Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

 126. Lundi 25 avril 1870

Commençons par remarquer l’absence du poème de Gustave Mathieu promis dans les éditions précédentes (à cause le l’abondance des matières) ;

continuons par une citation:

COMITÉ CENTRAL RÉPUBLICAIN

Hier, dans une réunion composée des délégués de la Presse, des Comités électoraux, des Associations ouvrières et des sections de l’Internationale, a été constitué:

LE COMITÉ CENTRAL RÉPUBLICAIN DE PARIS

Le siège en a été provisoirement maintenu rue d’Aboukir, n°9, où seront reçues toutes les communications, ainsi que les souscriptions.

Lundi, à 8 heures du soir,

NOUVELLE RÉUNION

il y a des « Lettres de la Bastille », ainsi l’armée votera, commence « le numéro 444 », et puis, il obéira, le malheureux soldat… ;

les « Nouvelles politiques » nous informent que le texte du plébiscite est paru ;

« Notre nouvelle poursuite », eh bien, cette fois, les « fausses nouvelles » sont celles parues dans le numéro daté du 20 avril, un acte de brutalité des sergents de ville ;

Amiel (de l’Ariège), transporté du Deux-Décembre, appelle, en son nom et en celui d’autres transportés, à s’abstenir ;

« La formule », ça y est, nous la connaissons, se réjouit (?) Arnould dans son « Courrier politique », et je ne résiste pas au plaisir de vous livrer son décorticage ci-dessous ;

« Les Préparatifs du plébiscite » continuent, y compris dans les postes, ce qui n’empêche pas Gustave Mathieu, qui pourtant n’est qu’à Bois-le-Roi, de ne pas recevoir son journal (devinez à quoi il est abonné) ;

des électeurs de la 3e circonscription, dont plusieurs accompagnent leur signature des trois points maçonniques, appellent à ne pas voter, leur député, Crémieux, a accepté la présidence de leur comité ;

la petite polémique entre Rochefort et Wolff continue sous la signature Dangerville (mais heureusement en deuxième page) ;

pas très passionnantes, les « Informations », tout de même un « groupe proudhonien » (?) qui appelle à l’abstention ;

dans la « Question sociale », la démocratie radicale toulonnaise n’a pas bien compris ce que Millière a écrit sur l’état civil (voir les numéros datés des 28 et 29 janvier) ou est-ce sur les impôts, un de ses membres (représentant l’élément socialiste) écrit donc à Rochefort pour lui demander de transmettre sa question à Millière, mais celui-ci, toujours sous les verrous, ne peut pas signer, c’est Jacques Maillet qui répond pour lui, c’est juste que les démocrates de Toulon ont confondu le revenu d’un citoyen avec le produit de son travail, et il explique ;

il y a encore une lettre de Malon de Fourchambault, à mon avis la plus belle (voir ci-dessous), qui semble n’avoir pas été reproduite jusqu’ici ;

le titre « Le socialisme au village » revient dans le « Bulletin du mouvement social », en particulier avec une lettre de Bastelica, de Marseille ;

dans « Les Journaux », Alphonse Humbert dialogue avec la Revue des deux mondes, ah ! si les rédacteurs de cette revue lisaient la Marseillaise, et surtout les articles de Millière et de son disciple favori Maillet, ils n’en seraient pas à se demander ce qu’est la législation directe ;

« Une erreur rectifiée », Collot rappelle à Frédéric Morin, du Rappel, que la Marseillaise défend l’abstention ;

je passe les « Échos » ;

il y a des annonces ;

des informations encore, à propos des « réunions antiplébiscitaires » ;

des « Réunions publiques », dont beaucoup sont antiplébiscitaires, et l’annonce d’une petite Marguerite-Clémence Casse, naissance sans baptême (mais, comme elle a été déclarée à l’état civil, je peux vous dire que ce n’est pas la fille de Germain Casse, mais la fille d’un jeune couple d’ouvriers non mariés) ;

aux « Tribunaux », le jugement contre le Rappel (je rappelle que nous en avons déjà parlé) a été confirmé, de même celui contre le Faubourg (Maroteau), pour le Réveil et l’affaire Mégy (dont nous avons aussi parlé), eh bien, c’est remis à mercredi (mais Morot a trouvé l’avocat, Me Leblond, excellent) ;

il nous reste des souscriptions ;

des théâtres et la Bourse.

