Lors de l’avancée de l’armée prussienne au cours de l’été, beaucoup de paysans des villages de l’est de Paris se sont réfugiés à l’intérieur des fortifications.

C’est le cas de Florent Rastel et de sa famille, qui ont quitté Rosny le 16 août.

C’est Claye-Souilly (que vous pouvez visiter ici), un peu plus loin, que quittent Alexandre Varlin et Héloïse Duru. Je ne sais pas quand ils sont partis, mais j’ai lu dans La Patrie en danger datée du 13 septembre, que les habitants avaient évacué Claye le 11. Le souvenir des actes de pillage commis par un corps prussien en août 1815 était encore bien vivant dans la mémoire collective. Une sorte d’exode, à pied? en charrette? je ne sais même pas s’ils possèdent un cheval.

Comme les Rastel, ils ont de la famille à Paris. Mais pas à Belleville.

Il y a Eugène Proux, leur gendre, qui est aussi un cousin, le mari de leur fille aînée, Clémence, morte il y a cinq ans après avoir mis au monde un bébé qui ne lui a survécu qu’un mois. Je suppose qu’Amélie Proux, la fille de Clémence et Eugène, qui a maintenant six ans, vivait à Claye-Souilly avec ses grands-parents. En tout cas il n’y a aucun doute qu’ils sont tous à Paris en ce mois d’octobre. Eugène Proux est peintre en bâtiment et habite 21 rue d’Aligre.

Il y a Eugène Varlin, leur fils le relieur, qui n’habite plus 33 rue Dauphine — puisque, nous l’avons vu (dans notre article du 18 octobre), il a maintenant une adresse rue de Tournon.

Il y a aussi Louis Varlin, leur fils l’employé, dont je ne sais pas où il habite, quai de Jemmapes comme en 1868? 33 rue Dauphine comme lorsqu’il sera arrêté en juin?

Et puis il y a Hippolyte, le benjamin, qui est peintre en bâtiment comme son beau-frère, et qui, lui, nous allons le voir, habite bien 33 rue Dauphine. Il est probable que l’un des deux, ou les deux, habitaient 33 rue Dauphine au moins depuis le départ d’Eugène Varlin en Belgique fin avril ou début mai.

Ils ont aussi une abondante famille à Paris, elle a des frères, un relieur, un teinturier, des neveux et nièces… il a aussi des neveux (nous avons rencontré l’un d’eux déclarant la naissance d’un fils qui pour le moment est à peine conçu)…

Un de ses fils a raconté plus tard que, inquiet pour la maison, le cidre dans la cave, le blé et l’avoine dans la grange, Alexandre Varlin a réussi à retourner à Claye-Souilly (malgré le siège). Tout avait disparu. Il est, difficilement, revenu à Paris.

Ce fils a aussi dit qu’il est mort huit jours plus tard, à l’hôpital Saint-Antoine.

Alexandre Varlin est mort le 25 octobre à onze heures et demie du soir. D’après son acte de décès, il est mort 17 place d’Aligre. Pas à l’hôpital, donc. Mais tout près de chez son gendre Eugène Proux.

C’est le gendre et le plus jeune fils, les deux peintres, qui déclarent le décès. C’est ainsi que nous connaissons leurs adresses, 21 rue d’Aligre pour Eugène Proux, 33 rue Dauphine pour Hippolyte Varlin.

Pour en finir avec ce que nous apprend cet acte de décès. Je doute que les parents Varlin aient trouvé du travail à Paris: l’économie était pratiquement arrêtée. La profession d’Alexandre Varlin, sur cet acte, est « journalier ». À Claye-Souilly, il était manouvrier (ouvrier agricole), vigneron (il possédait un peu de vigne) ou journalier.

Je ne peux pas vous dire exactement quel jour a eu lieu son enterrement: il a été inhumé au cimetière de Bercy, dont le registre d’inhumations semble avoir disparu. Mais je peux vous dire qu’il a été réinhumé à Claye-Souilly un an après, le 29 novembre 1871.

Une rude actualité pour Eugène Varlin, en plus des difficultés politiques de ce mois d’octobre.

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L’essentiel des informations contenues dans cet article vient des archives de Paris (et de l’état civil) et de renseignements que m’a donnés Mireille Lopez, qui anime le site d’histoire de Claye-Souilly que j’ai déjà mentionné.

Florent Rastel est le narrateur du Canon Fraternité.

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L’image de couverture est un morceau de mon plan de Paris habituel, qui représente le quartier où vivait Eugène Proux, où est mort Alexandre Varlin — et où j’habite quand je peux aller à Paris.

Livres utilisés

Chabrol (Jean-Pierre)Le Canon fraternité, Paris, Gallimard (1970).

Varlin (Eugène)Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2019).

Cet article a été préparé en mai 2020.