Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

121. Mercredi 20 avril 1870

Les « Fantaisies politiques » de Dangerville varient sur le thème Ollivier est payé au mensonge, et justifient la consigne d’abstention par l’argument, auquel l’auteur lui-même ne croit pas, qu’il est plus facile de remplacer des non par des oui que de faire sortir des urnes des papiers que personne n’y a déposés ;

je passe les « Nouvelles politiques » d’Ulric de Fonvielle ;

vous lirez ci-dessous les nouvelles de la grève de Fourchambault ;

Morot s’inquiète, dans « La question du pain », de la hausse du prix de cette denrée essentielle ;

le « Courrier politique » d’Arnould s’intitule « Rien n’est changé » ;

tiens, un épisode du feuilleton de Claretie, aujourd’hui ;

A. de Fonvielle parle des préparatifs du plébiscite ;

quelques « Informations » de Morot, parmi lesquelles vous lirez en particulier que Ferré et Genton sont sortis de Mazas (mais voir le journal de demain!) ;

Collot a assisté à une réunion des sections parisiennes de l’Association internationale des travailleurs, vous lirez son compte rendu ci-dessous ;

le « Bulletin du mouvement social » revient sur la solidarité des travailleurs avec les grévistes du Creuzot, avec le Patriote albigeois, les ouvriers de Mulhouse, les peintres sur émail de Genève, les ouvriers d’Oullins… elle lance une souscription en faveur des grévistes de Fourchambault, et elle annonce qu’une grève générale des ouvriers fondeurs de Paris commence aujourd’hui mardi ;

la suite de l’étude de Malon sur le Creuzot, vous la lirez ci-dessous ;

une longue lettre d’ouvriers tailleurs, plus une souscription pour remplacer son salaire à Rochefort, plus le fait que Rochefort ne peut pas remercier, voilà ce que signe Collot ;

je passe les « Échos » ;

je passe aussi « Les Journaux », revue de presse qui pourtant ne manque pas d’intérêt ni d’humour ;

quelques lettres mentionnées ;

suicides, incendie, ce sont les « Faits divers » ;

dans « La Police », Francis Enne révèle encore des actes de sauvagerie commis par les agents ;

il y a des réunions publiques ;

parmi les annonces légales, les Baboin de Lyon ont réussi à faire insérer, avec l’aide de la « justice », une lettre (voir les journaux datés du 28 mars et du 14 avril), ce qui coûtera aussi sept francs au journal ;

dans les « Tribunaux », une histoire que je vous livre plus bas ;

listes de souscription ;

théâtres.

La grève de Fourchambault

DÉPÊCHE TÉLÉGRAPHIQUE

Fourchambault, 17 avril 1870

La grève est toujours générale ; on compte ici 3000 ouvriers. La force armée paraît hostile au mouvement : 37 arrestations ont été opérées, et l’on n’entrevoit jusqu’à présent aucun moyen de conciliation.

MALON

Pour extrait : BARBERET

Fourchambault, le 17 avril 1870,

7 heures du soir

Cher citoyen,

Arrivé seulement depuis quelques minutes, je ne puis que vous envoyer ces quelques lignes à la hâte, trop pressé par l’heure du courrier pour vous adresser de plus longs détails que vous recevrez demain.

Plus de 3,000 ouvriers sont toujours en grève à Fourchambault et à Torteron.

On n’a pas à se louer ici de la force armée ; on me raconte de nombreux actes de brutalité.

Trente-huit personnes, dont trois femmes, ont été arrêtées. Les murs sont couverts d’affiches, les unes émanent du préfet, qui dit en terminant qu’il réprimera avec chagrin, mais enfin qu’il réprimera.

On le voit déjà.

Les autres émanent de Boignes, Rambourg et Cie, les maîtres de l’usine. Ces messieurs, ne voulant pas que l’égarement venu du dehors (toujours !) empêche les bons ouvriers de gagner leur pain, promettent la protection armée à ceux qui voudront reprendre le travail.

C’est simplement inouï.

J’écris entouré de femmes éplorées qui réclament leurs maris sous les verrous.

À demain de plus amples détails.

À vous cordialement,

B. MALON

FÉDÉRATION DES SECTIONS PARISIENNES

DE L’INTERNATIONALE

Les sections parisiennes de l’Association internationale étaient convoquées hier lundi, à une heure de l’après-midi, pour discuter les statuts de leur fédération.

La séance, tenue rue de Flandres, 51, était présidée par le citoyen Varlin, assisté des citoyens Robin et Avrial.

C’est la première assemblée générale que tiennent les sections. Plus de 1,200 sectionnaires étaient présents.