COURRIER POLITIQUE

La formule

Nous la connaissons enfin, cette fameuse formule !

La voici dans toute sa splendeur.

Le peuple approuve les réformes libérales opérées dans la Constitution depuis 1860, par l’Empereur, avec le concours des grands Corps de l’État, et ratifie le sénatus-consulte du 20 avril 1870.

Cette formule se compose de deux parties distinctes, et contient une inexactitude, une affirmation fausse et une de ces surprises que n’eût point désavouées le révérend père Sanchez.

La première partie est celle qui demande au peuple d’approuver « les réformes LIBÉRALES opérées dans la Constitution depuis 1860, par l’empereur, avec le concours des grands corps de l’État. »

La seconde est celle qui, incidemment, et comme une conséquence naturelle, demande au peuple de ratifier l’hérédité monarchique dans la famille Bonaparte et l’abdication de la souveraineté populaire.

Cette seconde partie se compose du petit membre de phrase suivant :

Et ratifie le sénatus-consulte du 20 avril 1870.

Procédons par ordre.

L’inexactitude — soyons polis — consiste dans cette affirmation que les réformes opérées dans la Constitution soumise au peuple sont libérales.

Qui le dit ? L’empereur ! — Qui a opéré ces réformes ? — L’empereur !

Or, la question est justement de savoir si elles sont libérales. — Le peuple seul pourrait leur donner cette qualification, et celui qui l’emploie, dès aujourd’hui, préjuge la question et la tranche à son profit, sans aucun droit.

Cela est aussi outrecuidant que si un peintre qui, envoyant un tableau à l’exposition, faisait insérer sur le livret : — Lever de soleil dans les bois, — CHEF-D’ŒUVRE par M. un tel.

En admettant que l’empire ait le droit de nous interroger — la seule question, qui eût été logique, conforme à la raison, comme à la modestie, eût été celle-ci :

Le peuple trouve-t-il que les réformes opérées dans la Constitution de 1852 sont libérales et conformes à ses vœux ?

On ne peut donc répondre à cette première partie de la formule que pas un haussement d’épaules.

Cela n’est pas sérieux. Il n’y a pas eu de réformes libérales, et le sénatus-consulte ne contient, en réalité, qu’un retour direct au pouvoir personnel pur et simple, un moment ébranlé par l’imposante minorité de 1869.

Que diriez-vous d’un individu qui vous demanderait si vous voulez d’une excellente montre en or, au moment où il vous glisserait dans la main une montre en aluminium ?

Vous appelleriez le sergent de ville.

L’affirmation fausse, elle, consiste en ceci que la formule affirme le concours des grands corps d’État, — quand chacun sait que le Corps législatif n’a point été consulté, et que les élus du suffrage universel sont les seules qu’on ait exclu de la discussion de ces prétendues réformes libérales.

Il y a là une question de fait matériel. — Inutile d’insister : — C’est contraire à la vérité, voilà tout.

Quant à la surprise, elle est patente.

On a l’air de nous proposer l’acceptation de réformes libérales, — qui ne le sont pas ; — on déclare qu’elles ont déjà reçu la sanction des grands corps de l’État, — ce qui n’est pas ; — puis, finalement, on nous propose, — et c’est là le côté important, — de ratifier un sénatus-consulte dont le deuxième article est ainsi conçu :

Art. 2. La dignité impériale, rétablie dans la personne de NAPOLÉON III, par le plébiscite des 21-22 novembre 1852, est héréditaire dans la descendance directe et légitime de LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture et à l’exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance ;

Dont l’art.13 reconnaît à l’empereur la faculté de faire appel au peuple, QUAND IL LUI PLAÎT, c’est-à-dire constitue la dictature permanente ;

Dont l’art.14 confère audit empereur le commandement de tous les soldats qui sont chargés de fusiller le peuple mécontent, — et le droit de paix et de guerre, — c’est-à-dire le droit de disposer à son gré de notre argent et de notre sang, d’embarquer, à son caprice, la nation dans les plus folles ou les plus coupables aventures.

