ne saurait être répréhensible, s’il n’a trompé ses camarades sur les véritables intentions du patron, par exemple, et s’il ne s’est rendu coupable de violences envers les ouvriers, car là seulement est l’atteinte à la liberté du travail.

L’intimidation qui s’adresse au patron n’a pas ce caractère délictueux. Pour avoir insulté ou même frappé un patron, l’ouvrier peut être passible d’une peine pour voies de fait, mais non pour avoir porté atteinte à la liberté du travail. Ce point juridique bien établi, que voyons-nous dans la grève actuelle ? Mathieu, Dulay, Vailleau invitent leurs amis à faire grève ; ils étaient légalement dans leur droit, ils ne sont pas coupables ; les mineurs des puits Saint-Pierre et Saint-Paul les suivent, ils se portent ensemble vers les autres puits dont les ouvriers les suivent également, ils vont encore tous ensemble à Montchanin annoncer la grève aux mineurs de cette localité qui les attendaient.

(La suite à demain.)

B. MALON

Réunions publiques

SALLE DES MILLE ET UN JEUX, RUE DE LYON, 18

Séance du 10 avril1870

Ordre du jour : les femmes au XIXe siècle

Les citoyens Rochefort, de Fonvielle et Flourens sont acclamés président et assesseurs, et remplacés au bureau par les citoyens Falcet, Vertut et Rocher.

Le citoyen Vertut proteste contre l’instruction de la femme par les religieuses ; l’orateur s’élève surtout contre la confession où la femme dévoile au prêtre ce qu’elle cache à son mari. (Applaudissements prolongés.)

Le citoyen Rocher dit que l’excès de misère pousse la femme au vice ; et il cite une malheureuse femme veuve avec cinq orphelins, à laquelle les maîtres des chemins de fer P.L.M. offrent un capital de 300 fr. pour l’indemniser de la mort de son mari, écrasé par un train dans la gare de Nîmes où il était employé.

Voilà, s’écrie l’orateur, comment l’on se conduit à l’égard des travailleurs dans une administration riche à deux ou trois milliards, dont le directeur a cumulé, au dire de ses malheureux subalternes, et avec le produit de leurs fatigues, 300 millions en trente-cinq ans (Mouvements d’indignation dans l’auditoire).

Le citoyen Briosne demande la moralisation de l’homme avant celle de la femme. L’orateur fait un tableau effrayant de la femme forcée pour vivre de traîner une brouette dans les usines et dans les puits de charbon ; (Vifs applaudissements.)

La citoyenne Leroux dépeint d’une manière touchante les misères de la femme dans la pauvreté où la détiennent les capitalistes. (Applaudissements.)

Le citoyen Dupin raconte les infamies dont sont victimes les jeunes filles dans les ateliers de la part de leurs maîtres. (Applaudissements.)

Le citoyen Falcet voudrait voir le budget de la guerre transformé en budget d’instruction publique, et les casernes devenir des écoles. (Vifs applaudissements prolongés.)

La séance est levée à 11 heures, aux cris de : Vive Rochefort, de Fonvielle et Flourens !

Une collecte faite pour les grévistes du Creuzot, a produit 50 fr. 70 c.

COLLOT

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La photographie de la maison en démolition dans la rue principale de Dieulefit est due à Paul Duseigneur, elle a été prise à peu près à l’époque de cet article, et je l’ai trouvée sur Gallica, là.

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).