L’affranchissement des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs, a dit le citoyen Varlin. Aussi nous ne devons plus nous fier à ces hommes qui jusqu’à ce jour, nous ont bercés de vaines promesses pour obtenir nos suffrages, et qui, arrivés au pouvoir, nous ont abandonnés et trahis.

Nos exploiteurs se sont partagé les rôles. Les uns nous ont promis la justice ultra-terrestre, en échange d’une soumission aveugle envers nos oppresseurs. D’autres ont imaginé des lois qu’ils ont faites eux-mêmes, sans nous et contre nous. Ils ont établi des magistrats qui, pris dans leur classe, devenaient des auxiliaires puissants qui faisaient pencher la balance du côté de nos maîtres. Et, chose incroyable ! ils étaient arrivés à semer la division entre les ouvriers qui ne parlaient pas la même langue.

Aujourd’hui, tout cela doit changer. Déjà l’Internationale a vaincu les préjugés de peuple à peuple. Nous savons à quoi nous en tenir sur la providence qui a toujours penché du côté des millions. Le bon dieu a fait son temps. En voilà assez. Nous sommes revenus de ces prétendus tribuns qui ont la bouche pleine de promesses quand ils quêtent nos votes dans leur sébile de députés, et qui considèrent comme un outrage à leur dignité tout mandat qui tend à faire respecter et triompher nos droits.

Nous faisons appel à tous ceux qui souffrent et qui luttent. Nous sommes la force et le droit. Nous devons nous suffire à nous-mêmes. C’est contre l’ordre juridique, économique, politique et religieux que nous devons tendre nos efforts.

Solidarisons nos intérêts — fédérons nos groupes pour étendre notre action.

Ce discours, dont nous ne pouvons donner qu’une rapide analyse, a été couvert d’applaudissements.

La parole a été donnée au citoyen Combault.

Pendant quelque temps, l’Association internationale a été mise en suspicion par le parti républicain, qui l’accusait de tendance bonapartiste. C’est une calomnie contre laquelle nous devons protester. La classe ouvrière n’a jamais oublié le Deux Décembre ! Jamais elle n’a voulu accepter quoi que ce soit du vainqueur de la France, qu’elle a toujours regardé comme son plus cruel ennemi.

Il se peut que quelques individualités ou même quelques rares groupes d’ouvriers aient accepté la discussion officielle avec l’empire. Mais l’Internationale a subi les dures lois de la nécessité ; elle s’est tue jusqu’au jour où elle a pu dire : Nous ne voulons pas de l’empire. Et depuis plusieurs années, c’est son cri le plus aigu.

La première fois que nous avons pu parler, c’est au banquet de l’exposition. À dater de ce jour, l’empire s’étant jeté sur nous, nous avons été poursuivis, et à la face de ses juges, nous avons abandonné le rôle d’accusés qu’on nous donnait, pour prendre celui d’accusateurs. Nous avons affirmé nos principes socialistes et républicains. Nous avons répudié toute pactisation avec l’empire à qui nous jetions le gant.

Toute équivoque a cessé. Unissons-nous tous dans une pensée commune de revendication politique et sociale. On peut persécuter quelques hommes ; on n’emprisonne pas tous les travailleurs. D’ailleurs, ils ont besoin de nous pour nous exploiter. Organisons nous. Malgré la ruse, la violence, nous triompherons. Si nous sommes des individualités, nous serons broyés. Si nous sommes une collectivité, la victoire est à nous.

Nous devons nous occuper de la politique, puisque le travail est soumis à la politique. Il fait dire tout haut, une fois pour toutes, que nous voulons la RÉPUBLIQUE SOCIALE AVEC TOUTES SES CONSÉQUENCES. Unissons, centralisons nos efforts. Serrons-nous les uns contre les autres. Pour un qui tombe blessé, qu’il s’en dresse dix au poste du combat. Toujours fermes. Pas de concession.

Ce discours a vengé l’Internationale de bien des attaques, et montre à tous les ouvriers la nécessité de se joindre à des groupes aussi décidés à revendiquer énergiquement le triple développement de chacun, au triple point de vue physique, intellectuel et moral.

La discussion a été ouverte sur les statuts de la Fédération.

Les voici tels qu’ils ont été adoptés :

STATUTS DE LA FÉDÉRATION

entre les sections parisiennes de l’Internationale

1. — Il est établi entre les sections parisiennes de l’Internationale une Fédération ayant pour but de faciliter les relations de toute nature entre les divers groupes de travailleurs.

Cette fédération est administrée et représentée par un Conseil fédéral.