En résumé, cette formule est bien ce qu’on devait l’attendre. — Elle qualifie de réformes libérales un retour à la dictature de 1852, et, sous prétexte de nous faire prononcer pour ou contre un progrès des libertés publiques, elle tente de nous extorquer une nouvelle proclamation de l’empire héréditaire, — elle prétend nous faire donner un nouveau blanc-seing au pouvoir personnel de Napoléon III et de ses successeurs, fût-ce Pierre Bonaparte.

Répondre à de semblables questions posées dans ces termes ambigus, nous paraît impossible.

En présence de cette formule, nous ne pouvons que nous féliciter d’avoir prêché, dès le premier jour, l’abstention, comme le moyen le plus digne et le plus conforme aux vrais principes.

Il y a des questions, nous ne saurions trop le répéter, auxquelles nous ne pourrons jamais nous résoudre à répondre.

Devant cette confusion calculée, devant cette affirmation carrée de choses inexactes, devant ces termes pesés pour compromettre la liberté dans un prétendu concubinage avec l’empire, — nous croyons que la meilleure manière, — en dehors de toute autre considération, — d’éviter le piège préparé à la bonne foi publique et de ne prêter le flanc à aucune interprétation contradictoire, — c’est de nous abstenir, de nous éloigner de ces urnes plus que douteuses, où l’empire autoritaire a tendu ses rets.

ARTHUR ARNOULD

La grève de Fourchambault

Fourchambault, le 22 avril 1870

Cher citoyen,

On n’a pas vu, ce matin, passer dans les rues des ouvriers enchaînés deux par deux et conduits au chemin de fer par des brigades de gendarmes ; mais il paraît que ce n’est pas encore fini. La terreur est plus grande que jamais. On parle de listes contenant 400 noms ; je ne sais ce que ce bruit a d’exagéré, mais ce qu’il y a au moins d’assuré c’est que les listes d’hommes dangereux sont rédigées à l’usine. Les ouvriers ne vont travailler qu’en tremblant, et se demandent si, aussitôt qu’ils seront au travail, un contre-maître ne viendra pas les chercher, sous prétexte d’appel au bureau, afin de les livrer aux gendarmes.

MM. Choillet et Saclio [Chayet et Saglio, je corrige dans la suite] endossent une lourde responsabilité devant l’opinion. Tout le monde ici croit qu’ils dirigent les arrestations ; si cela n’est pas vrai, comment se fait-il que les ouvriers arrêtés hier ont été précisément ceux-là même qui avaient présenté à M. Saglio les réclamations des ouvriers, le premier jour de la grève ? Qui a pu les dénoncer ? Comment se fait-il que pas un des ouvriers de l’usine Bouchacourt et Cie qui pourtant ont commencé la grève huit jours avant, n’a été arrêté ? Probablement parce que M. Bouchacourt s’est trouvé assez vengé par le renvoi de quatre ouvriers et n’a pas voulu descendre au rôle dégradant et lâche de dénonciateur ? Pourquoi, dans un autre ordre d’idées, depuis que M. Chayet est maire, le commerce du pays est-il inféodé à l’usine ? Pourquoi ici comme dans le royaume industriel du Creuzot, le commerçant qui a souci de son indépendance est-il toujours sous la menace de fermeture ?

Tout ici sent l’espionnage et la délation. Les renvois continuent et tous les renvoyés craignent d’heure en heure ce renvoi qui équivaut à une dénonciation. Les ouvriers, terrifiés, me disent qu’ils veulent partir :

C’est demain la paye mensuelle, que nous ne soyons pas arrêtés jusque-là et nous partirons sans oser demande notre compte.

Aujourd’hui même, après avoir obtenu un acompte à l’aide d’un subterfuge, un père de famille, absolument irréprochable, même relativement à la grève, laisse là sa famille et doit s’enfuir devant l’arrestation qui le menace.

