Comment l’acte de décès d’Eugène Varlin, publié dans l’article précédent, est-il arrivé, finalement, dans le registre du dix-huitième arrondissement?

Le dimanche matin, 28 mai, avec Théophile et Hippolyte Ferré, Eugène Protot, Ferdinand Gambon et Jean-Baptiste Clément, Eugène Varlin tient une des dernières barricades de la Commune, rue de la Fontaine-au-Roi. [Pour une discussion de l’emplacement de « la » dernière barricade, voir l’article d’Alain Dalotel, cité ci-dessous.]

C’est un retour sur les lieux de son adolescence. En 1854, il habitait, justement, 22 rue de la Fontaine-au-Roi.

Et puis c’est fini. Tous quittent les lieux, par la cité Holzbacher (voir le plan en couverture de cet article).

Ferré a pu se cacher — il a été ensuite arrêté dans sa cachette. Protot, Gambon et Clément, cachés eux aussi, ont réussi à fuir à l’étranger.

Eugène Varlin n’a, semble-t-il, pas essayé de se cacher. Il a été reconnu dans la rue, place Cadet, dénoncé, arrêté par un lieutenant Sicre, et fusillé dans le dix-huitième.

Voici le récit (obligé) de sa mort :

  • Un prêtre en civil l’a dénoncé. Sans doute l’avait-il rencontré auparavant — aucune photographie ne circulait et les visages étaient peu connus (voir les nombreuses exécutions sommaires de vagues sosies de communards). Ce prêtre était, dit-on, chevalier de la légion d’honneur.

  • La décision fut prise de fusiller le prisonnier à Montmartre, en expiation des morts de deux généraux le 18 mars, ce qui a créé l’image du chemin de croix.

  • Une « foule » (dont Maxime Vuillaume a montré plus tard qu’elle était constituée d’au plus cinquante personnes) a accompagné, en le brutalisant, Eugène Varlin dans ce « calvaire », renforçant ainsi la comparaison.

  • La geste révolutionnaire a ajouté le « beau visage d’apôtre » d’Eugène Varlin à cette montée au Golgotha.

  • Le corps a été débarrassé avec sans doute d’autres corps qui « traînaient » là, de sorte qu’Eugène Varlin a été enterré dans une fosse à la fois commune et inconnue.

La montre en argent qu’Eugène Varlin utilise depuis six ans, pour être à l’heure à une réunion, un rendez-vous, pour prendre un train, célébrer un mariage… gravée à son nom par son ami Antoine Bourdon (qui a chanté avec lui, qui était avec lui pour la création de La Marmite, qui est intervenu, minoritairement, avec lui au congrès de l’Association internationale à Genève en 1866, qui faisait partie avec lui du deuxième bureau de l’Association internationale et fut emprisonné avec lui en 1868), est volée par le lieutenant Sicre.

Et le lieutenant Sicre s’en vante.

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Le 13 novembre 1872, un conseil de guerre condamne Eugène Varlin à mort. Par contumace, forcément.

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Trois ans plus tard, malade, sa mère, Héloïse Varlin écrit un testament, de crainte, à cause de la condamnation par contumace, que l’état s’empare de la part de son fils Eugène.

Elle meurt le 27 octobre 1875.

Le notaire ne peut faire exécuter le testament.

Les frères (Louis Varlin, que nous avons rencontré (ici, notamment), Hippolyte, le benjamin) et le beau-frère (Eugène Proux, veuf de Clémence Denise Varlin, la sœur aînée) d’Eugène Varlin s’adressent à la justice — Louis Varlin a fini de purger deux ans dans diverses prisons.

Le 25 janvier 1878, un jugement atteste enfin la mort d’Eugène Varlin et ordonne qu’un acte de décès soit inscrit dans le registre du dix-huitième arrondissement, où il a été exécuté.

Le récit glorieux qu’a fait le lieutenant Sicre de son vol de la montre (portant le nom d’Eugène Varlin) a été utilisé pour prouver l’identité du fusillé.

Le 12 mars 1878, l’acte de décès est inscrit dans le registre. Cette officialisation annule le testament : il n’y a pas de part d’Eugène à léguer, puisqu’Eugène est mort avant sa mère. Il y aura donc un deuxième jugement. Puis,

  • le 8 avril 1878, un conseil de guerre « rabat » la condamnation à mort d’Eugène Varlin (même si on ne connaît pas ce mot, il est clair qu’il n’y avait rien d’autre à faire!).

  • le 1er juillet, le notaire règle enfin la succession, à la suite de quoi les deux frères Varlin cèdent leurs parts à leur nièce Amélie.

Pour la bonne bouche : un mouchard anonyme mais plein d’humour qui a assisté au procès de janvier 1878, commente les vantardises du lieutenant Sicre : « Ce militaire serait mieux dans l’infanterie de marine en Cochinchine ou dans la Nouvelle Calédonie ». 

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Sources. La mort d’Eugène Varlin, que nous avons vue récemment racontée par Maxime Vuillaume, est racontée dans tous les livres d’histoire de la Commune, de façon presque toujours hagiographique, et aussi, plus ou moins comme ici, forcément dans le livre de ses Écrits,

Varlin (Eugène)Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2019).

Les archives notariales sont aux Archives de Paris, celles des conseils de guerre aux Archives historiques de la Guerre à Vincennes, le commentaire final aux Archives de la préfecture de police, et l’enquête de Maxime Vuillaume se trouve bien sûr dans son livre,

Vuillaume (Maxime), Mes Cahiers rouges, édition intégrale inédite présentée, établie et annotée par Maxime Jourdan, La Découverte (2011).

Pour la dernière barricade, voir

Dalotel (Alain)La dernière barricade de la Commune de 1871, Gavroche n°111-112 (2000). [Cet article est en ligne sur le site archivesautonomies.]