Constitution du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral est composé des délégués des diverses sections fédérées.

Le nombre des délégués est réglé comme il suit :

Une section comprenant 50 membres au plus est représentée par 1 délégué ; — de 51 à 100, par 2 ; — de 101 à 500, par 3 ; — de 501 à 1,000, par 4 ; — de plus de 1,000 par 5.

Chaque section choisit un nombre égal de délégués suppléants.

Chaque section nomme et change ses délégués comme il lui convient. Chacun d’eux doit, au commencement de la séance, se faire inscrire auprès du secrétaire d’intérieur, qui vérifie son mandat avec appel à l’assemblée, si le secrétaire ou tout autre membre en fait la demande.

Aux premières séances d’avril et d’octobre le conseil fédéral nommera son bureau formé de : un trésorier, un secrétaires des séances, deux correspondants pour l’extérieur, trois pour la France, ces nombres pourront être augmentés s’il est nécessaire.

Les membres du bureau sont constamment révocables par le conseil. Les vacances doivent être immédiatement remplies.

RAPPORTS DU CONSEIL FÉDÉRAL AVEC LE

CONSEIL CENTRAL

4. — Conformément à l’article 6 des statuts généraux et à l’article 5 du règlement annexé, le conseil fédéral se mettra en communication avec le conseil central ; il lui enverra tous les mois un exposé de l’état de l’Internationale à Paris.

Réciproquement, conformément aux articles 5 des statuts, 2, 3, 8 du règlement, ces derniers modifiés par l’article 3 des résolutions administratives votées à Bâle, le conseil central devra envoyer tous les trois mois au conseil fédéral parisien un exposé de la situation de l’Association internationale dans tous les pays.

RAPPORT DU CONSEIL FÉDÉRAL AVEC

LES SECTIONS FÉDÉRÉES

5. — Toute section voulant faire partie de la fédération parisienne doit déposer deux exemplaires de ses statuts et de son règlement particulier, l’un destiné au conseil central. (Règl. gén. art. 14)

6. — Conformément à la résolution de Bâle, le conseil central, avant d’admettre ou de refuser l’affiliation d’une nouvelles section ou société formée à Paris, devra consulter la fédération parisienne.

7. — Conformément à la résolution 6 de Bâle, la fédération parisienne peut refuser l’affiliation d’une section ou société, l’expulser de son sein, sans pouvoir la priver de son caractère d’internationalité, le conseil central pouvant seul en prononcer le suspension, le congrès la suppression.

8. — Le conseil fédéral dispose pour ses diverses dépenses : correspondances, propagande, etc., du budget suivant :

Chaque section adhérente à la Fédération lui paie 10 centimes par membre et par mois.

Il pourra y avoir transaction pour ce chiffre avec les sociétés ouvrières contribuant déjà aux frais d’une fédération.

L’un des délégués de la section doit verser à la première assemblée du mois la somme calculée entre les mains du trésorier. Celui-ci fait connaître à la troisième réunion mensuelle par une note affichée au local les sections qui ne sont pas en règle.

Après un mois de retard, la suspension de la section est de droit. Ses délégués n’ont plus voix au conseil ; après trois mois la radiation est prononcée.

9. — Le conseil peut, avec motifs à l’appui, voter des dépenses supérieures à son budget et fixer proportionnellement la contribution supplémentaire de chaque section. Mais dans ce cas, la contribution reste purement facultative.

RAPPORTS DU CONSEIL FÉDÉRAL

AVEC LES MEMBRES

10. — Peuvent assister comme auditeurs aux séances du conseil les membres des sections parisiennes fédérées et les membres des sections étrangères de passage à Paris.

Les membres de l’Internationale n’appartenant régulièrement à aucune section, n’ont pas droit à être admis aux séances.

11. — Les actes du conseil fédéral seront soumis à l’approbation des assemblées générales des sections parisiennes qui auront lieu au moins tous les trois mois.

Si ce contrôle présentait dans la pratique quelques difficultés, l’assemblée générale pourrait être remplacée par une réunion de délégués spéciaux en nombre triple des délégués au conseil fédéral.

RÉVISION DES STATUTS

12. — Les statuts pourront être révisés par l’assemblée générale, sur la demande d’un ou de plusieurs groupes, communiquée au moins un mois d’avance aux sections fédérées.

Une adresse des ouvriers de Brest a été lue. C’est une adhésion à la fédération. Elle se termine par la déclaration nette et ferme d’une volonté bien arrêtée de ne jamais reculer devant les insolentes prétentions de l’exécutif et de ses gens. (Tonnerre d’applaudissements.)