Nous le demandons à toutes les consciences honnêtes, n’est-il pas lamentable que de telles choses se passent impunément ? Pour satisfaire une rancune d’intérêt lésé et d’amour-propre atteint, des patrons disposent absolument de la force armée, de la gendarmerie, de la police, dans les deux départements les plus républicains (et c’est leur crime) de la France départementale !

Je n’ai pas de nouvelles précises du Berry ; on dit que les arrestations s’y multiplient comme à Fourchambault ; Torteron, comme je vous l’ai dit, possède trois hauts fourneaux qui par l’interruption de travail causée par la grève, sont fortement endommagés. Par ce que vous connaissez de MM. Saglio et Chayet, jugez s’ils vont se venger d’une façon exemplaire. Et que se passe-t-il à Bezenet, à Commentry, où les ouvriers se lassent aussi de tant souffrir ? Nous regrettons de n’avoir que de telles choses à écrire, mais le triste spectacle que nous avons sous les yeux attriste profondément, et tout ce que nous pouvons faire, c’est de ne pas nous laisser entraîner par l’impression du moment en démasquant de tels abus. Les hommes de peine de la fonderie font d’habitude un nombre d’heures illimité, variant entre douze et quinze, à raison de 20 centimes l’heure.

Depuis la grève, on les force, sous peine de renvoi et peut-être d’arrestation, puisqu’on ne cherche que des prétextes, à commencer leur journée à deux heures du matin. Ils tiennent jusqu’à six heures du soir, préparant la terre pour les mouleurs, déterrant et charriant les lourds cadres en fer, portant à trois pour le coulage des poches de fonte incandescente, du poids de 100 kilogrammes, tournant la grue et après 15 heures, s’ils ont passé la journée sans accident, ils ont gagné la somme de 2 fr. 91 c.

Pensez-vous que l’on ferait grève à moins ? Mais, dira-t-on, ce n’est là qu’une catégorie de travailleurs, et la plus malheureuse. Je répondrai : les mineurs pour la houille ou le minerai de fer, qui extraient la matière à des centaines de pieds sous terre, les ouvriers spéciaux qui louent et débarrassent le minerai des corps étrangers qui y sont adhérents ; le fondeur qui dessert les hauts-fourneaux et qui tire de l’épouvantable brasier la fonte grossière en gueuse ; le puddleur qui manie des poids si lourds, dans une température si étouffante, pour changer, par un chauffage nouveau, cette fonte en mauvais fer ; le chauffeur qui reprend ce mauvais fer et le soumet à un autre chauffage encore pour le purifier ; le cingleur qui le présente au marteau-pilon ; le lamineur qui le fait passer dans les cylindres ; le forgeron qui lui donne la forme désirée, ont bien un travail aussi pénible.

Les ajusteurs, les monteurs, les tourneurs, les raboteurs, les polisseurs, etc., relativement payés à Paris, n’ont pas ici une journée moyenne de 4 francs. Telles sont les différentes catégories de travailleurs qui, dans notre unique [inique?] organisation sociale, sont livrés pieds et poings liés et à grand renfort de fusillades, d’arrestations arbitraires, de condamnations et d’emprisonnements, aux capitalistes insatiables… Je m’étais trop hâté de dire que les ouvriers de M. Bouchacourt n’étaient pas inquiétés par la police ; cela est si peu vrai, me dit-on à l’instant, que sept ou huit ouvriers, avertis à temps, ont quitté le pays ce matin devant les arrestations qui les menaçaient.

Quelques-uns de nos proscrits industriels partent à l’instant. Je ne puis que les recommander aux membres de l’Association internationale, à la Marseillaise, aux Républicains ! Notre devoir est de panser les blessures que font nos tyrans politiques et industriels, en attendant que nous soyons assez forts pour couper les abus dans leurs racines et proclamer l’avènement de la justice,

À vous,

B. MALON

C’est par le fait d’une erreur typographique qu’il est dit dans la Marseillaise du 22 courant, que les journaliers gagnent 1 fr. 75 pour huit heures de travail, c’est 1 fr. 55 qu’il faut lire.

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La photographie représente la production des aciéries de Fourchambault, exposée à Lyon, en 1916. Sans autre commentaire que le fait que je l’ai trouvée sur Gallica, là.

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).