Le citoyen Casse a appelé l’attention des sectionnaires sur les agissements de la presse et de la gauche qui concertent entre elles les bases d’un manifeste sans appeler la classe ouvrière à y prendre part.

Il a raconté, ainsi que le citoyen Richard, les dernières réunions de la gauche et de la presse.

Nous ne voulons pas répéter toutes les paroles dures qui ont été prononcées contre la gauche sans exception.

Après une discussion animée, l’abstention a paru la ligne de conduite la plus convenable à tenir.

Seulement il a été décidé qu’une commission serait chargée, sans s’inquiéter des agissements de la gauche et de la presse, d’élaborer un projet de manifeste qui serait discuté dans les sections et publié dans les journaux.

Cette commission est ainsi composée :

Les citoyens Ancel [Ansel], Berthemieu [Berthomieu], Germain Casse, Combault, Franquin, Johannard, Lafargue, Langevin, Lefèvre, Raymond [Reymond], Robin, Roussel.

Cette commission a dû se mettre à l’œuvre. Il sera examiné si elle doit se mettre en rapport avec la presse et avec la gauche, qui paraissent ne vouloir prendre les ouvriers que comme agents d’un comité pour faire la propagande et non comme ayant le droit de participer à l’œuvre anti-plébiscitaire.

COLLOT

Le travail au Creuzot

LES MINEURS

Sur les quinze cents mineurs qui s’étaient mis en grève, il y a environ cinq cents mineurs proprement dits et mille journaliers. Nous allons nous occuper des uns et des autres.

L’on connaît ce travail de la mine à des centaines de pieds sous terre, dans l’eau jusqu’aux genoux, quelquefois, souvent, sous une pluie battante de gouttes d’eau glaciales, qui tombent des fissures, dans une atmosphère des plus malsaines, exposés toujours aux émanations du feu grisou, aux éboulements des galeries, et où l’on doit travailler à la lueur d’une lampe fumeuse dans une position difficile, quelquefois, toute la journée plié en deux, ou couché sur le côté.

Certes, s’il y a au monde une catégorie de travailleurs qui méritent surtout la sollicitude de la société, ce sont les mineurs. Ils n’en restent pas moins livrés à la rapacité des compagnies anonymes composées d’actionnaires ventrus et insatiables ou à la prépotence d’un pacha industriel à qui sa haute position fait perdre la tête, et qui sans remords s’enrichit de la sueur de ces nègres blancs dont le travail n’est qu’un lent assassinat. Au Creuzot, ils doivent effectuer douze heures de cet horrible travail par jour, pour une journée moyenne de moins de 4 francs. Nous n’avons pas ici à nous expliquer sur le travail aux pièces et sur l’avantage du travail envisagé comme fonction qui élève celui qui l’accomplit ; mais nous posons en fait que si jamais un travail a mérité d’être considéré comme service social, et ne puisse pas être tarifé, c’est celui de la mine.

M. Schneider qui, dans son profond mépris pour la nature humaine, a surchargé son usine de 150 ou 200 gardes, presque tous anciens gendarmes, chargés d’inspecter ses ouvriers aux portes de sortie et même dans l’usine, M. Schneider a fait du travail des mineurs un travail aux pièces. Le mineur est payé à tant le mètre d’avancement. Mais la veine change à tout moment, et, si le prix était uniforme, on pourrait y gagner tantôt 1 fr., tantôt 8 fr. par jour. Il s’agissait de trouver un mode de travail qui forçât les ouvriers de travailler plus pour le moins de salaire possible, et on l’a trouvé.

Quand on fixe le travail, on établit un prix minimum et un prix maximum. Supposez un travail fixé à 9 fr. au minimum et à 12 fr. au maximum. Si en travaillant beaucoup, l’ouvrier fait 4 fr. 50 c., par exemple, le maître de mine allègue une erreur et on paie à raison de 8 francs. Quant au maximum on n’en a vu à peine d’exemple d’application. Il sert quelquefois quand le travail, par trop mauvais, ne donne pas plus qu’une journée de 2 fr. ; cela se rencontre dans les mauvaises veines, et, alors, il sert à porter la journée à 2 fr. 50 c. ou 3 fr.

Ce mode de tarif mobile permet au maître de mine de pousser tant qu’il veut à l’activité outrés. S’il voit un ouvrier qui ne s’exténue pas, il tient sournoisement sa journée entre 3 et 4 francs, et le force ainsi de se hâter, en lui laissant l’espoir trompeur d’une augmentation qu’il éloigne à son gré.

Il va sans dire que les réclamations ne sont permises qu’à ceux à qui il plaît de s’entendre dire : « Si vous n’êtes pas content, allez vous-en. »

Les journaliers sont payés : les plus forts, 3 fr. 25 ; les moyens, 2 fr. 75 ; les jeunes, 1 fr. 75, et les enfants, 1 fr.25 ou 1 fr. Quelques-uns sont aux pièces, mais tous sont contraints à une lourde tâche de travail ; quand ils font plus, ils n’ont pas davantage, et s’ils font moins ils sont considérablement diminués, et descendant à une catégorie de salaire inférieure.

Depuis 1862, époque où le travail fut porté de 8 à 12 heures, les ouvriers se plaignent d’une constante aggravation de fatigues, entr’autres le chargement de leur charbon, et d’une non moins constante baisse de salaire, c’est pour remonter cette pente qu’avait éclaté la grève du 21 mars, hâtée par une déloyale retenue à la paye de la veille, retenue faite, comme il a déjà été dit, pour payer les frais de la grève du 19 janvier.

Un ancien ingénieur de l’administration Schneider porte le gain mensuel des mineurs en général et de quelques rouleurs à 78 fr. par mois, somme, ajoute-t-il, que 7 à 800 n’ont jamais touchée. Il était placé pour être bien renseigné ; nous voulons cependant supposer qu’il y a de l’exagération dans ces affirmations et nous porterons d’après nos renseignements, le salaire moyen des mineurs et des premiers manœuvres à 85 francs par mois. Voilà donc 85 fr. par mois pour élever une famille ordinairement de 3 enfants en moyenne. Supposons cette moyenne à 2 enfants et établissons le budget d’un ménage pas mois.

Recettes…. 85 fr.

Dépenses :

Pain pour quatre personnes, 1 fr. par jour… 30

Lard et légumes, 60 centimes….. 18

Pour blanchissage, très coûteux en raison du métier, la main-d’œuvre exclue… 7

Loyer, entre 5 fr. 50 et 12 fr…… 9

Éclairage, 2 litres d’huile par mois, à 1 fr. 40 c. ……. 2 80

Chauffage, en supposant 12 chauffes au lieu de 9, à raison de 80 c. par mois… 80

Prélevé d’autorité pour la Caisse de prévoyance, 2 1/2 pour 100, soit pour 85 fr. … 2 10

Mois d’école, fournitures diverses pour les deux enfants, s’ils vont à l’école, frais prélevés d’autorité par le bureau…. 5

Vin, un litre par jour à 30 centimes le litre … 9

Entretien du mobilier, nous supposons ce mobilier acheté, vaisselle, etc. … 2

Vêtements et entretien de vêtements … 10

Total … 95 70

Soit, en n’accordant rien à l’imprévu, en supposant que dans la famille on ne mangera jamais de viande, que le mari ne fumera pas, qu’on ne sera jamais malade, un déficit de 10 fr. 70 c.

Comprend-on maintenant pourquoi le crédit des commerçants aux ouvriers s’élève bien à 2,000,000 de francs sur lesquels 700,000 francs de pain d’après l’estimation générale, pourquoi, en conséquence, les commerçants se laissent faire annuellement 1,500 protêts, pourquoi tous les mois il y a des faillites, et pourquoi ces mineurs, ces journaliers qu’on force à la malhonnêteté en les mettant dans une situation à ne pas pouvoir payer leurs dettes, sont entre tous les ouvriers français faibles et chétifs, pourquoi quand ils ont été élevés dans la misère, ils paraissent 14 ou 15 ans à 18 ans, et sont-ils déjà déclinants, usés, vieillis à 35 ou 40 ans.

Cependant l’industrie du Creuzot est la plus prospère de France ; M. Schneider est l’un des plus riches industriels du monde entier, et il vous appellerait bandit si vous lui disiez que le produit du travail doit d’abord subvenir à l’entretien réel de celui qui l’effectue, ou bien il vous demanderait ce que vous voulez dire, comme ce tyran oriental qui, ravageant pour son plaisir les plus belles contrées de son empire, demandait ce que c’était que la misère.

B. MALON

P. S. J’oubliais un détail. Quand il n’y a pas de galeries en train, le mineur employé à la journée est payé 3 fr. 25 au puits des Moineaux et 3 fr. 60 dans les autres puits.

B. M.

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C’est en 1870 que Jules Chéret a réalisé l’affiche que j’ai utilisée en couverture (parce qu’il y a un incendie dans les faits divers et que tout le monde aime les pompiers). Dans sa grande bonté, la Bibliothèque nationale de France l’a déposée sur son site Gallica, là, où je suis allée la chercher.

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).